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Didier K. Expérience
2 janvier 2023

Entretien Sans Freins (Une vraie fausse interview de Jake E. Lee) 2/20

Jake E

Effectivement, son hôtel se dresse juste en face du bar, c’est le Bastille Excelsior, un trois étoiles sur le boulevard Richard-Lenoir. Le lobby ne paie pas de mine : j’espère que sa chambre est mieux. Jake passe à la réception récupérer son pass-ouverture. L’ascenseur peut à peine nous prendre tous les deux, mais on y parvient, lui, moi et mon sac à dos. On arrive assez vite au troisième étage où se situe sa chambre. Je jette un œil furtif au couloir, c’est propre, ambiance feutrée, mais on est loin du Carlton.

Jake ouvre la porte, allume la lumière, je rentre à sa suite et je souffle. J’avais peur que la chambre soit conforme à mon appréhension. Mais non, c’est spacieux, plutôt bien décoré, avec un King size bed. Sa maison de disques ne s’est pas moquée de lui, c’est déjà ça… Ses bagages, non encore déballés, sont placés dans un coin de la pièce, et seule sa guitare fétiche, une Charvel Signature bleue, est sortie de son étui, posée sur un mini ampli. Il me demande de me mettre à l’aise, de faire comme chez moi. Il allume machinalement la télé, recherche CNN sur le programme, m’oublie quelques minutes le temps de lire les grands titres qui défilent en continue sur un bandeau en bas de l’écran. Il coupe le son, se dirige vers le mini bar, sort un seau à Champagne qu’il remplit de glaces, puis y fourre la bouteille.

-          C’est meilleur quand c’est bien frais, dit-il. Tu as faim ?

Il est plus de 13h, c’est vrai que je grignoterais bien quelque chose. J’acquiesce mollement. Veut-il ressortir faire un resto ?

-          Okay ! Je vais commander des burgers, ça nous calera, et le temps que ça arrive, le vin sera à la bonne température.

Il prend le téléphone de la chambre et appelle la réception qui le redirige vers un fastfood local. Je lui dis de commander pour moi comme pour lui. Il s’occupe de tout, c’est très marrant comme situation.

-          C’est bien la première fois qu’une rock star prend soin de ce que je souhaite.

-          C’est normal, je ne suis pas une rock star, I don’t give a damn, man ! Je m’en fous de tout ce cinéma. Je suis avant tout un musicien, pas un clown de foire. Je comprends que ça puisse plaire à certains, mais moi, tout ce cirque, ça me laisse froid.

Il entrouvre la fenêtre, sort un paquet de clopes, des Lucky Strikes, met en place le cendrier sur le rebord. Il est paré pour démarrer, me dit-il… Euh ! Moi non ! Je n’ai fait que l’observer, comme si j’étais en face d’un animal rare, et maintenant, je me sens bête. Je me dépêche d’installer mon enregistreur numérique qu’il scrute avec intérêt. Il a une petite machine du même genre qui lui permet de capter ses idées quand il joue de la guitare n’importe où… Sa première cigarette est partie en fumée en un rien de temps, il en allume une seconde dans la foulée. Il s’installe sur une chaise, prend sa guitare qu’il gratte sans la brancher. Il coince sa clope entre deux cordes en haut du manche quand il joue, attendant patiemment que je sois prêt.

Bon, je n’en ai pas pour des heures non plus. Je vérifie que l’enregistreur est sur « on » et c’est parti.

-          Comment se fait-il que vous ayez mis près de quatre ans pour donner une suite à votre premier album ?

-          Eh bien ! On n’était pas pressé non plus. Les choses doivent se faire quand il faut. On a pas mal tourné pour le 1er album, il fallait bien se faire connaitre et ce fut long. Red Dragon Cartel sort du néant, même si ses membres ne sont pas des inconnus, le processus a été long pour composer, connaitre la direction qu’on voulait donner à notre musique. Le problème majeur a été de trouver un chanteur parce qu’au début, on avait l’idée d’enregistrer chaque titre avec un chanteur différent, mais on s’est heurté à un autre dilemme, celui de faire vivre cet album avec plusieurs chanteurs sur scène et en tournée. Puis Darren est arrivé et le projet a pu se développer.

-          Concernant le départ de Ronnie Mancuso et le retour de Greg Chaisson, si je peux dire ça. Que s’est-il passé ?

-          Ronnie avait autre chose à faire que de refaire un album avec nous. C’est tout ce que je peux dire le concernant. Quant à Greg, je le connais depuis longtemps, c’est un ami personnel, il était déjà dans Badlands avec moi et Eric Singer en ‘91. Mais il nous a quitté depuis, donc on a un nouveau bassiste qui se nomme Anthony Esposito, et qui est accessoirement notre producteur…

-          En 2019, Red Dragon Cartel pourrait être l’évolution de Badlands de 1991, non ? Ce son zeppelinesque est un peu devenu ta marque de fabrique.

Jake sourit gentiment, il a l’air satisfait de la comparaison avec Led Zeppelin.

-          J’aime surtout ce genre de musique. Donc, c’est un peu normal de retrouver cette sonorité « zeppelinesque » comme tu dis, dans ma musique. C’est aussi celle avec laquelle j’ai été élevé.

-          Tu étais fan de Tommy Bolin, je crois, non ?

-          Je le suis toujours ! Tommy Bolin a été et reste mon inspiration première depuis que j’ai découvert la guitare vers l’âge de 13 ans. Tommy a été le guitariste de Deep Purple sur le dernier album « Come Taste The Band » en remplacement de Ritchie Blackmore en ‘75. Puis il a fait deux albums solos avant de mourir d’une overdose en ‘76. Mon tout premier groupe s’appelait Teaser, du nom du titre de son premier album solo. Je vivais à San Diego en Californie, avec ma famille quand je suis tombé dans la grande marmite du rock n’roll, il y a déjà près de cinquante ans. En fait, tout a démarré quand j’ai découvert Jimi Hendrix et ensuite Tommy Bolin, que j’ai essayé d’imiter.

Il pose sa guitare, se lève et quitte enfin son manteau, qui laisse apparaitre une chemise blanche surmontée d’un gilet en cuir noir qui le moule désavantageusement. Lors de son arrivée dans le bar ce midi, j’avais l’impression de voir une momie desséchée, alors que j’aperçois maintenant un embonpoint compressé par le gilet. Le jeune et beau garçon aux abdos seyants n’existe plus. Et les hamburgers qu’on attend ne vont pas arranger sa silhouette. Mais je crois qu’il s’en fout royalement de tout ça, désormais.

On frappe à la porte, c’est le réceptionniste, Jake ouvre et découvre qu’il est accompagné par le livreur de sandwichs : notre commande est enfin arrivée. A mon tour, je les rejoins pour payer l’addition : le séjour de Jake E. Lee à Paris est entièrement pris en charge, soit directement par sa maison de disques, soit par mon magazine qui défraie pendant l’interview.

Jake se laisse faire, prend les paquets et me laisse régler la note. Il installe tout sur la table basse de la chambre. Il en profite pour ramener le seau avec la bouteille de vin blanc qui est désormais bien fraiche. Je suis juste un peu déçu de la déguster avec des burgers et des frites. Jake fait sauter le bouchon et nous sert deux grands verres. On trinque, le vin est succulent. On croque chacun dans nos burgers, Jake est affamé, le décalage horaire sûrement. Le vin ne s’accorde pas du tout avec ce qu’on mange, mais Jake est ravi, c’est le principal.

Je reprends l’entretien la bouche pleine.

-          Désormais, c’est à mille lieues de ce que tu as fait avec Ozzy Osbourne. On a du mal à croire que tu as fait du heavy metal avec Ozzy et du hard blues avec Badlands et Red Dragon Cartel.

-          Pourtant, c’est bien moi. Mais à l’époque de « Bark At The Moon », ce n’était pas mon son non plus. D’ailleurs, je serais bien incapable de définir ce qu’est mon son, car j’ai pas mal évolué musicalement depuis que j’ai appris à jouer de la guitare. Tu sais, j’ai démarré la musique avec un groupe de funk, puis j’ai fait de la country-music, et tout un tas de trucs différents, c’est ce qui a façonné mon son. Mais celui de « Bark At The Moon », n’était clairement pas le mien.

-          Tu as remplacé Randy Rhoads en 1983, qui est décédé en mars 1982, et qui avait enregistré les deux albums solos d’Ozzy Osbourne. Comment s’est passé la transition ?

-          Oh ! Tu veux savoir ça ? Mais tout le monde le sait depuis le temps… Tu crois que ça intéresse encore quelqu’un ? Et ici en France ?

-          La majorité des lecteurs de « Rock Mag » sont jeunes et ne connaissent pas forcément ton CV, mais tout ce qui touche à l’environnement de Black Sabbath les captive. Je sais qu’ils seront passionnés par ce genre d’infos. Je crois qu’une rétrospective de ta carrière pourrait les intéresser énormément. Les Français sont toujours en retard d’un train, mais ils se passionnent pour ce genre d’histoires.

Jake mâche, fume, et arrose le tout de grandes rasades de vin : en gros, il réfléchit. La bouteille descend dangereusement d’ailleurs. On ne va pas tarder à être en manque… Il souffle un peu de dépit, il n’a pas l’air d’avoir vraiment envie de parler de son passé. 90% des demandes d’interview sont basés sur son histoire avec Ozzy Osbourne, et je comprends que ça le saoule un peu.

-          Tu sais, début ‘80, aux États-Unis, c’était difficile de passer à côté d’Ozzy Osbourne et du succès phénoménal de ses deux premiers albums. Bien sûr que je connaissais Randy Rhoads, c’était sûrement le plus brillant des guitaristes américains de l’époque. J’avais fini par déménager à Los Angeles, et j’étais un des guitaristes de Ratt… Tout le monde voulait être le nouvel Eddie Van Halen, tu peux me croire. La scène metal de L.A était obsédée par le phénomène Van Halen, pas encore par Randy Rhoads. Cependant, tout le monde jugeait Randy comme son meilleur avatar. Sans aucun doute, Ozzy avait déniché la perle rare. Il avait un talent incroyable, une technique, un groove, une dextérité dingue pour son âge, et c’était un excellent compositeur… Son décès à vingt-quatre ans, dû à cet accident d’hélicoptère pendant le « Diary Of A Madman US Tour ’82 » à Miami a été un vrai choc pour tout le monde.

Je vois que Jake réfléchit à ce qu’il dit. Il pèse ses mots.

-          J’ai remplacé Randy quasiment un an après sa mort. C’est seulement au dernier concert de la tournée « Speak Of The Devil » à l’US Festival en mai ’83, à San Bernardino, dans la banlieue de Los Angeles que j’ai officiellement été admis dans le groupe.

-          En fait, Ozzy t’a débauché de Ratt pour te prendre dans son groupe ! Comment a-t-il fait pour te connaitre ?

-          Je n’ai pas quitté Ratt pour son groupe. Non, pas du tout. A cette époque j’étais avec Rough Cutt, mais je passais pas mal de temps avec Dio... Je connaissais très bien Ronnie parce que sa femme était notre manageuse. Ronnie avait même produit la première maquette de Rough Cutt… En fait, Ronnie James Dio venait de quitter Black Sabbath et montait son projet solo, j’ai fait quelques essais avec lui.

Je marque mon étonnement, je ne le savais pas. Il rit de me voir ébahi.

-          Tu es surpris, hein ? ajoute-t-il en riant… Debut ’83, je passe une audition avec Dio, mais rien d’officiel pourtant … Donc, je suis avec Dio dans son garage à L.A, lui au chant et à la basse et Vinnie Appice à la batterie, des demi-dieux pour moi (Ndr : des ex Rainbow ou des ex Black Sabbath) … On travaillait sur un titre qui deviendrait « Holy Diver ». Je sais que la légende veut que ça soit moi qui aie composé la chanson « Don’t Talk To Strangers », mais non, ce n’est pas moi... Si tu veux savoir, j’ai juste pondu le riff, mais c’est Ronnie James qui l’a composé et Vivian Campbell qui l’a enregistré… Voilà en fait, j’ai vraiment quitté Rough Cutt pour Ozzy Osbourne.

Je vérifie mon enregistreur. Tout va bien, ça tourne toujours. Malgré que Jake parle tout le temps, il a englouti ses deux burgers et ses frites, et il n’hésite pas à piocher dans mon paquet. Et c’est quasi officiel, on va manquer de vin. Je le laisse vider la bouteille. Sans se lever de sa chaise, il se tourne vers le mini bar et en sort deux canettes de bière qu’il me demande de décapsuler pendant qu’il termine son verre.

-          Donc, je répétais avec Dio quand j’ai rencontré Dana Strum qui cherchait des guitaristes. Ce gars fut le tout premier bassiste du Ozzy Osbourne Band en ’80, bien avant Rudy Sarzo, c’est quelqu’un de confiance pour le couple Osbourne. C’est lui qui avait présenté Randy Rhoads à Ozzy, d’ailleurs… Strum m’a demandé de venir en studio pour enregistrer un morceau, n’importe quoi en dix minutes, et faire une photo. Quand je me suis pointé au studio, on était une dizaine à attendre notre tour, dont George Lynch, qui lui, était déjà en poste avec Dokken. Strum a envoyé l’enregistrement à Ozzy, et ô miracle, j’ai été sélectionné.

Jake sourit tout en se rinçant le gosier de bière Heineken. Il marque une pause qui me fait languir. Manifestement, ça l’amuse je le vois bien.

-          Et tu as eu le job ?

Il rit.

-          Pas tout à fait ! Ozzy m’a fait passer un second test, mais avec le groupe au complet. Il m’avait demandé d’apprendre deux titres, « Crazy Train » et « I Don’t Know », que j’ai un peu foirés pendant l’audition. En fait, George Lynch, qui avait été sélectionné également, était passé juste avant moi… Ozzy voulait George, c’était clair pour tout le monde, y compris pour moi : il avait été bien meilleur que moi. Je croyais qu’il m’avait fait venir juste pour être sûr de faire le bon choix. A la fin de la session, Ozzy nous a rejoints pour nous parler à tous les deux : je m’attendais à être poliment remercié. Il me regarda un long moment en silence, les mains dans les poches de sa gabardine. Finalement, il m’a demandé si je voulais « la » faire. Faire quoi ? répondis-je surpris. Faire la tournée, bien sûr ! Et j’ai simplement dit « oui ». Là, il s’est tourné vers George et il lui a annoncé que j’avais le job et qu’il était viré.

-          Ozzy a dit à George Lynch qu’il était viré ?

-          C’est exactement le mot qu’il a employé. Je peux te dire que j’étais plutôt mal à l’aise. C’était très humiliant… Bon, George ne m’en a jamais voulu, on est même devenus amis, mais c’était tendu comme situation... Dieu seul sait ce qui a pu passer dans la tête d’Ozzy ce jour-là. Yeah man ! God only knows !

Il se tourne comme une girouette sur sa chaise, il cherche quelque chose. Il s’allume une énième clope.

-          Si on faisait monter du vin ? Cette conversation m’a donné soif, pas toi ?

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2020

Credit photo : Charvel Guitar US (c) 2020

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Didier K. Expérience
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