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Didier K. Expérience
18 février 2023

Enfin l'Eden - E.18/35

Enfin L'Eden 2

Libye. Misrata. Quartier d’Al-Shuwaren. Section Recherche & Transformation, Villa Pizzari : avril 1994.

   Deux semaines après « l’incident », toute l’équipe était retournée au travail de modélisation du futur missile, sauf qu’Ivanov et White n’intervenaient plus pour aider leur collègue Zimmermann, celui-ci devant se débrouiller seul désormais. Même si le projet était sous les ordres de Bernie White, il n’intercéderait plus que pour confirmer ou infirmer les ordres.

Bien évidemment, le travail n’avança pas, le problème étant revenu à son point de départ.

Cependant, un matin, un jeune officier d’une trentaine d’années fit son apparition dans la salle à manger. Un grand brun, cheveux ras, Ray-Ban sur le nez, uniforme sable impeccable, manches roulées sur des biceps seyants, une sorte de latin lover qui jouerait dans une sitcom située dans une base militaire du Pacifique.

White était formel, il n’avait jamais vu ce milicien auparavant même si son visage ne lui était pas inconnu. Le nouveau venu se servit un café avec les manières de celui qui a été éduqué par les meilleures institutions du monde civilisé : donc, loin d’ici. White fut surpris de le voir s’approcher de sa table, d’y déposer sa tasse et de s’assoir.

-          Puis-je m’associer à votre petit déjeuner ? s’enquit-il avec l’accent d’Oxford.

-          Je vous en prie, faites !

De toute façon, refuser n’aurait servi à rien puisqu’il s’était déjà installé. Que lui voulait donc ce jeune homme ?

-          Je ne suis pas venu pour troubler votre collation. Je suis venu pour vous parler… Pardon, je manque à tous mes devoirs, je ne me suis pas présenté. Je suis le colonel Saif-al-Islam Kadhafi, second fils du Raïs et adjoint au chef du renseignement extérieur.

Un autre colonel Kadhafi ! Fallait-il vraiment que la Libye en supporte un deuxième ? se dit Bernie White.

-          Enchanté, M. Kadhafi. Moi je suis le docteur White… Que me vaut votre visite ?

-          Je sais qui vous êtes. Je n’ai pas beaucoup de temps à vous accorder, je serai donc bref. J’ai assisté à la projection du film sur le dernier essai avec cette roquette. Contrairement à mon père, je trouve ça très intéressant.

-          Désolé de vous contredire, mais le projet est enterré.

Le jeune Saif-al-Islam Kadhafi dodelina de la tête.

-          Je ne suis pas du même avis. Ce projet mérite un développement adéquat. Nous étions plusieurs dans la salle de projection, et outre mon oncle (Abdallah al-Senoussi) et mon père, il y avait aussi mon supérieur, Moussa Koussa, chef du renseignement extérieur. Il se trouve que mon supérieur a été séduit par votre roquette… En fait, je suis ici pour être convaincu de son utilité. Si mon oncle possède l’oreille droite de mon père, mon supérieur a son oreille gauche. Si vous me convainquez du bien-fondé de la réalisation d’une roquette au lieu d’un missile de type Scud-A, je serai tout disposé à défendre votre point de vue devant mon père.

-          Malheureusement, je n’ai pas l’autorisation de reprendre mes travaux sur cette roquette, je dois me concentrer sur le mini-Scud. Personnellement, je suis prêt, c’est la propulsion qui ne fonctionne pas mais ce n’est pas de mon ressort.

Kadhafi junior avait beau faire partie de la famille, il ne pouvait pas déroger aux ordres de son père ni de son oncle.

-          Vous reste-t-il un exemplaire de cette roquette ?

-          Oui, bien sûr.

-          Pouvons-nous faire un essai ?

-          Oui, mais… C’est le capitaine Ben Nasser qui décide.

Junior se redressa, leva la main et claqua des doigts, un serveur apparut sur le champ.

-          Toi, là ! Approche. Va me chercher le capitaine Ben Nasser, fissa !

Ce dernier arriva dix minutes plus tard, suant, haletant, l’uniforme froissé de celui qui ne se change pas souvent, rien à voir avec le jeune homme qui faisait presque office de gravure de mode. Lui qui ne lâchait jamais son fusil-mitrailleur, se mit au garde à vous et attendit qu’on lui parle :

Le jeune officier s’exprima en anglais, et contre toute attente, Ben Nasser lui répondit parfaitement dans la langue de Shakespeare. Donc, il simulait bien de ne jamais rien comprendre.

-          Capitaine, dans le cadre de ses recherches, j’aurai besoin du docteur White aujourd’hui. Y aurait-il une objection ?

-          Il me faut un ordre pour qu’il puisse sortir de la résidence.

-          Nous resterons dans le parc.

-          Dans ce cas, pas besoin d’ordre, mon colonel.

-          Merci de votre coopération capitaine, vous pouvez disposer.

L’homme, toujours au garde à vous, claqua des rangers sur le sol marbré puis rompit.

-          Vous comptez faire un test dans le parc ?

-          Nous n’avons pas le choix. J’ai du pouvoir mais pas tous les pouvoirs. Si je demande la permission de vous faire faire ce test, elle sera refusée. En revanche, si c’est moi qui le fais, c’est différent, mais j’aurai besoin de vous pour me guider et me filmer.

Bernie White accepta d’un signe de tête. L’assurance de ce jeune homme lui plaisait, à moins que ça ne soit sa prétention à vouloir résoudre tous les problèmes car dans les dictatures, y compris dans les népotismes, c’est toujours le dernier qui sort du bureau du chef qui l’emporte et non celui qui a raison. Qui sait ? Serait-il le dernier à fermer la porte ? Il était de notoriété publique que le jeune Saif-al-Islam était en compétition avec son frère Moatassem pour la place de dauphin. Un des deux risquait de le payer cher surtout s’il commettait des erreurs ou tentait quoi que soit pour obtenir le pouvoir avant l’heure. Kadhafi junior avait un beau sourire, celui des requins qui s’apprêtent à croquer leur proie. White savait où il mettrait les pieds en venant en Libye, mais il ne se doutait pas que ce serait aussi compliqué de plaire à ses nouveaux maitres.

Kadhafi junior avala son café d’un trait puis reposa brusquement sa tasse :

-          Dans ce cas, on y va, maintenant. Allez chercher discrètement cette roquette et retrouvez-moi sur la terrasse à l’arrière du bâtiment.

Les deux hommes se levèrent d’un même mouvement et quittèrent la salle à manger. Saif-al-Islam poursuivit vers la terrasse, White monta à l’étage où se situait le labo et récupéra une caisse en bois qui contenait les prototypes de roquettes. Il se fit aider par Ivanov qui, comme d’habitude ne montra pas son inquiétude, que White devina pourtant sans problème.

Les deux savants déposèrent la caisse sur la terrasse. Saif-al-Islam Kadhafi les y attendait, surveillé non loin de là par le capitaine Ben Nasser qui avait pris place à l’avant d’un pickup. Deux miliciens étaient en train d’installer une cible en paille à l’autre bout du parc.

-          Nous devons faire vite, Ben Nasser a dû informer mon oncle.

Bernie White sortit la roquette de la caisse et l’emboita sur un fusil AK-47.

-          Voilà ! Vous ajustez le viseur pour tirer et dès que la cible est dans votre angle de tir, vous pressez la gâchette, c’est aussi simple que ça. Normalement, la charge chimique doit se trouver dans le creux du projectile. Là évidemment, il est vide, sinon on va tuer tout le monde. Ça ne change rien au poids du projectile, qu’il soit plein ou vide, c’est quasiment la même chose. Vous êtes prêt ?

-          Je suis prêt ! Et vous, n’oubliez pas d’armer la caméra.

-          Ivanov filmera. Moi je vais vous guider.

Le jeune colonel avait mis un casque et des bouchons dans les oreilles, il abaissa ses Ray-Ban sur le nez : le test pouvait commencer… Il bloqua son souffle, pressa la détente, la roquette partit et alla exploser la cible à trois cents mètres, créant la surprise dans le camp des miliciens, faisant sursauter les savants. Tous vinrent voir, ahuris, ce qui avait causé cette déflagration dans un coin du parc. Dépité, Ben Nasser accourut vers les trois hommes.

-          Non mon colonel, il ne faut pas faire ça ! beugla-t-il. On n’a pas l’autorisation.

Mais le jeune colonel ne s’intéressait qu’au savant :

-          C’est excellent, docteur White. Je vous félicite. C’est exactement ce qu’il nous faut.

Le jeune homme avait l’air satisfait de son nouveau jouet. En tout cas, il ne cachait pas sa joie et souriait de ses belles dents blanches comme s’il voulait séduire le jury du festival de Cannes.

-          A votre tour, capitaine ! ajouta-t-il.

-          Mais mon colonel…

-          C’est un ordre ! Armez le fusil…

White fournit la roquette au capitaine Ben Nasser, mais junior voulait que ce dernier s’exécute seul, sous l’œil de la caméra qu’Ivanov ne lâchait pas.

-          Filmez bien Ivanov, c’est important… Quant à vous capitaine, visez les restes de la cible. Mektoub inch’allah !

Le capitaine ajusta l’arme, pointa, visa puis tira : la roquette alla s’écraser à l’emplacement exact où se trouvait la cible initialement.

-          Si le capitaine et moi pouvons le faire, tout le monde pourra le faire, conclut Saif-al-Islam conquérant. C’est une arme extrêmement maniable, c’est exactement ce que nous recherchons… Donnez-moi la caméra et le film, je repars sur le champ pour Tripoli.

Ivanov s’exécuta, trop content de se débarrasser des preuves qu’il avait enregistrées. White gardait les mains dans les poches de sa blouse blanche, satisfait de ce qui s’était passé.

Zimmermann avait suivi la scène depuis les fenêtres de son atelier, il était resté impassible, se doutant du résultat final en haut lieu. Il ordonna à ses gens de retourner travailler sur le mini Scud-A.

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2023

Credit photo : Didier Kalionian (c) 2023

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Didier K. Expérience
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