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Didier K. Expérience
18 janvier 2023

Entretien Sans Freins (Une vraie fausse interview de Jake E. Lee) 18/20

Jake E

Paris, chez moi.

Dimanche 1er décembre 2019.

Je me lève encore engourdi de ma séance d’hier avec Jake E. Lee. Finalement, je ne supporte pas vraiment bien l’alcool et la digestion de tout ce qu’on a ingurgité passe mal, j’ai la nausée. Aussi, je me rends compte que les vêtements que je portais hier empestent le tabac froid, et qu’il faudra que j’abuse du gel douche pour espérer quitter cette odeur. Même si le gars s’en défend, je sais qu’il a une vie plutôt excessive et que les excès font partie de la vie des rock stars. Je ne lui en veux pas du tout, c’est juste une remarque, je sais que c’est comme ça pour beaucoup de musiciens. A titre de comparaison, les jazzmen et les musiciens du classique sont loin d’être des anges, l’alcool coule à flot et la drogue est souvent sous-jacente dans leurs milieux, bien plus que dans celui du rock.

Je me mets à mon bureau, j’allume mon ordinateur, fourre mes écouteurs dans les oreilles et commence la retranscription audio de l’entretien… Bon dieu qu’il mâche ses mots et je ne l’ai plus en visuel pour m’aider. Tant pis, ça prendra le temps que ça prendra ! De toute façon, j’ai toute la journée pour écrire avant une présentation demain matin au journal.

Au bout de plusieurs heures de travail, j’ai réussi à taper une première version, mais je n’en suis pas vraiment satisfait : le peaufinage de l’article promet d’être long. Il faudra ensuite le corriger, le rendre attractif, et ce n’est pas le plus facile.

A première vue, Jake est toujours affecté par son limogeage sans raison du groupe d’Ozzy Osbourne : c’est assez flagrant pour le relever. Il est évident qu’ils n’auraient pas pu enregistrer plus d’un autre album ensemble, mais ils se seraient peut-être quittés dans de meilleures conditions. En tout cas, c’est ce que je mettrai en exergue, parce que c’est aussi ce que tout le monde attend. Malheureusement pour lui, Jake est encore avant tout catalogué comme le successeur de Randy Rhoads avant d’être le grand guitariste que l’on connait. D’ailleurs, son nom de scène lui a été attribué pendant cette période. Ensuite, il y a eu l’échec de Badlands vraiment dû à une série de malchances. Malgré une relative stabilité de personnel, le décès de Ray Gillen a terrassé le groupe. Et enfin, Red Dragon Cartel qui est le nouveau projet en route depuis 2013, peine à exister malgré de bons disques et d’évidentes qualités. Mon article doit surtout donner envie aux lecteurs de jeter une oreille à la musique du groupe, et au magazine de faire semblant de s’y intéresser, car on ne sait jamais, l’interview pourrait susciter de l’intérêt et les faire décoller en France… Bon, à l’heure d’Internet et de l’immédiateté, ce qui ne fonctionne pas tout de suite n’a pas vraiment beaucoup de chance de fonctionner plus tard, mais ça je ne le dirai pas.

Cependant, les groupes maudits ont souvent un public réservé qui se targuent de connaitre des trucs improbables, mais ça ne peut marcher que pour Badlands qui mériterait d’être redécouvert et apprécié à sa juste valeur, ne serait-ce que pour retrouver la voix zeppelinesque de Ray Gillen. Pour Red Dragon Cartel, c’est juste qu’ils ne sont pas assez connus, c’est tout. Donc, je ne peux pas les mettre dans cette catégorie des « maudits », qui les plomberait à coup sûr, et finirait de les enterrer.

Quand je pense que Jake a failli être le guitariste de Dio à la place de Vivian Campbell, c’est quand même incroyable d’avoir croisé autant de grandes stars dans sa vie. D’ailleurs, les deux guitaristes ont eu un début de carrière assez similaire, quoique plus difficile pour Campbell. En effet, ce dernier n’était payé que quatre cents dollars par semaine la première année en 1983, malgré le succès de son groupe. Lui aussi sera viré pour avoir osé réclamer une augmentation de salaire en 1986. Mais la suite de sa carrière a été plutôt fructueuse, alors que celle de Jake a plongé inexorablement. Mais comme pour Jake E. Lee, ses problèmes furent avant tout financiers et non musicaux. Sauf si on fait abstraction du chèque de 250 000 $ que Jake aurait touché pour l’abandon de ses droits sur son premier album, alors que Vivian Campbell ne composait quasiment rien et n’était, finalement, qu’un exécutant de luxe bien mal payé. Du coup, quand on soupèse bien entre Ozzy Osbourne et Dio, Jake avait bien choisi son camp car si la notoriété est une chose, elle ne vaut rien sans la reconnaissance financière dans ce milieu.

Je n’imaginais pas qu’il pouvait y avoir une lutte des classes dans le music business. En tout cas, ces gens ne sont pas tant à la noce que ça : la précarité est le lot de la plupart des musiciens, tous styles confondus. Car si certains gagnent effectivement bien leur vie, voire très bien, il y en a d’autres qui rament, souffrent et finissent très mal. Je comprends mieux les raisons des changements incessants de personnels qui empoisonnent la vie des groupes : contrairement à ce qu’on peut lire parfois, les incompatibilités d’humeurs ou musicales sont moins fréquentes qu’on ne le croit. La plupart du temps, le départ ou l’éviction d’un musicien est lié à un problème de salaire et rien d’autre.

Si la comparaison entre Jake E. Lee et Vivian Campbell est quasi évidente, il y en a une autre encore plus aisée à faire : celle avec Eddie Van Halen. Or, Jake n’en a presque pas parlé. Pourtant, celui-ci n’a que quatre ans de plus que lui, et il n’a eu du succès que cinq ans plus tôt. Si la mère de Jake E. Lee est japonaise, la mère d’Eddie Van Halen est indonésienne : elles sont toutes les deux asiatiques et ce sont des similitudes qui rapprochent. Bon, c’est vrai que Van Halen a changé la face de la musique rock à cette époque, mais Jake peut largement se placer en guitariste équivalent. Cependant, dans le dernier hit-parade des guitaristes établi par les professionnels du rock en 2011, si Jimi Hendrix en était le numéro un, indétrôné depuis toujours, Eddie Van Halen arrivait en huitième position. Le fameux Randy Rhoads pointait à la trente-sixième place. Aussi loin qu’on regarde dans le palmarès, Jake E. Lee n’apparait nulle part. Pourtant, sa dextérité et son talent sont reconnus par tous : fans et professionnels. Même si ce hit-parade est assez discutable, car certains n’ont vraiment rien à y faire, comme Ron Ashton des Stooges par exemple, 98% des artistes cités sont Anglo-américains et il n’y a que trois femmes.

Bon, je m’égare un peu, car en fait, depuis le début, Jake se fout complétement de faire partie de l’establishment, qui s’autocélébre et ne tient compte que de ceux qui nourrissent le système. C’est un cercle vicieux qui se dévore lui-même et auquel il est très difficile d’échapper, car les ventes peuvent justifier votre classement. Jake ne vend plus grand-chose, donc, son talent doit-être proportionnel à sa notoriété. Pour faire simple : comme Jake refuse d’être une boîte de raviolis, il est invisibilisé. Dans ce cas, j’espère que mon article contribuera à le rendre un peu plus visible pour la masse des fans de rock.

 

Ma retranscription est enfin sortie du néant, elle est brute de décoffrage, sans fioriture, et n’a aucune chance d’être publiée en l’état. Il faut que je réfléchisse à ce que je veux exprimer, mais il faut que je le fasse vite car l’heure tourne. Mais mes yeux sont lourds et mes paupières refusent de faire des heures supp. Mon cerveau ne réagit plus, j’ai trop d’informations qui se bousculent, il faut que je me repose un moment avant de reprendre. Heureusement qu’on est dimanche car une sieste s’impose.

Je me recouche, plutôt énervé. Je sais bien que je n’arriverai pas à dormir tant que je n’aurai pas terminé. Je vais sûrement m’offrir une nuit blanche du tonnerre avant d’aller au mag demain : ça m’apprendra à jouer les fans transis…

Je n’ai finalement pu dormir que quatre heures, et encore, dormir est un grand mot. Je rallume mon ordinateur, je peux largement travailler sur mon article avant de le présenter. J’ai encore des points de contrôle qu’il faut que j’éclaircisse.

Je trouve curieux qu’il n’y ait qu’une seule date de concert prévue en 2020 alors que la tournée 2019 fut quasiment inexistante. Et c’est par hasard que je découvre que Darren Smith (Ndr, le supposé maillon faible) est actuellement retourné dans son groupe d’origine : Harem Scarem, pour y enregistrer un nouvel album et faire une nouvelle tournée… Donc, Jake était au courant bien entendu, mais il a délibérément oublié de le mentionner. On peut difficilement faire l’impasse sur le fait qu’au moment où l’on se parlait, son groupe n’avait plus de chanteur.

Dans la foulée, je découvre également la vraie raison du départ de Darren Smith en 2015 : celui-ci avait un album à enregistrer avec son groupe et Jake n’était pas d’accord pour le laisser partir. Donc, Darren a claqué la porte officiellement, préférant largement Harem Scarem à Red Dragon Cartel. Toutes ces auditions de chanteurs avaient bien pour but de le remplacer définitivement.

Je comprends bien que tous ces musiciens ne sont, en fait, que des mercenaires qui se louent au plus offrant et que l’unité qu’ils affichent n’est qu’une façade. Cependant, Jake n’étant pas réputé le plus aisé financièrement, est coincé car sans chanteur actuellement. Donc, la vraie raison pour laquelle la tournée n’a toujours pas eu lieu, c’est que certains des membres sont occupés ailleurs, et Jake est obligé d’attendre qu’ils soient tous de nouveau libres.

De toute façon, que le groupe fasse une tournée de promotion il y a dix-huit mois ou maintenant, c’est désormais la même chose pour Jake : il n’a vraiment plus aucune pression de nulle part. Et si ses musiciens ont besoin de quelques mois pour réaliser leurs projets : pas de problème, ils peuvent le faire ! Ça prendra juste un peu plus de temps pour réaliser les siens, mais le facteur temps à l’air d’être parfaitement intégré, ou désintégré, du logiciel central de Jake E. Lee. Aujourd’hui, Red Dragon Cartel n’a pas d’horloge ni de calendrier à respecter.

Malgré ça, Jake n’était pas content d’être le seul invité pour cette interview alors qu’il savait très bien que son groupe était en suspens pour le moment. Il avait peut-être envie de profiter de sa venue à Paris pour passer quelques jours avec sa femme ou avec ses amis. Mais voilà, Frontiers Records ne sont pas des gens qui jettent l’argent par les fenêtres. Pas d’album, pas de tournée, donc, une promotion au rabais pour notre homme, et ça ne me parait pas insurmontable à comprendre. Ce qui veut dire, que pour Frontiers, Red Dragon Cartel n’est pas une priorité, mais un placement sur le long terme qui rapportera peut-être un jour ou pas.

Bon ! Est-ce que les lecteurs ont besoin de connaitre ce genre de détails ? Je n’en sais rien pour l’instant. Je me pose trop de questions, alors que je ferais mieux de me consacrer à la mise en forme de l’interview.

Même si j’essaie de garder le curseur au mitan, la balance penchera en la faveur de Jake car j’aime bien l’artiste.

Je crois que j’ai trouvé le titre pour mon article : « Jake E. Lee, le perdant magnifique ». Ouais, ça me plait. Allez, c’est bon pour moi, je le garde…

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2020

Credit photo : Charvel Guitar US (c) 2020

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