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Didier K. Expérience
4 janvier 2023

Entretien Sans Freins (Une vraie fausse interview de Jake E. Lee) 4/20

Jake E

Jake se lève et se dirige vers la fenêtre tout en parlant au téléphone, son dos me fait face. J’ai compris, il faut que je parte. Je ramasse mes affaires, j’arrête l’enregistreur numérique et je quitte la chambre sans un bruit, presque sur la pointe des pieds.

Je sors de l’hôtel. J’accélère le pas pour quitter le boulevard au plus vite.

Il faut que je fasse un débriefing. Mais avant de réfléchir sur ce qui convient de faire pour vérifier toutes les informations que Jake m’a donnée, je dois appeler mon rédacteur en chef.

Jake m’a proposé de revenir demain, mais ce n’était pas vraiment prévu au programme, et je ne sais pas si c’est vraiment utile. Notre conversation est passionnante, mais de mon point de vue uniquement, pour l’instant. Dès que j’aurai retranscrit tout ce que j’ai enregistré, je saurai si j’ai une histoire qui mérite qu’on s’y attarde. En plus, il faudra convaincre mon chef que c’est publiable et « bankable » comme il dit.

J’ai quand même passé deux heures agréables, je suis même un peu saoul étant donné tout ce qu’on a bu en un laps de temps très court. L’après-midi est bien entamé, j’espère tout de même que mon chef me répondra, c’est toujours délicat de déranger à la veille du week-end.

J’appelle mon chef qui décroche à la première sonnerie :

-          Ouais ! Répondit Michel, sèchement.

-          C’est moi ! Je sors de l’interview d’avec Jake E. Lee, ça s’est bien passé, mais on a dû interrompre en cours de route. Cependant, il est d’accord pour qu’on continue demain après-midi.

-          Ben, tu fais ce que tu veux de tes week-ends, j’ai envie de dire. Si tu veux poursuivre avec lui, c’est ton problème.

-          C’est pour le défraiement, le mag le prendra en charge ?

Il rit.

-          J’attendais ! Je me disais bien qu’il manquait quelque chose dans cette conversation… N’en fais pas trop avec lui. Ce mec est sûrement sympa, mais il est un peu has been. Ton entretien nous servira à boucher un coin, mais pas plus, j’en ai bien peur. Son album ne cassera pas trois pattes à un canard en France, et ses aficionados se comptent sur les doigts de la main malheureusement… Bon, on verra ça lundi. A plus…

Je me rends compte qu’il ne m’a pas répondu pour le défraiement, il a noyé le poisson comme d’habitude. Il me laisse faire et jugera sur le résultat : je risque d’en être de ma poche...  Franchement, j’ai envie de continuer avec Jake : cette époque me fascine et j’ai envie de savoir. Tant pis pour moi ! Ce n’est pas tous les jours qu’on peut passer un week-end avec une légende.

Je marche en direction de la station de métro la plus proche, je crois qu’il va encore pleuvoir. Je me dépêche avant de recevoir la sauce, et puis je suis frigorifié ; il faisait vraiment chaud dans la chambre d’hôtel, Jake avait dû pousser les radiateurs à fond : climat parisien à l’extérieur mais température californienne à l’intérieur. Je rentre chez moi, mais ma journée n’est pas terminée.

Aujourd’hui, ce qui est bien avec Internet, c’est qu’on peut facilement quasiment tout savoir, alors qu’en 1983, il m’aurait fallu acheter des milliers de magazines américains, que j’aurais payés une fortune à la librairie « Parallèle » ou chez le « Monsters Melodies » de Châtelet-les-Halles, j’aurais passé un temps infini à fouiller et à les dénicher dans les bacs, et ensuite à les déchiffrer, car je ne parlais pas l’anglais comme je le parle aujourd’hui. Mon anglais scolaire était plus que rudimentaire à l’époque. En ce temps-là, la France, c’était un peu la face cachée de la lune, il n’y avait rien, quasiment pas d’émissions de télé rock, même pas une salle de concert dédié. On s’emmerdait fermement, et surtout, on n’avait pas d’argent. On faisait le même circuit toutes les semaines, en espérant trouver quelque chose d’intéressant et d’abordable. J’y ai passé tous mes samedis d’ado avec mes potes, mais seuls les plus fortunés d’entre nous pouvaient se permettre d’acheter ces raretés et nous faisaient baver d’envie pendant des semaines avant de nous les prêter. C’était à la fois passionnant et désolant.

L’épisode « Don Costa » m’a sidéré, je vais rechercher en priorité des infos sur lui :

Son passage chez Ozzy Osbourne n’aurait duré que trois mois en 1982. Ensuite, il a participé à la toute première mouture du groupe WASP, mais il s’en est fait éjecter très vite avant même l’enregistrement du premier album. On le retrouve ensuite en 1983, il a fondé son propre groupe, M-80, qui n’a produit qu’un mini-album, et puis plus rien. Don Costa a très vite disparu des radars, ce qui ne veut pas dire qu’il avait quitté le milieu de la musique, mais on ne peut pas dire qu’il ait marqué son époque… Je tape dans la barre de recherche « Jake E. Lee – Don Costa », et là, je découvre un article paru dans « Ultimate Guitar » en 2011, une interview de Jake E. Lee racontant cette histoire de coup de boule et de nez ensanglanté. Donc, c’est lui-même qui propage cette histoire et depuis un certain temps déjà. Mais si cette histoire est toujours visible, c’est qu’elle est vraie. Je pourrais toujours le cuisiner, mais j’ai peur de m’éloigner de mon sujet. Après tout, c’est Jake E. Lee et non Don Costa qui m’intéresse. Cela dit, il a tenu à divulguer cette histoire comme étant un détail révélateur de ce qui pouvait se passer en tournée. Ozzy Osbourne est encore considéré par tout le monde comme un gentil clown inoffensif, alors qu’il ressemblerait plutôt à un méchant diable, un manipulateur et un calculateur froid, qui pouvait devenir violent sous l’emprise de l’alcool.

La période Rough Cutt est intéressante aussi : Jake E. Lee y est resté deux ans tout de même, il n’y a pas fait qu’un simple passage comme il semble le dire. En fait, Wendy Dio (épouse de Ronnie James Dio) était la manageuse du groupe et a contribué à faire connaitre le guitariste auprès de son chanteur de mari. Ce n’est donc pas un hasard si Jake a fait une tentative pour intégrer la première mouture de Dio (le groupe) : il n’y serait resté qu’une trentaine de jours. Quant à Ratt, Jake a participé à la première version qui se nommait encore Mickey Ratt, puis il les a quittés pour Rough Cutt : il y a d’ailleurs été remplacé par l’excellent Warren De Martini, qui y fera toute sa carrière.

Bon, mes points de contrôle sont tous vérifiés et se révèlent justes. Jake E. Lee n’est décidément pas un mytho, ce qui me donne envie d’en apprendre plus. Notamment, j’aimerais bien connaitre les raisons qui l’ont conduit à ne pas intégrer le groupe de Dio, car c’était une sacrée opportunité. C’est vrai quoi, le gars avait le choix entre les deux ex chanteurs de Black Sabbath, tous deux au sommet de leur gloire, comme un formidable challenge réservé aux meilleurs. Jake était incontestablement un futur grand guitarise, et à vingt-cinq ans, c’était une vraie pointure qui n’attendait que la reconnaissance.

Ce qui est fascinant, c’est l’interconnexion entre tous ces groupes dont on ne voit pas tout de suite ce qu’ils pourraient bien avoir en commun. Ronnie James Dio a produit deux titres pour Rough Cutt, joués par Jake E. Lee. Donc, les deux hommes se connaissaient déjà quand Jake a passé l’audition. Ensuite, quand Jake a quitté Rough Cutt, il a été remplacé par Craig Goldie, qui deviendra ensuite guitariste pour Dio en 1986. Paul Shortino, chanteur et leader de Rough Cutt, deviendra chanteur de Ratt dans les années 2000. Un petit monde quasiment consanguin quand on y pense, difficile d’accès, où les meilleurs pullulent et sont traités comme n’importe quel quidam.

En fait, la compétition est féroce. Les perdants sont impitoyablement éliminés, voire martyrisés, et les fautes se payent chères (Don Costa). L’humanité ne rentre pas en jeu dans ce cas-là. C’est un business, plaisant, magique, éblouissant, mais c’est un business avec des règles plus dures que dans n’importe quelles autres entreprises. Ce qu’on lit dans les magazines n’est que la partie émergée de l’iceberg, un topping sucré, rien d’autre. De ce point de vue-là, le « rock business » s’assimile parfaitement à l’idéologie capitaliste, ou plutôt, c’est le capitalisme qui a su s’adapter pour assimiler ce qui paraissait marginal et réservé aux marginaux.

C’est une machine à fric qui ne s’embarrasse pas de préjugés, seuls ceux qui sont vendables comptent.

Les petits groupes servent de vivier pour les grands qui y font leur marché quand ils ont besoin de personnel. Intégrer ces petits groupes connus devient une rude bataille pour les musiciens inconnus car c’est la seule façon de faire pour être repéré et incorporer les grandes formations. Beaucoup de combattants, mais très peu d’élus : là encore, c’est la loi du marché qui s’impose.

Si Ratt a finalement réussi à sortir son épingle du jeu dans les mid eighties, en devenant un des leaders mondiaux du glam-metal, ou de la vague « hair metal » californienne, avec une dizaine d’albums dont certains ont été numéro un des ventes, Rough Cutt n’enregistrera que deux disques qui ne laisseront pas une grande trace dans l’Histoire du rock. Jake E. Lee ayant quitté ces deux groupes avant qu’ils n’enregistrent quoi que ce soit, on ne saura jamais si son passage aura été bénéfique pour eux, ou s’il ne fut qu’une comète parmi d’autres.

Je regarde ma montre, il est tard. Je pourrais passer des heures à faire ces recherches. C’est un boulot rêvé tout de même, et moi aussi, j’ai dû batailler durement pour y avoir ma place.

Cependant, je décide d’envoyer un message à Jake pour officialiser notre entrevue de demain. Il m’a confié son numéro de téléphone au cas où il y aurait quelque chose à lui communiquer : je décide de m’en servir tout de suite.

« Bonsoir, Jake ! Est-ce toujours okay pour demain ? »

Si j’ai de la chance, il me répondra dans la nuit, sinon, je peux espérer une réponse cinq minutes avant de commencer, ou bien aucune. Jake E. Lee étant son propre patron, il n’a de compte à rendre à personne désormais.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2020

Credit photo : Charvel Guitar US (c) 2020

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