Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Didier K. Expérience
25 décembre 2022

Le Retour de Virgule - Les Circumpolaires 2. E.31/35

Le Retour de Virgule

Karl avait eu la bonne idée de défricher pour moi le sentier des escapades nocturnes, et donc c’était sans risque. Comme on n’avait pas du tout les mêmes goûts, j’espérais me trouver une petite touze accueillante et fréquentée par des gens sympas moins coincés que ceux qu’il avait vu. Ce ne fut pas tout à fait le cas.

Pour commencer, on aurait dû être dix, et nous ne fûmes que trois. Dans l’absolu, un seul suffisait, mais j’aurais eu envie de me surpasser tellement j’avais d’énergie à revendre. Bon, c’était à côté de chez moi, c’était pas mal. Malheureusement, j’eus droit aux mêmes contraintes que Karl avait rencontrées, ça cassa un peu l’ambiance. Du coup, comme je n’étais pas venu pour discuter ni tergiverser sur les consignes de sécurité paranoïaques de chacun, je fis un travail honorable, je pus baiser les deux, puis je rentrai. Tout le monde était content, c’était le principal.

Effectivement, pas un flic en vue durant mon court trajet dans le dédale des rues de l’Ecusson vers les deux heures du matin. Qu’est-ce que j’ai pu voir comme monde longeant les murs, circulant vite et discrètement, mais on se faisait peur à chaque fois qu’on se croisait.

Tout comme Karl, ma première fois avait quand même été une réussite, mais mon coloc allait inaugurer une autre série moins drôle. Comme j’étais rentré plus tôt que prévu, je pensais être seul, mais Karl était déjà là.

-          T’es déjà rentré ? dis-je.

-          J’allais te poser la même question.

-          Ben, c’était sympa mais on n’était moins que prévu. Donc, on s’est amusé mais je n’avais pas envie d’y passer la nuit non plus… Et toi ?

-          Oh moi, c’est simple ! Je me suis pris un gros lapin. Le mec a disparu de l’appli en cours de route, le salopard.

Je n’avais pas imaginé faire le mur tous les soirs, mais lui s’y appliquerait avec son acharnement compulsif habituel, et se prendrait ce fameux lapin une fois sur deux. A croire que ça en amusait pas mal, car tout le monde se plaignait de ce genre de pratique sur les applis. Sauf que ceux qui s’en plaignaient ne se gêneraient sûrement pas pour le faire aussi (au moins par vengeance). En temps normal, se prendre un lapin, c’était chiant. Mais avec le confinement, c’était carrément un drame. Et pour Karl, quasiment la fin du monde.

En réalité, beaucoup rêvaient de participer à des touzes, mais peu osaient sortir, de peur de se faire attraper par la police. C’était compréhensible, mais si certains renonçaient en prévenant quand même leurs interlocuteurs, d’autres faisaient semblant d’accepter, soit de recevoir, soit de bouger, mais supprimaient la notification quelques minutes avant le rendez-vous. Les enfoirés !

C’était évidemment la raison pour laquelle on n’avait été que trois lors de mon premier rendez-vous. Même en cas de crise, la connerie humaine continuait son imperturbable petit bonhomme de chemin. Parfois, j’espérais que le Covid allait rectifier le virus de la connerie, mais si les labos cherchaient un remède pour la pandémie actuelle, tout le monde avait renoncé à trouver une solution pour se débarrasser du virus originel. La connerie resterait le virus le mieux partagé au monde, malheureusement.

D’ailleurs, en parlant de connerie, j’en avais fait une malgré moi. Alors que Karl me coiffait, je lui avais fait confiance pour me débarrasser des poils sur les oreilles : c’est vrai c’est disgracieux et je n’arrivais jamais à les enlever, et quand on aime la perfection, toutes les solutions sont envisageables. Lui avait la solution miracle : épilation à la cire chaude. Succès et effet garantis. J’eus les oreilles brulées pendant plusieurs jours, je n’osais plus sortir de peur que le ridicule ne me terrasse d’un coup. Avait-on déjà vu un grizzly avec les oreilles épilées à la cire ? Bah ouais, c’était moi !

Du coup, je restai à la maison à regarder la télé le temps que mes oreilles soient moins rouges, bol de chips à droite et tranches de saucisson à gauche pour alimenter mon petit bidon naissant. Karl ne se grattait pas pour sortir, et moi j’en profitais pour comptabiliser ses lapins. Dieu sait qu’il s’en prenait, une vraie collection. Entre ceux qui posaient des lapins ou qui vous prenaient pour un pigeon, ça ne me donnait plus vraiment envie de sortir la nuit.

Généralement, quand c’était foiré, il rentrait en moins d’une demi-heure, et il était en rage, il aurait tout cassé dans l’appart. Moi j’essayais de ne pas rire, mais je ne pouvais même pas compatir, il l’aurait mal pris. J’assistais sans bouger. J’abondais dans son sens. Je le laissais vider son sac.

-          Putain ! J’en ai ras le bol de ces mecs. J’me suis encore pris un lapin. J’te le dis, j’ai pris le seum ! Si j’en chope un, je le massacre.

-          Appelle la SPA !

-          La SPA ? Pourquoi faire ?

-          Pour y mettre tous tes lapins ! dis-je en riant.

-          Ah, c’est drôle !

-          Vas-y, décompresse ! Pète un coup, quoi ! Tu ne crois quand même pas être le seul dans cette situation, hein ?

-          M’en fous des autres. J’m’en balek, ils ne sont pas à ma place. J’en ai marre de ce confinement à la con. Vous obéissez tous comme des moutons, comme des toutous à la niche. Tu ne vois pas que Macron vous baratine, qu’il vous mène à l’abattoir ? Et tous, vous trouvez ça normal. Heureusement qu’on est quelques-uns à réfléchir. Ce faux président est à la solde des lobbies pharmaceutiques pour nous gaver de produits toxiques, et pendant ce temps-là, lui se gave de fric, le salaud ! Il a bien raison le professeur Raoult, mais personne ne l’écoute. Pff !

Quand Karl se prenait pour Jeanne d’Arc, il n’y avait plus rien à faire. J’avais bien essayé de le raisonner au début, mais j’ai vite abandonné. Le mec était borné, pire qu’un mur en béton armé. Dans ces cas-là, je priais intérieurement pour que ce « confinement à la con » prenne fin le plus vite possible, pour que je puisse enfin m’installer chez moi, seul.

-          En plus, je n’ai plus rien à mé-fu, suis vénère ! Merde !

-          Tiens, bois un coup ! Ta bouteille de Pastis est toujours sur la table, tu vois, rien n’est perdu.

Moi j’étais allongé sur le sofa, la télécommande en main, en t-shirt, caleçon, et chaussettes, décontracté quoi. Je fis une petite place à mon coloc survolté. Il avala son breuvage en une lampée, comme un médicament indispensable à sa guérison. Bien entendu, il se resservit : un double Pastis noyé dans une larmichette d’eau, histoire de troubler un peu la boisson et la rendre moins âpre à la dégustation.

-          C’est con, suis chaud, là !

Karl se rapprocha de moi.

-          T’aurais pas envie ? Non ? dit-il tout doucement.

-          Arrête ton délire ! Tu peux parler plus fort, hein ! Pas la peine de chuchoter. Pas d’ambiance love-love entre nous.

-          T’es sûr ? Suis gravement chaud.

Je me redressai dans le sofa pour m’éloigner un peu de lui. Je ne savais pas encore s’il plaisantait ou s’il était sérieux. De mon côté, c’était non et c’était certain.

-          C’est vrai, quoi. Le confinement nous a un peu rapprochés, on est presque devenus des amis. Colocs et amis, c’est une bonne chose, je trouve. C’est peut-être le bon moment pour faire plus ample connaissance ?

Ça me fit rire.

-          Tu ne vas pas me baratiner en plus, répondis-je narquois. Et quoi qu’il arrive, tu n’es pas mon genre. Même si on était les deux seuls survivants à une guerre nucléaire, je te dirais non.

-          C’est un cas de force majeure. On se rendrait service, quoi ! Comme ça, on n’aurait plus à courir la nuit pour prendre des risques pour rien. Et puis, on se connait bien maintenant, on se fait confiance.

Là, j’éclatai de rire.

-          Si tu cherches à m’attendrir, tu risques d’attendre longtemps, j’suis une vraie carne. Laisse tomber, ça vaut mieux. Je le répète, tu n’es pas mon genre du tout.

-          On essaie juste une fois, on verra bien où cela pourrait nous mener.

Vraiment, il ne doutait de rien celui-là.

-          Okay, va te laver les fesses, dis-je amusé.

-          Euh, non ! Ça serait plutôt à toi de le faire… Moi je suis actif.

-          Toi, t’es actif ? Ben, c’est la meilleure de l’année celle-là, dis-je surpris. Tu ne me l’avais jamais dit !

-          Tu ne me l’avais jamais demandé non plus… Et ce n’est pas parce que je suis moins costaud que toi que je ne peux pas être actif. J’suis un vrai bonhomme, moi ! Qu’est-ce que tu crois ?

Moins costaud ? Karl était charpenté comme une allumette, c’était presque un bébé : trop frêle, trop mou, et même bourré ce soir-là, donc totalement rédhibitoire pour moi. C’est vrai qu’il y avait sûrement des mâles alpha chez les asticots, alors pourquoi pas Karl ? Mais ça faisait trois ans qu’on partageait cet appart et je ne m’en étais jamais aperçu : parfois les évidences sont bien dissimulées, aussi. On se racontait parfois nos histoires de cul mais sans entrer dans les détails, un peu comme font les machos hétéros quand ils sont entre eux. Bref, on se prouvait qu’on existait. Mais rien ne laissait supposer que c’était lui qui tenait le manche.

Même s’il était plus vieux que Lucas, mon coloc ne m’intéressait pas du tout. J’avais répondu à sa proposition par provocation, pour voir sa réaction. Mais il m’aurait bien mis le grapin dessus, ce salaud-là ! Heureusement, je n’étais pas encore au bout du rouleau, même si par moment, le manque de sexe et de relations intimes me stressait. En revanche, qu’est-ce qui pouvait bien lui faire croire que je pourrais être passif ? Je n’étais pas efféminé, ni lascif, et je n’aimais ni Mylène Farmer ni Céline Dion. Donc, je ne voyais pas ce qui aurait pu lui mettre la puce à l’oreille. Bon, à force de lutter contre les clichés, peut-être que j’en entretenais d’autres que je ne voyais pas ?

-          Bah, c’est mort ! Je suis 100% actif, mon gars. Donc, tu n’as plus qu’à te la rouler sur l’oreille… Allez, une bonne branlette et au lit. Comme ça, on n’en parlera plus. Et tout le monde sera content, surtout moi.

Karl avala son double Pastis d’un trait, l’air navré. S’il avait pu demander « ce service » à Marie-Micheline, je crois qu’il l’aurait fait. Et j’exagère à peine.

Donc, même chez lui, Karl se prendrait un lapin. C’est vrai que ces petites bêtes se reproduisaient à une vitesse infernale, et en ce moment ils pullulaient à Montpellier. Bon, moi je n’étais pas vraiment prévu au menu, même pas une cinquième roue du carrosse. D’ailleurs, coucher avec Karl aurait été sûrement la plus mauvaise idée de ma vie, étant donné le bordel qu’il était capable de foutre partout où il passait.

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2022

Credit photo : "L'Homme au Chien Nu" - Denis Kister (c) 2022

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Merci. Retrouvez la communauté des lecteurs sur Facebook, Didier Kalionian Expérience)

Publicité
Publicité
Commentaires
Didier K. Expérience
Publicité
Archives
Newsletter
12 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 21 611
Publicité