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Didier K. Expérience
10 février 2023

Enfin l'Eden - E.10/35

Enfin L'Eden 2

Italie, quartier gare de Termini et aéroport de Rome Fiumicino, Rome : février 1994

   Bernie White avait fait partie du NIS quasiment toute sa vie, (il n’avait même jamais connu d’autres employeurs), mais s’il en était membre, c’était comme chimiste et comme scientifique, non comme espion. Son grade de colonel était plus fantaisiste qu’autre chose même s’il avait été souvent en opération pour épauler ceux qui utilisaient ses dirty tricks : c’était un militaire d’opérette. Alors que Jean Berger était un espion à la James Bond, si tant est que cela existât. Lui savait se comporter dans n’importe quelle situation avec un calme inspiré par ses montagnes suisses. Bien sûr, Bernie avait fait des stages mais c’était surtout son goût du secret, de la discrétion, et sa détermination sans faille qui faisaient office d’entrainement permanent chez lui. Cependant, rester enfermé toute la journée dans sa chambre d’hôtel à attendre ce coup de fil, serait une véritable épreuve.

Il aurait voulu confier à son « ami » qu’il avait ouvert un compte en banque en Italie, mais il s’était ravisé de justesse. Sa précieuse mallette resterait en sûreté loin des regards des autres, et un secret mieux gardé que l’accès de la pyramide de Khéops.

Désormais, il ne pourrait compter sur personne : l’Israélien Avi Haffner n’avait plus jamais donné signe de vie, mais ce n’était pas plus mal car lui ne l’aurait jamais laissé rejoindre la Libye ou l’Irak. Quant à ses anciens collègues, ils étaient bien trop occupés à sauver leur peau pour se sacrifier pour celle des autres.

Comme le lui avait dit Wagner, Bernie White ne sortait plus de l’hôtel. Il passait ses journées à regarder la télévision italienne, bien plus dévergondée que celle de chez lui, dominée par la SABC si prude et si disciplinée. Cependant, les infos internationales ne mentionnaient quasiment rien sur l’Afrique du Sud et ses changements à venir. Même à la télévision, ses problèmes n’intéressaient personne… Il regardait également par la fenêtre sans s’en approcher, mais il ne notait jamais aucune activité suspecte. Il prenait ses repas seul, ne parlait à personne. Le gérant de l’hôtel s’en était aperçu et lui avait demandé si tout allait bien car c’était une attitude plutôt atypique pour un homme d’affaire.

Si les deux premiers jours se passèrent tranquillement, au troisième, Bernie commença à s’inquiéter sérieusement. Le quatrième jour, il ne décolla plus de la fenêtre, s’attendant à être arrêté d’un moment à l’autre, mais la circulation routière chaotique du quartier de la gare ne varia pas d’un iota.

Le cinquième jour, à 8h du matin, le téléphone sonna, le réveillant en sursaut.

-          Pronto ! M. White speaking ! bafouilla-t-il.

-          Ici Wagner ! C’est maintenant. Bonne chance.

Son interlocuteur avait raccroché, le laissant coi. Cinq jours d’attente pour cinq secondes d’appel ! maugréa-t-il. Cependant, le temps qu’il retrouve ses esprits, on frappa à sa porte. Lui qui était encore en pyjama enfila une robe de chambre et ouvrit. Là, un chasseur de l’hôtel lui tendit une lettre.

-          Signor White, è appena arrivata une lettra per voi !

-          Grazie mille ! répondit-il en récupérant le pli.

Il ouvrit délicatement l’enveloppe dès la porte refermée : celle-ci ne contenait qu’un ticket de consigne de la gare de Termini avec le code K.1994 inscrit au dos au stylo.

La lumière lui vint telle une révélation divine : les instructions se trouvaient à la consigne de la gare. Plus de temps à perdre, il s’habilla, régla la note de sa chambre, quitta l’hôtel presqu’en coup de vent.

Il trouva facilement le casier K, tapa le numéro 1994, et la porte s’ouvrit : il en retira une petite valise dont les deux clés étaient sur les verrous. Pour plus de sécurité, il décida d’en vérifier le contenu dans les toilettes. Il découvrit une lettre qui décrivait en détail les instructions à suivre, ainsi qu’un aller-retour valable soixante jours en première classe sur la Tunisair pour Djerba* en Tunisie, départ ce jour à midi depuis Fiumicino, la traduction de son passeport en arabe, et un visa dûment rempli : Berger avait fait des miracles pour obtenir tout ça en un temps record finalement. Il ouvrit une petite sacoche en cuir : elle contenait le fameux courrier pour le Raïs** de Libye. Assis sur la toilette, il huma et tripota consciencieusement la lettre pour voir si elle n’était pas piégée d’une quelconque façon : il ne décela ni odeur ni protubérance suspectes, ni poison ni bombe. Il en avait suffisamment piégé pour pouvoir les reconnaitre rapidement. Il voulait bien faire le facteur, mais il était hors de question qu’il soit le porteur de mort du monde occidental. Dans le passé, Kadhafi avait été un ennemi, il s’était mué en potentiel sauveur et il tenait à sa vie.

La valise contenait aussi une veste en tweed qu’il inspecta minutieusement : R. A. S. Il enfila la veste, transvida ses poches de l’une vers l’autre, mit la sacoche en bandoulière, et sortit tout pimpant des WC. Les instructions précisaient qu’Abdulayev l’attendrait à l’aéroport de Djerba-Zarzis. Comme il connaissait l’homme, c’était rassurant. Tout était clair.

Avant de sortir de la gare, il s’aperçut que quelques dizaines d’ecstasys trainaient dans ses poches. Sans son emballage indétectable, pas question d’essayer de prendre l’avion avec. Il eut l’idée de les distribuer à un groupe de clochards qui hantaient la gare comme des zombies, de pauvres hères qui trainaient sans but leur carcasse d’un point à un autre : ça lui rappelait les habitants des townships, mauvais souvenir. Il fit la répartition, donnant au hasard des soft et des mortels comme autant d’hosties, la bénédiction en moins. « Dieu reconnaitra les siens », se dit-il tout de même.

Il tint à se présenter à eux comme étant un simple médecin voyageur, ce qu’il était momentanément devenu du reste, distribuant ses pilules agrémentées d’un petit billet de mille lires, histoire de faire passer l’ordonnance, qui serait fatale pour certain, et de se débarrasser de cette monnaie de singe. La propension des gens à lui obéir dès qu’il avait révélé qu’il était médecin le fascinait : tous avalèrent sans broncher ce petit médicament rose. Bien sûr, une partie partirait pour des rêves délirants, mais les autres rejoindraient sans douleur les fertiles et verdoyantes prairies du paradis. Lui soulageait sa conscience en aidant ces malheureux à ne plus souffrir du monde des hommes, et eux débarrasseraient le plancher de leur présence non désirée. En tout cas, il n’avait pas perdu la main.

Il ne pouvait pas s’attarder trop longtemps : on l’attendait de l’autre côté de la Méditerranée. Tant pis, il ne verrait ni ne connaitrait les répercussions de son geste : comme un interlude avant d’attaquer plus sérieux.

Dans la rue, presqu’en courant, il héla un taxi et rejoignit l’aéroport de Rome Fiumicino en trente minutes.

L’aérogare était bien plus vaste que ceux qu’il connaissait en Afrique du Sud, mais il trouva facilement le bureau d’enregistrement du vol de la compagnie tunisienne.

Ici, Tripoli était une destination très courue malgré l’embargo onusien, et pour cause, c’était la porte à côté. De plus l’Italie, qui était l’ancienne puissance coloniale, avait su garder des relations à un niveau satisfaisant depuis l’indépendance en 1947. La proximité des deux pays devait aider pour conserver une prudente diplomatie, surtout depuis que le bouillant colonel Kadhafi dirigeait ce vaste état méditerranéen.

Quoi qu’il en soit, il passa le contrôle et se retrouva en zone de transit très rapidement. Là, il remarqua que s’il y avait quelques Européens, la majorité des voyageurs était arabes, mais tous étaient habillés à l’occidentale. D’ailleurs, les annonces audios se faisaient usuellement en italien mais aussi en arabe, langue avec laquelle il allait devoir se familiariser dans très peu de temps.

Les deux heures de vol en première classe furent très agréables. Il put même boire un verre de whisky. Comme quoi, les compagnies arabes pouvaient être bien plus modernes qu’on ne le croyait, puisque l’alcool y était même autorisé.

A l’atterrissage, il descendit rapidement de la rampe, monta dans le bus qui attendait les voyageurs en bas de l’avion.

Même si l’ambiance dans l’aérogare était plutôt bruyante, les policiers déployés en nombre, faisaient régner l’ordre tranquillement, indiquant aux voyageurs où ils devaient aller, leur intimant d’être patients.

Contrairement au douanier italien, le Tunisien dévisagea longuement Bernie White tout en lui posant des questions en anglais.

-          Oui, je viens pour affaires et faire du tourisme

White nota que le douanier avait des faux airs de Douglas Fairbanks avec sa petite moustache et qu’il parlait un anglais impeccable, très loin du bédouin mal dégrossi qu’il aurait imaginé…

Il récupéra ses papiers, puis passa le contrôle de sécurité où il traversa une cabine de détecteur de métaux. Feu vert ! Les policiers de l’autre côté lui firent signe d’accélérer, il y avait du monde derrière lui.

Comme c’était indiqué dans les instructions, il se mit à rechercher le meeting point où Abdulayev devrait l’attendre.

*De 1992 à 2003, la Libye subira un embargo de l’ONU, aucun avion ne décollerait ni n’atterrirait sur ses aéroports.

** Le Chef de l’Etat en arabe.

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2023

Credit photo : Didier Kalionian (c) 2023

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Didier K. Expérience
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