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Didier K. Expérience
3 janvier 2023

Entretien Sans Freins (Une vraie fausse interview de Jake E. Lee) 3/20

Jake E

Le réceptionniste a été plutôt efficace sur ce coup-là, les deux bouteilles de Bourgogne rouge commandées arrivent en un temps record, ce qui plait fortement à notre guitariste et grand amateur de spiritueux. Comme pour les burgers, c’est moi qui paie. J’en profite d’avoir le gars de l’hôtel sous la main pour lui demander de nous préparer en plus un thermos de café. Je lui remets un sac poubelle contenant les restes de notre repas, ce qu’il prend vraiment sans joie.

Ah ! Ces Parisiens, on ne les changera pas !

Pendant que je discute, Jake en profite pour aérer en grand la chambre qui transpire un mélange de graillon et de fumée de cigarettes. Le mois de novembre n’étant pas vraiment propice pour les aérations, ça caille et l’air humide nous refroidit en moins de deux !

Jake est plutôt raisonnable, il referme assez vite. Il ouvre la première bouteille et nous sert généreusement, trop peut-être pour apprécier ce genre de breuvage. Mais les Américains ne sont pas réputés pour leur sens de la mesure.

Maintenant qu’il est rassasié, il se sent mieux, et notre petite conversation se déroulant plutôt bien, il a envie de se lâcher un peu. Il prend sa guitare, la branche sur le mini ampli et commence à gratter pour l’accorder. J’observe chacun de ses gestes avec insistance et intérêt. Il manie son instrument tel un félin à l’aise sur son terrain de chasse. Il m’impressionne et me fascine. J’hésite puis je me laisse gagner par mon envie d’immortaliser la scène, je sors mon portable et je fais une photo. Il me sourit.

-          Je fume trop, mais je vapote aussi parfois, ça sera plus pratique et moins désagréable pour toi.

J’apprécie ce geste, moi qui ne fume pas du tout.

Il fouille dans son manteau et en sort un long tube en acier qu’il tète comme un drogué en manque de nicotine. La vapeur d’eau parfumée qui s’en dégage embaume l’espace, c’est plutôt pas mal.

-          Sur scène, je m’en sers aussi pour jouer en slide, c’est pratique !

Jake joint le geste à la parole en faisant glisser son vapot sur les cordes le long du manche de guitare. En effet, le son produit est aussi bon que s’il avait utilisé un bottleneck. Manifestement, il est très satisfait de sa trouvaille, et ça le fait rire.

Je remets en route mon enregistreur numérique, je veux absolument capter tout ce qui se passe maintenant.

-          Donc, tu as été embauché par Ozzy Osbourne après ton audition à L.A.

-          Eh non, pas encore ! On a fait une tournée de cinquante-sept dates en Europe et aux USA avant que je sois officiellement embauché.

-          Ozzy a attendu tout ce temps pour se décider ?

-          Il fallait aussi que le groupe qui allait enregistrer le nouvel album studio soit soudé, et puis, n’oublie pas que j’étais la pièce la plus importante dans le rouage : j’allais remplacer Randy, « le petit génie » …

Il prend sa guitare et joue l’intro de « Crazy Train ».

-          Tu succédais également à Brad Gillis qui avait pourtant participé au live « Speak Of The Devil », et à la tournée que tu terminais, justement.

Il sourit de plus belle.

-          Pas seulement Brad, mais aussi Bernie Tormé. Et sûrement d’autres dont on a oublié les noms. Je sais que Michael Schenker avait été approché, mais il demandait une vraie fortune, et Gary Moore a poliment refusé, ou le contraire, je ne sais plus… Tu sais, après la mort de Randy, CBS Records voulait un album live pour immortaliser la période passée, mais Ozzy ne voulait pas en entendre parler. Il était sincèrement choqué de sa disparition. Ce n’était pas le bon moment pour s’enfermer dans un studio et écouter des concerts enregistrés sur des kilomètres de bandes, et comme Ozzy contrôle tout, c’était au-dessus de ses forces.

-          Et c’est là qu’arrive le live de reprises de Black Sabbath.

-          A cette époque, Ozzy aurait fait n’importe quoi pour faire chier ses ex acolytes de Black Sabbath, dont Ronnie James Dio était encore le chanteur d’ailleurs… Black Sabbath s’apprêtait à sortir un live, « Live Evil », je crois, et Ozzy était furieux après eux. En tant que copropriétaire du nom de Black Sabbath, il aurait pu empêcher la sortie de ce live, mais cet album serait aussi une source de revenus pour lui aussi. Tout comme son album est devenu une source de revenus pour eux… Donc, puisque CBS Records était prêt pour sortir un live, Ozzy a organisé deux dates au Ritz de New York dont la setlist serait composée uniquement de titres de Sabbath. Il a donné les bandes à CBS Records qui s’est fait une joie de publier un album qui allait concurrencer celui de Sabbath chez Warner…

Jake reprend son souffle.

-          Brad Gillis s’en est très bien sorti, mais c’est normal, c’est un excellent guitariste, en plus d’être un vrai compositeur et un mec sympa. Malheureusement pour lui, il a franchement souffert de son passage dans le groupe d’Ozzy. Celui-ci le traitait plus bas que terre. Faut dire qu’Ozzy était défoncé du matin au soir, et quand il ne l’était pas, il se comportait comme un patron avec son employé, en étant tout juste correct. Brad n’est pas resté longtemps, il a quitté Ozzy sans regret à la fin de la tournée « Diary… / Speak Of The Devil Tour ’82 ». Ozzy l’aurait bien gardé, mais Brad ne voulait plus se faire maltraiter…

-          Ozzy en voulait-il toujours à Black Sabbath de l’avoir viré ?

-          Il voulait sa revanche et il était en passe de l’avoir. Tu sais bien que Black Sabbath est très célèbre, mais en fait, ce groupe n’a jamais vraiment vendu de disques aux États-Unis : ils vivent sur leur formidable notoriété. Alors que les deux premiers albums d’Ozzy ont atteint les deux millions chacun. Je ne sais pas si tu te rappelles, mais Ozzy pendait un nain du nom de Ronnie chaque soir sur scène. Tu comprends l’allusion ?

-          Oui, c’était pour se moquer de Ronnie James Dio ! dis-je en riant !

-          Et c’est dans ce contexte un peu tendu que je suis arrivé pour être à mon tour, « le petit génie ». Bien entendu, je ne savais pas ce qui s’était passé avec Brad, je ne l’ai appris que pendant la tournée qui a suivi. D’ailleurs, j’allais découvrir plein de choses, dont l’envers du décor…

Petite aparté concernant l’histoire du nain. C’était un acteur de petite taille, habillé en bouffon, qui représentait Ronnie James Dio qui avait pris sa place au sein de Black Sabbath, et qui n’est pas très grand. Ozzy pendait au bout d’une corde cet acteur tous les soirs sur scène, symbolisant sa rancœur envers son remplaçant. C’est à la fois drôle et d’une mesquinerie sans nom. Cette histoire a causé pas mal de problèmes à Ozzy, notamment de la part des personnes de petites tailles aux USA.

Jake se lève et pose sa guitare. Manifestement, il est préoccupé. Je vois bien qu’il réfléchit à la suite de l’interview. On est entrés dans « l’espace confidence » si je peux dire, et là, je sens bien qu’il va m’en faire d’autres.

Il regarde par la fenêtre, il a l’air déçu du décor parisien qui s’étale en bas du boulevard. Le quartier de Bastille/Richard-Lenoir est très agréable quand on se promène dans ses rues, mais n’a rien de spécial à offrir de mythique dont il pourrait se vanter auprès de ses amis. Il n’y a que des immeubles qui se ressemblent tous pour lui.

Jake tourne dans la chambre, il réfléchit, vapote, enfume la pièce. J’espère qu’il va continuer de s’épancher.

-          Ça marche bien ton appareil ? demande-t-il.

Je confirme que mon enregistreur fonctionne parfaitement. Sans en ajouter plus.

On frappe à la porte, c’est le réceptionniste qui apporte le thermos de café. Il arrive à point nommé pour officialiser le break qui s’impose. Je ne sais pas pourquoi, mais Jake doute de quelque chose… Cette fois-ci, c’est moi qui fais le service. L’odeur du café finit de chasser celle du fastfood qui risquait de s’incruster… Jake se rassoit, termine son verre de vin avant d’entamer son café.

-          Okay ! On continue ?

-          Dès que tu es prêt ! dis-je.

Il vapote, boit une gorgée de café, revapote. Me fait signe de redémarrer. C’est reparti.

-          Okay ! Donc, je suis embauché après l’audition. Sharon Osbourne, la femme d’Ozzy qui est aussi sa manageuse, organise une nouvelle tournée pour mettre en place le groupe avant l’enregistrement du nouvel album. La demande est telle qu’ils arrivent à booker cinquante-sept dates, dont le fameux passage à l’US Festival à L.A… Le groupe est composé de Tommy Aldridge à la batterie, Don Airey aux claviers, Don Costa à la basse, et moi-même. On part directement pour l’Europe assurer les guests de Whitesnake pour leur tournée « Saints & Sinners ’82 » … On passera par Paris d’ailleurs, on jouera sous un chapiteau de cirque, si je me souviens bien…

-          Ah oui ! Le fameux Espace Balard. Heureusement, ça n’existe plus !

-          C’était la première fois que je mettais les pieds en Europe. Et en Grande-Bretagne, on a donné sept concerts avec Whitesnake dans des salles minuscules. Je me rappelle celui de l’Hammersmith Odeon de Londres qui était une salle mythique pour moi : à peine quatre mille places dans un vieux théâtre vraiment délabré. Combien d’albums live ont été enregistrés dans cette salle ? Des centaines, sûrement, mais j’étais déçu de voir à quoi ça ressemblait. L’envers du décor qui me poursuivait…

Il rit de sa dernière phrase, pas mécontent de l’avoir trouvée celle-là.

-          C’était vraiment une très bonne idée cette tournée, parce qu’on ne jouait que quarante minutes, on ne s’occupait de rien, Ozzy était en forme et on jouait à domicile pour lui, je me sentais vraiment intégré dans le groupe, tout se passait bien. J’avais appris les morceaux et Ozzy était satisfait de mes prestations. On n’a pas vraiment pu visiter les villes où on jouait, mais c’est la vie en tournée… Dès qu’on retournerait aux États-Unis, les choses allaient se gâter. Là-bas, on était en tête d’affiche, la setlist s’était largement étoffée, les distances entre chaque date étaient plus longues, et les déplacements en bus éreintants. On dort tous dans le bus pendant le trajet pour récupérer. Ozzy devenait exécrable avec quasiment tout le monde, mais restait correct avec moi. Une forte tension entre lui et Tommy Aldridge est apparue à ce moment-là, mais je ne me rappelle plus pourquoi. Ils ne se parlaient plus sauf pour s’engueuler… Tu sais, Tommy était un ami personnel de Randy Rhoads, c’est lui qui l’avait imposé dans le groupe, et je suppose qu’Ozzy le supportait encore en souvenir de Randy…

Jake prend une forte bouffée et exhale la fumée comme un pot d’échappement.

-          Là, je suis vraiment dans le cœur d’une tournée, je découvre tout. Je suis d’ailleurs le plus jeune de la bande et le moins expérimenté… Tous les soirs, c’est la fête en backstage après le show et Ozzy ne se prive pas pour picoler comme un damné. Ce n’est pas vraiment un secret, tout le monde le sait. Heureusement, Ozzy assure sur scène dès qu’il y a mis un pied : bourré ou pas. Personnellement, je ne participe pas beaucoup à ce genre de party, ce n’est pas mon truc… Mais un jour, on faisait une halte je ne sais plus où, Ozzy a demandé à voir Don Costa en urgence à l’arrière. Celui-ci ne mettra pas plus de trois minutes pour s’y rendre. Ozzy étant facilement irritable, il s’est dépêché. Et là, Ozzy lui met un coup de boule qui lui a pété le nez. Don saignait abondamment. On était tous sous le choc de ce qu’on venait de voir.

Je suis interloqué. Je ne connaissais pas cette anecdote. Il faudra que je la vérifie d’une façon ou d’une autre. Mais j’écoute, je ne veux pas interrompre Jake.

-          On le prend en charge, ensuite je vais voir Ozzy pour tenter de savoir ce qui s’est passé. Tu sais ce qu’il me dit ? Il me dit que Don a tenté de l’embrasser. Bien évidemment, je n’en crois pas un mot, ni les autres bien sûr. On s’est tous dit que Don était viré, salement, mais viré. On essaie de parler avec Ozzy pour connaitre la suite des événements, mais celui-ci nous confirme seulement que Don fait toujours parti du groupe. On nage un peu en plein délire là. Il faudra l’intervention de Sharon Osbourne avant que les choses se décantent. Ils donneront cinq mille dollars à Don Costa pour qu’il fasse réparer son nez et qu’il la ferme. Sharon, prudente, fera signer un accord à Don afin qu’il s’engage à ne pas poursuivre Ozzy en justice pour ce qu’il a fait. Cette histoire est vérifiable sur internet, bien sûr.

-          Il a dû se passer quelque chose entre eux deux pour qu’Ozzy réagisse de cette façon, non ? C’est quand même une agression, tu ne crois pas ?

-          Franchement, je n’en sais rien. Mais Ozzy pouvait être imprévisible, son alcoolisme était démesuré à cette époque. Tu sais qu’il a pissé sur le monument du mémorial de Fort Alamo, je crois qu’il aurait pu déclencher la troisième guerre mondiale.

Eh bien ! Je suis un peu sur le cul. Je fais part de ma surprise à Jake qui acquiesce sans commenter.

-          Ce n’était pas fini avec Don Costa… On a continué la tournée, lui avec son nez cassé et nous avec un certain ressentiment. Cela dit, tout se passait bien pour moi. Le point d’orgue de la tournée serait notre passage en mai ’83 à l’US Festival à San Bernardino, près de L.A. Trois cent mille personnes devaient s’y retrouver, c’était le plus grand concert jamais organisé là-bas, durant plusieurs jours. Une sorte de Woodstock californien, quoi. Don avait invité toute sa famille à venir le voir jouer sur scène… Arrivé dans les loges, je croise Bob Daisley (que j’avais déjà rencontré, et qui tenait la basse sur les deux premiers albums studio d’Ozzy) et machinalement, je lui demande ce qu’il fait là ! Il m’annonce qu’il est notre nouveau bassiste. Don Airey et Tommy Aldridge décidèrent de ne pas s’en mêler et préférèrent se concentrer sur la prestation à venir. Bien évidemment, Don Costa a fini par voir Bob, or il savait pertinemment qui il était. Bob lui confirma qu’il venait d’être embauché à sa place. Sharon arriva pour confirmer à Don Costa qu’il était bien viré et qu’il ne jouerait pas la dernière date.

-          Si je peux me permettre de donner mon avis, ce n’était pas très sympa. Ozzy aurait pu attendre la fin du concert puisque c’était le dernier de la tournée. C’était franchement très méprisant.

Jake sourit en entendant ma réaction.

-          J’étais éberlué ! Don avait ramené toute sa famille pour le voir jouer et il a dû leur expliquer ensuite qu’il était viré comme un malpropre, seulement trois semaines après l’histoire du coup de boule.

-          Comment te sentais-tu ?

-          C’était très bizarre, mais je suis monté sur scène avec les autres, et on a donné un de nos meilleurs concerts. D’ailleurs, on n’avait pas vraiment le choix : tu sais, dès qu’on est sur scène on oublie tout ressentiment, on se concentre sur ce qu’on fait, et du mieux qu’on doit. Notre professionnalisme doit prendre le dessus sur tout. En plus, c’était filmé par les télévisions du monde entier. Le challenge était trop grand pour jouer les rebelles. Je n’allais pas tout gâcher alors que la consécration m’attendait à la fin de ce concert, justement.

-          Et là, Ozzy t’a intronisé officiellement dans le groupe ?

-          Ouais mec ! Don Airey et moi faisions partie officiellement du groupe. On était tous les deux retenus pour l’enregistrement du nouvel album. Bob et Ozzy s’entendaient comme larrons en foire, donc lui aussi en était. Et malgré les tensions permanentes qu’il y avait eu entre Ozzy et Tommy Aldridge, ce dernier était aussi confirmé. On a fait une super fête pour la fin de la tournée, tu peux me croire…

-          Tu t’es dit que tu entrais enfin dans la légende du rock ?

-          J’ai surtout pensé à ce pauvre Don Costa, et que si j’intégrais le groupe, je savais aussi que je pouvais en être éjecté aussi brutalement que lui…

Son portable sonne, c’est sa femme. Je crois qu’on va devoir interrompre notre entretien.

-          On se verra demain après-midi, si tu le veux bien. Okay ?

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2020

Credit photo : Charvel Guitar US (c) 2020

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Didier K. Expérience
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