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Didier K. Expérience
8 février 2023

Enfin l'Eden - E.8/35

Enfin L'Eden 2

Italie, Hôtel Contilia, quartier de Termini, Rome : février 1994.

   Après l’incendie « accidentel » de l’entrepôt Freedom Relocation à Centurion, Bernaard De Klerk s’était réfugié chez lui à Sandton. La nouvelle concernant l’organisation des élections générales avait consterné la communauté afrikaner, qui s’était barricadée chez elle. Alors que des noirs avaient osé parader en centre-ville pour célébrer l’annonce des élections ! Stupéfaits, des éléments de la police s’étaient carrément abstenus de réagir. On n’avait jamais vu ça !

De Klerk s’en voulait ne pas avoir fait plus pour son pays, de ne pas avoir su prendre les bonnes décisions, il enviait presque De Villiers et Van Rooy qui rejoindraient la milice armée de l’AWB, sauf que lui n’était pas un homme de terrain, mais un homme de l’ombre : être invisible, lui procurait une grande satisfaction. Cependant, cette fois-ci, il n’était pas qu’invisible, il était abandonné, largué. Il avait reçu une lettre du commandement des forces armées sud-africaines lui annonçant qu’il était licencié, ainsi que son équipe, et que son projet était supprimé. Rien ne mentionnait les fonds, ni ce qu’il devrait faire des stocks, ni quel serait son futur. Le Grand Inconnu s’étalait devant lui comme jadis le grand désert du Karoo qu’il avait arpenté.

Le fameux Broederbond était aux abonnés absents, eux qui avaient dirigé le pays en sous-marin depuis des décennies, étaient soit retournés dans la clandestinité, soit avaient sombré corps et biens. En tant qu’officier, Bernaard De Klerk aurait pu faire partie de cette institution secrète, mais il n’avait jamais voulu participer, préférant rester anonyme. Bien sûr tous les officiers, ministres, députés, chefs de gouvernement ou chefs d’Etat sud-africains en étaient, c’était même quasiment une obligation. Il révéla peu à peu que cette institution n’était pas d’un seul bloc, mais que des courants contraires la traversaient, comme partout, en fait. De Klerk découvrit avec stupeur que le Broederbond considérait l’apartheid comme un échec et qu’il préconisait son abandon pur et simple depuis le début des années quatre-vingts.

Mais le Broederbond de l’époque avait été torpillé par les radicaux qui avait fait perdurer coûte que coûte le « développement séparé » jusqu’à la fin du mandat de Pieter Botha en 1989. Donc, ce n’était pas les modérés, ou les mous qui avaient coulé le pays, ainsi que le pensait De Klerk, mais ses éléments les plus durs, dont il faisait sûrement partie. Ou alors les modérés avaient quand même réussi leur coup. Les traitres !

Bien sûr, Constand Viljoen, Frederik De Klerk ou Pik Botha (inamovible ministre des affaires étrangères) étaient membres de cette société secrète et plutôt dans le camp des modérés, malgré leur attachement à la culture afrikaner et à la langue afrikaans, ils prétendaient sauver les meubles ! Quoi qu’il en soit, il ne pouvait plus leur faire confiance non plus.

Sa femme Retha avait rejoint le Front de la Liberté de Constand Viljoen au Cap ; le vieux général avait aussi mis de l’eau dans son vin, il s’apprêtait à collaborer avec le nouveau pouvoir. Décidément, De Klerk n’aurait jamais cru avoir des idées en commun avec ce balourd d’Eugène Terre Blanche, mais tous deux condamnaient ces traitres. Cependant, les batailles rangées n’étaient pas son truc, et Terre Blanche n'avait que faire des modus operandi intellectualisés : le coup de tête, plutôt que le tête-à-tête, était plus dans ses normes.

Donc sa femme l’avait « quitté » pour militer avec des mous du Cap, ses enfants ne juraient plus que par Nelson Mandela et son « ami » le président de la république, l’avait licencié sans ménagement. C’était clair, Bernaard De Klerk n’avait plus rien à faire dans cet endroit sauf y risquer sa vie.

Il récupéra la fameuse mallette aux millions de dollars US, qui contenait également les films de ses programmes bactériologiques et ses brevets, et deux paquets parfaitement hermétiques et surtout indétectables, contenant : l’un des ecstasys soft et l’autre des ecstasys mortels, qui passeraient sans encombre la douane des aéroports. Il fourra le tout dans un petit sac à main. Il n’avait pas travaillé pour les services secrets pendant si longtemps pour se faire avoir comme un bleu.

Il n’avait besoin de rien d’autres, cet argent suffirait pour acheter tout ce dont il aurait besoin.

Il prit soin de bien fermer les portes de son appartement, car même si sa femme était partie, ses enfants pourraient avoir besoin d’un toit. Et puis, s’il avait l’air abandonné, c’était comme s’il le livrait aux pillards, et il y tenait, tout de même. C’était un bien qu’il avait payé honnêtement en travaillant. Il quitta les lieux sans se retourner, sans nostalgie, ce qui était fini, était fini, comme ce pays, voilà tout.

Il prit sa voiture, direction l’aéroport Jan Smuts de Johannesburg, se gara sur le parking. Dans l’aérogare qu’il connaissait bien, il se dirigea vers les cabines téléphoniques internationales, composa un numéro sur le cadran, fut reçu par un répondeur en allemand.

« Hallo, Sie sind an der Nummer von Richard Wagner, ich bin nicht da, bitte hinterlassen Sie eine Nachricht, es liegt an Ihnen ! »

-          Bonjour, ici c’est Mr White, dit-il en français. J’arriverai chez vous très bientôt, je vous contacterai dès que possible. Merci beaucoup !

Bernaard De Klerk raccrocha, sortit de la cabine puis regarda les panneaux d’affichage des départs. Le premier vol pour l’Europe était dans moins de deux heures, laps de temps suffisant pour acheter un billet et se faire enregistrer.

A cause des sanctions internationales, beaucoup de pays n’acceptaient plus les vols en provenance de l’Afrique du Sud, il fallait faire des hubs quelques part pour atteindre sa destination finale. Il serait bien allé à Londres, ou mieux à Amsterdam, mais ces hubs étaient complets sur plusieurs jours. Donc, il se rabattrait sur Rome et un vol direct sur Alitalia.

Il acheta son billet en première classe, garda ses bagages à main, passa l’enregistrement sans problème avec un vrai faux passeport au nom de Bernie White. Il nota que les policiers dans l’enceinte de l’aéroport portaient des gilets pare-balles, étaient armés de fusils mitrailleurs et étaient casqués. Ces policiers n’étaient pas habillés pour faire la fête. Il était temps de partir.

L’avion décolla, fit un tour au-dessus de Johannesburg. Par le hublot, pendant quelques instants, il lui sembla apercevoir sa ville natale de Pietersburg au loin. Puis l’avion se stabilisa dans son couloir aérien qu’il ne quitterait plus pendant les dix prochaines heures. Il avala un relaxant, puis s’endormit…

Il se réveilla juste une heure avant l’atterrissage, l’avion amorçant déjà sa longue descente vers l’aéroport de Rome Fiumicino. Il vérifia que ses bagages étaient toujours dans les coffres au-dessus de lui. Pas de problème. Pour le moment, son plan d’urgence fonctionnait, mais il n’en serait certain que quand il aurait quitté l’aéroport. Une hôtesse de l’air offrit à tous les passagers un plan de la ville de Rome, une petite liste d’hôtels ainsi qu’une liste des principaux centres d’intérêts, musées, églises, antiquités etc.

Il descendit de l’avion par une rampe, le temps était gris. Il marcha cinq bonnes minutes sur le tarmac vers un bâtiment, puis l’ensemble des passagers de son vol furent accueillis par des douaniers. Son passeport fut ausculté de très longues minutes pensa-t-il, mais il ne bougea pas un cil. Il fixa l’homme du regard dans sa cabine, suivant des yeux tous ses gestes.

-          Oui, je viens pour affaires, répondit-il au douanier. Non, je n’ai rien à déclarer, ajouta-t-il en serrant délicatement ses bagages à main contre ses jambes.

Ce dernier tamponna enfin la première page, lui remit son passeport. Direction la sortie.

Bernaard De Klerk était rentré en Italie comme dans du beurre, ses précieux bagages aux poignets, il aurait même pu cacher un éléphant derrière son dos, qu’il aurait sûrement passé la douane italienne sans encombre.

Cependant, il ne fallait pas qu’il oublie une chose importante : ici il était désormais Bernie White, businessman sud-africain anglophone. Même s’il parlait l’anglais couramment, il le parlait avec un fort accent afrikaner ou hollandais, donc ça ne servait à rien de cacher ses origines, mais son nom, oui !

A peine en dehors de l’aéroport, il fut surpris par le climat : il pleuvait. Il n’était jamais venu en Italie, mais tous les reportages qu’il avait vus montraient un pays inondé de soleil, comme le sien. Or, en ce mois de février, il pleuvait à Rome et il y faisait même froid.

Il héla un taxi, demanda à aller à Termini. Sur le prospectus que l’hôtesse lui avait remis, il y avait pas mal d’hôtels dans ce quartier, ça serait plus facile et plus discret pour en trouver un.

Le taxi le déposa juste devant la gare centrale, Bernie White lui donna vingt dollars US que le chauffeur refusa dans un premier temps, n’acceptant pas les devises étrangères ; mais le bon docteur rajouta dix dollars supplémentaires, et ce dernier prit les billets avec le sourire. Vraiment pas difficile de marchander dans ce pays.

Il se dit qu’il y avait sûrement un bureau de change dans cette gare : il le trouva facilement, fit la queue tranquillement quelques minutes parmi une foule hétéroclite mais tous étaient blancs, remarqua-t-il. Puis il échangea cinq cents dollars qui se transformèrent en neuf cent quatre-vingt mille lires etc., soit une centaine de billets de banque d’allures et de tailles différentes. Il réalisa qu’il avait près d’un million de lires, mais comparé au million de dollars, cette monnaie ne valait vraiment rien. Il ramassa sa fortune qu’il rangea tant bien que mal dans son portefeuille.

Bernie White jeta un œil furtivement autour de lui pour voir si on le suivait, mais non, rien de suspect ! Il était totalement invisible dans cette foule ordinairement blanche. Ici, il faisait partie de la majorité, et ça n’avait aucune importance. Il se fondrait dans le paysage.

Jusqu’à présent, l’argent n’avait jamais été un leitmotiv dans sa vie : il avait été fonctionnaire de l’Etat, de sa majorité jusqu’à cette année. Il avait reçu un salaire conséquent, ne se plaignait jamais de rien, mais aujourd’hui, c’était différent. Il n’avait plus d’employeur et sa vie était menacée. Donc, l’argent serait son nerf de la guerre désormais. Il serra ses bagages à mains comme d’autant de trésors à protéger. Surtout que les Italiens avaient une sacrée réputation de pickpoquets.

Il continua son périple hors de la gare. Maintenant, il lui fallait trouver un hôtel, et il avait vu juste, ils s’alignaient les uns à côté des autres, il n’aurait que l’embarras du choix. Comme le tarif n’était pas un problème, il put choisir son standing.

Il jeta son dévolu sur l’Hôtel Contilia, un trois étoiles, à quatre cents mètres de la gare. Il prit une chambre dont les fenêtres donnaient sur la rue, desquelles il pourrait la surveiller.

Ensuite, il lui fallait ouvrir un compte en banque et louer un coffre pour y déposer son précieux magot. Là aussi, le quartier de la gare s’avéra un très bon choix : il sélectionna une banque qui lui paraissait convenir parfaitement, à condition d’avoir des coffres à disposition. La Banca Nazionale del Lavoro* était tout indiquée puisqu’il était en Italie pour affaires… Il déposa deux mille dollars en liquide sur le compte courant, en préleva mille supplémentaires qu’il mit dans une poche intérieure de sa veste. Le banquier lui remit une carte bancaire provisoire, ainsi qu’une clé et les indications pour composer le numéro secret de son coffre, où il déposa sa mallette et les deux paquets d’ecstasy. Là aussi, il préleva une poignée de chaque genre qu’il mit dans une enveloppe, les soft dans la poche droite et les mortels dans la gauche.

Depuis vingt-quatre heures qu’il avait quitté l’Afrique du Sud, tout se passait bien. Cependant, en tant que professionnel du secret, il fallait qu’il reste sur ses gardes. C’est toujours quand les plans se déroulent bien qu’on relâche sa vigilance et qu’on se fait avoir. Et Bernie White ne savait absolument pas ici d’où les problèmes pourraient venir.

Dès son retour dans sa chambre, il appela son ami Jean Berger, alias Richard Wagner, et laissa un nouveau message avec le numéro où on pourrait le joindre.

Cinq minutes plus tard, le téléphone sonna :

-          Pronto ! Mr White speaking !

-          Ici Richard Wagner ! … Comment vas-tu ? embraya celui-ci en français. Où es-tu ?

-          Je vais bien, je suis à Rome.

-          Okay ! Je te contacterai dès mon arrivée.

Mr Wagner raccrocha sans plus de cérémonie. Le bon docteur savait qu’il avait sa journée de libre mais qu’il serait bloqué devant le téléphone le lendemain jusqu’à ce que son « contact » le rappel. Ainsi va la vie, pensa-t-il.

*Banque nationale du travail.

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2023

Credit photo : Didier Kalionian (c) 2023

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Didier K. Expérience
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