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Didier K. Expérience
28 décembre 2022

Le Retour de Virgule - Les Circumpolaires 2. E.34/35

Le Retour de Virgule

Une heure de sport c’était plutôt court, mais c’était bon, on appréciait vraiment ce moment de liberté, ça aurait été dommage de s’en priver. J’avais trouvé Julien très positif malgré tout, ça me changeait du drama permanent de Karl. Je n’avais pas envie de quitter une si bonne compagnie. Le tête-à-tête quotidien avec mon coloc tournait au vaudeville, et si ça continuait comme ça, nous aussi on finirait par se taper dessus : j’avais irrémédiablement envie de changement, mais ce n’était pas encore le bon moment, malheureusement. Donc, je proposai à Julien de nous voir après notre douche pour un apéro, ce qu’il accepta. J’espérais descendre chez lui, alors que lui préférait venir chez moi pour échapper à ses deux mères poules.

Seulement, en guise d’apéro, nous eûmes droit à une scène d’opéra. A peine nous étions-nous quittés qu’il vint sonner à ma porte.

-          T’as déjà pris ta douche ? Ou tu ne peux plus me quitter ? dis-je en riant

-          Pas eu le temps ! Ma mère se sent mal. Elle dit qu’elle a la gorge en feu, qu’elle a la tête qui tourne, qu’elle a de la fièvre. J’ai un peu peur, là !

Karl qui était dans sa chambre, sortit d’un bond pour nous rejoindre.

-          Ta mère n’aurait pas chopé le Covid, des fois ?

Karl avait formulé ce qu’on pensait tous. Aussi délicat qu’un boucher, celui-là. Plus bitch, tu meurs ! Sûrement sa façon de montrer sa rivalité, sauf que Julien avait d’autres chats à fouetter et se moquait de cette pseudo rivalité.

-          Qu’est-ce qu’on fait ? invoqua Julien.

Julien et Karl attendaient ma réponse comme si j’étais devenu le messie sur la colline. Une telle nouvelle aurait dû nous filer un électrochoc, mais au lieu de ça, on restait paralysés comme des gamins. En fait, on ne s’y attendait tellement pas, qu’on n’y croyait pas.

-          Ne prenons aucun risque ! Euh… La meilleure chose à faire, c’est… Julien, faut que tu appelles tout de suite le SAMU. Ils sauront quoi nous dire et quoi faire.

Parfois, en ouvrant la bouche, on trouve des mots et il n’y a plus qu’à suivre.

Julien dégaina son tel et composa le 15. Quelques minutes d’attente toujours trop longues dans ces moments-là, jusqu’à ce qu’un opérateur décroche. Karl et moi, on écoutait Julien répondre aux questions qui confirmèrent nos craintes. Adeline avait bien tous les symptômes du Covid.

-          Faudra que ma mère se fasse dépister le plus vite possible. C’est trop tard aujourd’hui, on ira demain matin, y a une tente sur l’esplanade Charles de Gaulle. En revanche, j’ai une mauvaise nouvelle pour vous : comme je vous ai côtoyés, vous devrez aussi vous faire dépister. On ne sait jamais.

-          Moi, je n’ai rien à voir avec vous. Je me sens très bien, argua Karl. Pas question de me faire triturer le nez. C’est comme ça qu’ils nous contaminent, aussi. Ouvrez les yeux !

Karl nous laissa illico et s’enferma dans sa chambre à double tours. S’il avait pu, il aurait calfeutré l’embrasure de sa porte avec des journaux pour ne plus respirer le même air que nous.

-          Quel bougre d’âne ! Ce n’est pas possible d’être aussi borné, pestai-je.

-          Laisse-le ! Si je l’ai contaminé, il comprendra sa douleur… Bon, je vais retrouver ma mère.

-          Okay ! Je viens avec toi. Au point où on en est, un peu plus ou un peu moins, ça ne changera plus rien maintenant.

On descendit tous les deux d’un étage, Lova nous ouvrit en catastrophe.

-          Entrez ! Je suis inquiète, Adeline ne va pas bien du tout. Elle s’est allongée sur son lit. Elle transpire, elle a chaud. Qu’est-ce qu’elle a donc ?

-          Devine ? répondit Julien.

-          Oh, mon Dieu, non !

-          J’ai appelé le SAMU. Elle a tous les symptômes. Donc, demain on ira tous se faire dépister au kiosque sur l’esplanade.

-          Jésus, Marie, Joseph ! Il ne manquait plus que ça. Qu’est-ce qu’on a fait pour que ça nous tombe dessus comme ça ? On a pourtant fait attention ! Quel bordel !

-          Tu ne l’avais pas vu dans les tarots ? lui répondis-je, ironique.

-          Boudi ! s’exclama-t-elle.

On entendit la voix d’Adeline qui appelait à l’autre bout de l’appartement.

-          Virgule ! Ma petite virgule ! Où es-tu ? J’ai besoin de toi. Où es-tu ?

-          J’arrive, maman !

-          Virgule ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

-          C’est le surnom que ma mère m’a donné quand j’étais petit, parce que quand j’écrivais je mettais des virgules partout, même là où il n’en fallait pas. Ma mère était prof de français. Voilà !

Je fus un peu surpris de la réponse, autant que ce surnom d’ailleurs. Moi qui avais l’habitude des pseudos pour acteurs pornos ratés ou fantasmés, j’étais masqué, là… Mais je me souvins que Marie-Micheline avait prononcé ce mot : j’avais laissé pisser, pas compris à l’époque.

-          Tu t’attendais à quoi ? A un truc sexuel ? Un truc en dessous de la ceinture, voire qui trainerait dans ma culotte ?

-          Euh non ! … Pas du tout, je t’assure. Où vas-tu chercher tout ça ?

Bon, en fait si ! Mais j’avoue que mes pensées m’avaient trahi, j’en eus honte subitement.

-          En tout cas, Joël ne m’a jamais posé de questions déplacées, lui !

Ah, euh, okay ! Un point pour eux alors !

-          C’est marrant, je n’avais pas encore entendu ta mère t’appeler comme ça ?

-          Elle ne m’appelle plus comme ça depuis longtemps, surtout depuis que je suis devenu son garçon, mais si elle le fait maintenant, c’est qu’elle doit être très mal. C’est un mauvais signe. Merde !

En effet, Adeline avait l’air d’être sur son lit de mort, je crois qu’elle exagérait un peu son état. Julien lui annonça la probable mauvaise nouvelle, qu’elle accueillit d’abord avec circonspection, mais comme si le commandant de bord lui avait annoncé que leur avion allait s’écraser. Au début, on n’y croit pas, puis très vite, on est bien obligé.

Je n’entrai pas dans la chambre. A la réflexion, Karl avait peut-être raison : il valait sûrement mieux rester à l’écart. Quant à Lova, elle se voyait déjà dans le rôle de la Vierge éplorée, apportant de l’eau, ventilant la pièce, essayant de se rendre utile, partageant le fardeau.

Il n’y a pas de bonne compagnie qui ne se quitte, comme on dit. De toute façon, il n’était plus question d’apéro, tout le monde était préoccupé par la santé d’Adeline, je n’avais plus qu’à les laisser. On se lava tous les mains au gel hydroalcoolique plusieurs fois, mais je n’étais pas sûr que ça servait encore à quelque chose.

Sur ce, je préférais rentrer dans mon igloo, retrouver mon pingouin de coloc… Machinalement, je humai l’air de l’appart pour voir s’il n’était pas contaminé, ou s’il n’y avait pas de poches de Covid flottant quelque part. Bizarrement, ça sentait le Paic-Citron : est-ce que le Covid avait une odeur acide ? J’avais sûrement l’air halluciné, déambulant avec précaution, évitant de toucher tout ce que Julien aurait pu toucher quand il était là. Si j’avais eu un scaphandre, je crois que je l’aurais porté.

Et si Karl et son gourou Raoult avaient raison, finalement ? Bon, pas la peine d’ajouter de la paranoïa à la paranoïa ambiante, on ne s’en sortait déjà pas avec toutes ces rumeurs contradictoires qui tournaient comme des moulins sur les réseaux sociaux.

Karl était toujours dans sa chambre, mais sa porte était ouverte : plus de cloitre de haute sécurité ?

-          Tu es déjà rentré ? Fini la teuf dans le cluster des meufs ? … Ne t’inquiète pas, j’ai tout nettoyé. J’ai essuyé tout ce que Julien a pu toucher. J’ai même lavé par terre, au cas où…

-          C’est cool ! Donc, le virus du Covid n’existerait pas pour toi, mais tu essuies tout quand même ?

-          Ouais, ma biche ! On ne sait jamais où ce Julien a mis ses mains ni avec qui il aurait fricoté.

La mauvaise foi de Karl pourrait déplacer des montagnes, même l’Everest n’y résisterait pas.

-          En tout cas, demain matin, on ira tous se faire dépister. Tu viens avec nous, bourricot ?

-          Sûrement pas. Je n’ai pas peur de cette grippette, moi. N’oublie pas que c’est leur plan pour nous asservir ! Tous des moutons, j’vous jure…

Okay ! Pas la peine d’argumenter. Finalement, autant rester dans ma chambre à zoner. Tant pis, pour « Invitation aux Voyages », l’apéro, et les pisse-mémés. Ce soir, ça serait ambiance « Croix-Rouge » et sauve qui peut…

Le centre de dépistage de l’esplanade, situé à deux pas de l’office du tourisme, ouvrait à 9h. Comme on habitait à côté, nous partîmes tous ensemble vers 8h30 sans trop se presser. Adeline faisait peine à voir, emmitouflée dans un manteau, coiffée d’un bonnet de laine, l’air KO, soutenue de chaque côté par Julien et Lova. Moi, je n’osais pas les toucher de peur de le regretter plus tard. On avança comme des tortues jusqu’à la tente, où une queue phénoménale était déjà en place. Des centaines de personnes attendaient leur tour, alors que ce n’était pas encore ouvert.

Un type de la sécurité nous expliqua qu’il comptait le nombre de personnes dans la file d’attente, et qu’arrivé à trois cents, il bloquerait pour la journée. Nous pressâmes le pas pour suivre les autres et pour qu’il nous compte bien. Effectivement, 15 minutes plus tard, la queue fut fermée par une barrière, gardée par deux types de la sécurité qui refoulèrent les nouveaux arrivants.

La file démarrait devant l’office du tourisme, allait jusqu’au Corum à deux cents mètres de là, faisait une boucle et revenait vers l’office et les tentes de dépistage, soit quatre heures d’attente. J’ai cru qu’Adeline allait s’évanouir quand elle entendit le temps qu’on allait rester sur place avant de se faire triturer les narines. Donc, ça ouvrait à 9h, mais les premiers avaient dû arriver vers 7h, et à 9h30, c’était clos. Si ce virus était vraiment dangereux, on aurait le temps de mourir dix fois, tellement le temps d’attente était long, et surtout les moyens déployés n’étaient pas du tout à la hauteur pour une ville comme Montpellier. Alors si c’était pareil dans le reste de la France, on n’était mal barré.

Nous tînmes tous le coup, y compris Adeline, qui se plaignit d’avoir mal aux jambes en plus. Seules les femmes enceintes, les retraités vraiment mal en point et les handicapés pouvaient doubler, mais la mère de Julien préféra rester avec nous et partager le même sort que ses frères de dépistage.

Enfin ! Vers midi nous arrivâmes à la première tente pour un filtrage : symptômes ou soupçons ? Julien et Adeline allèrent ensemble s’enregistrer du côté symptômes, alors que Lova et moi allâmes du côté soupçons. Une fois nos coordonnées prises au guichet, un infirmier en tenue intégrale de cosmonaute nous fit assoir, puis nous enfonça une sonde dans chaque narine, mit le bout dans un tube à essai, et ce fut tout. Quatre heures d’attente pour quelques secondes de manipulation.

Nous rentrâmes tous ensemble, gardant le silence, mais Adeline n’allait pas bien du tout. Il ne faisait aucun doute qu’elle était contaminée, mais on serait définitivement fixé dans deux jours quand on recevrait nos résultats.

En voyant la file d’attente pas trop conséquente devant le Monoprix de la Com’, je me dis qu’il serait bien que je fasse quelques courses, car ce qui prenait cinq minutes hier, prendrait au minimum une heure aujourd’hui, voire plus. Et puis l’ambiance avec mes voisins n’était pas à la rigolade ; ils n’étaient plus très loin de notre rue, Julien et Lova étaient costauds, ils s’en sortiraient sans moi.

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2022

Credit photo : "L'Homme au Chien Nu" - Denis Kister (c) 2022

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