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Didier K. Expérience
1 mars 2023

Enfin l'Eden - E.29/35

Enfin L'Eden 2

Afrique du Sud. Aéroport O.R. Tambo de Johannesburg. Adresse de Bernaard De Klerk à Sandton : Septembre 1996.

   La relève était venue très tard, laissant Bernaard De Klerk dans l’incertitude, à tourner comme un lion en cage toute la journée. Deux agents, des blancs cette fois-ci, se présentèrent enfin. De Klerk voulut plaisanter en afrikaans avec eux, mais ils restèrent de marbre. Pourtant, il en était sûr, c’était bien des Afrikaners, mais la préférence ethnique ou raciale ne fonctionna pas. Ces hommes n’étaient pas venus seuls, un homme brun de peau, un indien lui semblait-il, les accompagnait.

-          Bonjour monsieur De Klerk, je suis maître Aziz Pathi, votre avocat commis d’office.

-          Bonjour maître Pathi ! Je ne savais pas que j’avais besoin d’un avocat.

-          On a toujours besoin d’un avocat, surtout dans votre cas. Cependant, votre cas n’est pas désespéré, puisque je vais vous annoncer une bonne nouvelle. Vous étiez, certes, recherché, mais votre arrestation ne nécessiterait pas d’incarcération. Un juge de Johannesburg en charge de votre dossier, a décidé de vous placer en résidence surveillée jusqu’à ce que la date de votre procès soit fixée. Je vous conseillerai donc de prendre un avocat pour savoir ce qu’on vous reproche. Je transmettrai l’affaire à mon confrère dès qu’il m’aura contacté. Voici ma carte.

Effectivement, c’était une bonne nouvelle. De Klerk sourit béatement, mais les deux sbires qui accompagnaient l’avocat n’avaient pas l’air aussi heureux de cette nouvelle que lui.

-          Ces messieurs, qui sont de la police, ont aussi des choses à vous dire, ajouta maître Pathi.

-          Nous allons vous accompagner jusqu’à votre lieu de résidence à Sandton. Cependant, vous devez savoir que votre appartement a été, comment dire, visité.

-          Comment ça, visité ?

-          Cambriolé, serait plus juste. Et un peu saccagé aussi. Mais c’est le lot commun de certains quartiers en Afrique du Sud actuellement. Donc, si vous jugez votre résidence habitable, nous vous y laisserons, sinon on vous logera à l’hôtel. Vous aurez des heures de sorties et nous viendrons vous contrôler tous les jours. En cas de manquement à ces règles, vous serez incarcéré. Est-ce compris ?

Tout le monde attendait sa réponse, surtout l’avocat.

-          Oui, j’ai compris.

Maître Pathi consigna sa réponse, et demanda aux policiers d’ouvrir la cellule, ce qu’ils firent. Bernaard De Klerk se retrouvait en semi-liberté sans avoir levé le moindre petit doigt. Il leva les yeux au ciel et remercia son Seigneur d’avoir exaucé aussi rapidement sa prière.

Les deux policiers en civil lui remirent ses affaires et lui demandèrent de les suivre. Bien évidemment, le Glock n’était plus dans sa valise. Plus de menottes aux poignets, non plus.

A l’extérieur de l’aéroport, ils embarquèrent tous les trois dans une voiture banalisée, sans gyrophare. Le voyage jusqu’à Sandton se fit en moins de trente minutes.

Effectivement, le quartier chic avait un peu changé. Des immeubles calcinés comme s’ils avaient subi un bombardement, des poubelles remplies ou jamais vidées, des trottoirs repoussant de saleté, des tags partout sur les murs, peu de voitures dans les rues, aucuns feux de signalisation en fonction, le chaos avait remplacé le chic, sûrement comme dans tous les quartiers en voie de ghettoïsation du monde.

Les deux policiers le laissèrent en bas de son immeuble, dont nombre de fenêtres étaient barricadées. Le lobby, autrefois si accueillant, était désormais dans un état de décrépitude avancée, les boîtes aux lettres toutes défoncées, la loge du gardien en ruine. La porte d’entrée semblait avoir disparue depuis longtemps, et évidemment, plus de gardien non plus.

Quand De Klerk arriva à son étage, il n’eut pas besoin de beaucoup de temps pour comprendre ce qui l’attendait : la porte avait été fracturée, mais tenait encore debout, il la poussa d’une main. Dans l’entrée, tous les meubles avaient été renversée, ses livres dispersés, il y avait même des trous dans les murs, comme si quelqu’un avait mis des coups de pioche pour creuser dans la roche. Il n’aurait jamais cru qu’une telle apocalypse puisse avoir lieu dans son appartement.

Il entendit des pas dans le couloir, il reconnut l’un des deux policiers qui l’avait accompagné.

-          Désolé docteur. Je sais, c’est moche de rentrer chez soi et de voir son appartement dans cet état. J’en suis désolé, mais c’est l’égalité partout, maintenant. Dans la nation Arc-en-ciel, tout le monde morfle, c’est comme ça… Alors, que décidez-vous ?

-          Je reste. Je vais tout ranger, ça m’occupera si je dois y demeurer toute la journée… C’est décidé, je reste.

-          Très bien ! Je suis le lieutenant Kirby, voici ma carte. Si vous voulez quoi que ce soit, vous m’appelez… Enfin, dès que vous aurez le téléphone, corrigea-t-il en voyant les fils arrachés. De toute façon, on passera vous voir tous les jours… Mais n’oubliez pas : si vous n’êtes pas là lors de notre passage, vous logerez en prison. C’est bien clair, n’est-ce pas ?

Bien sûr que De Klerk avait compris, il connaissait parfaitement les prisons sud-africaines, puisqu’il y avait mené des expériences mortelles. Si elles n’étaient déjà pas dans un bon état à son époque, ça devait être pire aujourd’hui, mais il n’avait pas envie de le vérifier. Il leva les yeux au ciel encore une fois : son Seigneur ne lui faciliterait pas la vie pour autant.

Même si la porte d’entrée tenait plus par l’opération du saint esprit que par ses gonds, il fit d’abord rétablir la ligne de téléphone. Ce qui lui permit ensuite de contacter tous les corps de métiers dont il avait besoin pour remettre les lieux en état. Tous les artisans se firent prier quand il annonça qu’il habitait à Sandton, car l’endroit idyllique était devenu un coupe-gorge réputé. Mais De Klerk payait en dollars US et en liquide, et il transforma sa surveillance policière en protection rapprochée, ce qui rassurait les ouvriers. Puisqu’il avait la police sur le dos, autant s’en servir. Donc, il montrait à tout le monde la voiture garée en face, il faisait parfois signe aux inspecteurs, qui lui répondaient gentiment.

Il n’en avait parlé à personne, mais sa femme Retha et ses enfants n’étaient plus revenus dans l’appartement depuis qu’ils étaient partis au Cap. C’était un cruel désaveu envers lui, lui qui avait toujours été fidèle à ses principes ; eux l’avaient quitté sans état d’âme apparemment. Séparé mais pas divorcé car dans sa communauté, on ne divorçait pas, cette subtilité lui convenait finalement.

En un mois, le chantier fut terminé. Il fit poser une porte blindée avec un judas à la fin des travaux. Cependant, vivre dans cet environnement ne l’enchantait plus tant que ça. Il se sentait piégé à l’intérieur mais en danger dès qu’il sortait.

Au début, les policiers venaient le voir et pointaient sa présence aux heures obligatoires, puis au fur et à mesure que les travaux avançaient, ils ne se donnèrent même plus la peine de monter, ils klaxonnaient, il apparaissait à la fenêtre, puis ils repartaient. De Klerk avait remarqué que les agents qui le surveillaient étaient tous des blancs, il supputa qu’ils devaient tous être afrikaners pour être aussi relaxes avec lui, et qu’une complicité commençait à s’établir doucement. Rien n’était tout à fait perdu dans ce monde.

Il fallait qu’il s’occupe de son affaire en justice, mais la vie de l’immeuble lui prenait encore beaucoup de temps. Surtout que maintenant que les locataires étaient livrés à eux-mêmes, ils devaient s’organiser pour survivre.

Lui et les habitants restants de l’immeuble, avaient nettoyé et réparé le lobby. Le facteur pouvait même y déposer le courrier. Petit à petit, les fenêtres barricadées furent remplacées. L’immeuble retrouva un peu de son éclat d’antan. Ils nettoyèrent aussi la loge du gardien, et décidèrent de le remplacer par un vigile armé, surtout la nuit. Une connaissance de De Klerk, un ancien policier d’origine afrikaner reconverti dans une milice privée, accepta le job.

Donc, désormais De Klerk pouvait recevoir du courrier et en envoyer. Il écrivit au juge qui avait permis de le laisser en résidence surveillée. La réponse de celui-ci vint rapidement, elle l’étonna mais elle méritait toute son attention.

Ce dernier lui demandait simplement de comparaitre à une audition de la Commission Vérité & Réconciliation*. A la fin de cette audition, un juge statuerait sur son sort, mais cette commission n’était pas une cour de justice. L’audience aurait lieu à East-London au Cap-Oriental et serait présidée par l’archevêque Desmond Tutu en personne. En revanche, si De Klerk refusait de comparaitre ou ne se présentait pas, une procédure pénale serait déclenchée contre lui. Pour le moment, il n’avait pas besoin d’avocat pour se défendre, mais il n’était pas interdit d’en avoir un ce jour-là. Une date de comparution lui parviendrait dans les prochains jours. Le juge insistait bien sur le bienfondé de cette commission et lui recommandait expressément de s’y rendre.

Ainsi, Bernaard De Klerk venait de réparer son appartement, mais c’est à East-London qu’aurait lieu le dénouement. Ville assez proche du Cap où résidaient son épouse et ses enfants.

Effectivement, il reçut sa convocation quasiment deux jours après la lettre du juge. Comme il était en résidence surveillée, il serait mené à East-London par les deux policiers qui étaient habituellement en faction de l’autre côté de sa rue. L’audience était fixée au vendredi 23 septembre 1996, c’est-à-dire dans 48h. Il n’avait aucun prétexte à opposer pour repousser la date étant donné qu’il était à la merci de la justice de son pays. Bien entendu, comme ils y allaient en voiture, ils partiraient la veille ; il y avait un peu plus de neuf cents kilomètres de distance, mais avec ce qu’il avait vécu sur les routes de Lybie et de Tunisie, ce trajet ressemblerait plus à un voyage d’agrément qu’à une corvée.

*CVR : commission mise en place par Nelson Mandela et Desmond Tutu dès 1995 pour permettre aux victimes et aux accusés de s’expliquer et de se réconcilier. Des ex ministres, des ex présidents et des officiers supérieurs, ainsi que des membres de l’ANC qui avaient commis des attentats, furent entendus.

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2023

Credit photo : Didier Kalionian (c) 2023

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Didier K. Expérience
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