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Didier K. Expérience
6 décembre 2022

Le Retour de Virgule - Les Circumpolaires 2. E.12/35

Le Retour de Virgule

Les jours suivants, j’esquivai Joël autant que je pus et ne revis pas Lucas à la salle, ce qui me laisserait un peu de répit avant de savoir si la situation avait évolué. Mais le mercredi matin, Joël me tomba dessus : impossible de l’éviter. J’allais devoir faire face à mes responsabilités si Lucas avait craché le morceau… Mais non, il avait l’air radieux, on aurait dit qu’il avait gagné au loto tellement il souriait, je pouvais même compter ses dents, tant il riait béatement. Moi, je serrais tellement fort les fesses que j’aurais pu y casser des noix.

-          Bah alors, Alex ? Enfin, je te chope ! dit-il rigolard. Faut absolument que je te remercie. T’es un génie, mec !

Encore sur mes gardes, j’attendis qu’il parle avant d’engager la conversation. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre l’ami qu’on a fait cocu consciemment.

-          Lucas m’a appelé dimanche soir, tout rentre dans l’ordre, on va même officialiser notre vie de couple. Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais tu as fait des miracles, il est comme métamorphosé. On dirait un autre Lucas, mais en mieux !

-          Ah bon ?

-          Ouais ! On s’est vus hier soir, et tout est reparti comme avant. En plus, j’avais trop envie de le baiser, et lui aussi en avait envie, crois-moi. On s’est emboités comme au premier jour. J’suis trop grave in love…Tu sais quoi ? Fini le couple exclusif ! Et il me lâchera un peu sur le véganisme, mais à moi d’être raisonnable dans les deux cas.

-          Super content pour toi ! Ça se termine bien alors. Cool !

Lucas avait tenu parole, il avait appelé Joël et ils s’étaient rabibochés, une fois encore. Sauf que sa transformation radicale en version inversée n’était pas prévue au programme. Que mijotait-il maintenant ?

-          Chose promise, chose due, mec ! Je t’ai ramené un bidon de cinq kilos de protéines. C’est offert par la maison, « tombé du camion et compagnie ». Mais motus, je te le donnerai ce soir discrètement.

Puis, Joël redevint le Joël que j’avais toujours connu : jovial, prévenant et serviable. Dandy frivole souriant toute la journée pour servir les clients du club, volant au secours de ceux qui avaient besoin d’un coach… J’enviais un peu ce bonheur retrouvé. J’y étais un peu pour quelque chose, mais c’était bien le seul point positif de cette histoire…

La prochaine étape de ma trépidante vie actuelle, était cet apéro chez la mère de Julien qui aurait lieu le soir même. Quand j’y repensais, Karl n’était absolument pas traumatisé par le refus de Julien, ça lui passait largement au-dessus, il n’en parlait plus, sauf en des termes méprisants. Karl était encore un bogosse facile qui ne pardonnait pas à ceux qui avaient eu l’outrecuidance de le rejeter, et ils n’étaient pas légion : privilège de la jeunesse, évidemment.

J’étais rentré à la maison à peine trente minutes avant mon super rendez-vous de ce soir. Pendant que je me changeais, je remarquai que j’étais sacrément en train de mal tourner ces derniers temps. Je ne draguais plus, je ne sortais plus dans les boites, mais j’allais à un apéro chez une maman de l’immeuble, manger des biscuits et boire une tisane. Lucas m’avait secoué, ça c’était certain, mais le booster n’avait pas encore complétement redémarré la bête.

En sortant, je jetai machinalement un œil à la porte de la voisine qui devait sûrement être aux aguets. Pauvre vieille ! Cependant, je n’attendis rien et dévalai l’escalier, sonnai, la porte s’ouvrit quasiment instantanément, découvrant ce charmant jeune homme, tout sourire. Donc, manifestement content de me voir, ça commençait bien. L’appartement, quoique plus grand, semblait configuré exactement comme le nôtre.

J’étais venu les mains vides, seulement accompagné de ma bonne humeur.

Julien me précéda dans le couloir jusqu’au salon, où sa mère nous attendait. Elle aussi, m’accueillit par un large sourire triomphant. Ils avaient fumé ou quoi pour être aussi joyeux ? Julien me fit la bise, et du coup, sa mère aussi. Elle en profita pour se présenter :

-          Adeline ! Et vous ?

-          Enchanté Adeline. Moi c’est Alex. Alexandre Moulin pour être précis.

Je ne sais pas pourquoi je déclinai mon identité : peut-être parce qu’elle était plus âgée que moi, mais c’était sorti comme ça. Leur apparente décontraction à tous les deux, me sembla un peu forcée. A quel moment aurais-je à formuler mes excuses ?

Adeline m’indiqua le canapé où m’assoir…

La décoration était d’inspiration campagnarde, que des vieux meubles lustrés et costauds. De lourdes tentures ornaient les fenêtres, un tapis épais trônait au centre de la pièce, le tout dans des tons ocres et marrons. Au moins, ils n’étaient pas allergiques aux acariens, ceux-là ! Une table basse était au centre de nous trois, nous formions un triangle, de sorte que je ne me trouvais pas comme au tribunal : les juges devant et moi derrière, par exemple. Cette configuration en triangle me rassurait sur la suite.

Comme d’habitude, je portais un survêtement, blanc cette fois-ci, toujours relax. Julien était en survêtement lui aussi, mais en rouge et bleu, qui jurait fortement dans le décor.

-          Bien évidemment, j’ai préparé du thé et du café, mais nous avons de l’alcool aussi. Du Pastis, de la bière, du Porto, du vin et même du Champagne si ça vous dit.

La préciosité d’Adeline tranchait avec l’agressivité de sa sœur Marie-Micheline, comme si toutes les deux avaient leur registre respectif.

-          Julien, un Pastis ?

-          Bien sûr, maman.

-          Alors, moi aussi, je prendrai un Pastis, dis-je.

-          Parfait ! Moi, ça sera du thé. Je ne bois jamais d’alcool.

Adeline fit le service puis leva sa tasse pour faire un toast :

-          Au retour de Julien ! lança-t-elle solennellement.

Nous entrechoquâmes nos verres, bûmes une gorgée à l’unisson. J’attendais la suite avec une certaine impatience étant donné « l’incident » qui avait eu lieu chez nous. J’étais prêt à la contrition.

Julien se passa la main dans sa mèche, puis démarra sous l’œil amusé de sa mère :

-          Tout d’abord, faut que je te dise que je n’en veux absolument pas à Karl d’avoir voulu m’embrasser. Même si je l’ai repoussé, je ne le prends pas mal. C’était un peu lourdingue, mais pas mortel. En fait, tout ça est assez nouveau pour moi, même si j’ai déjà vingt-cinq ans.

Donc, Julien avait dû faire son coming-out depuis peu, je comprenais mieux. Mais si j’acquiesçais, je l’écoutai encore sans l’interrompre.

-          Non que je n’aie pas d’expériences avec les garçons, mais aucune avec les gays, c’est ça qui est nouveau. Tout simplement, parce que je ne sais pas si je suis homosexuel ou si je suis attiré par les filles.

Là, je marquais mon étonnement car pour être gay, il fallait aussi être un garçon, non ? Donc, pourquoi faisait-il une différence puisqu’il n’y en avait pas ?

-          Excuse-moi de te couper. Mais Karl et moi, on était certains que tu étais gay. D’où cette confusion, peut-être !

-          Comme je te l’ai dit, il n’y a pas de mal, et comme je vous trouve sympas, j’ai une chose à vous dire qui est importante pour la suite de notre relation.

Allons, bon ! Julien n’était tout de même pas amoureux de moi ?

Cependant, son visage n’était plus aussi éclairé qu’au début, il semblait même un brin torturé. Alors que sa mère le dévisageait avec ce sourire bloqué, l’air de dire, « vas-y mon fils, crache ta valda », Julien repassa une main dans sa mèche nerveusement.

-          Je vais y venir ! Je vais le dire… En fait, pour tout te dire, Alex ! J’ai fait une transition et je suis revenu vivre à Montpellier.

-          Une transition ? C’est-à-dire, je ne comprends pas !

-          Je suis né fille, mais j’ai toujours été un garçon. Maintenant, c’est certain et c’est définitif.

Eureka ! La lumière venait d’arriver au plafonnier. Julien était un garçon trans. Le résultat était stupéfiant, Karl et moi n’y avions vu que du feu. Et là, il me faisait son coming-out, je n’en avais jamais vécu avant, c’était touchant.

-          Ah ok ! Bien sûr ! Pas de soucis, dis-je en balbutiant.

-          Bravo Julien ! C’était parfait, mon fils ! lança Adeline tout sourire.

-          Merci maman.

Je comprenais maintenant pourquoi c’était aussi délicat à annoncer. J’avalai une large gorgée de Pastis, je me ressaisis.

-          C’est super ! Vraiment aucun problème. D’ailleurs, il n’y aura aucun problème avec Karl non plus, parce qu’il est de tendance queer ! Je me charge de lui annoncer la nouvelle. Je t’assure, tout ira bien !

En tout cas, je préférais qu’il m’annonce ça, plutôt de m’avouer qu’il était amoureux de moi.

-          J’ai toujours soutenu mon fils, intervint Adeline. A vrai dire, son retour à Montpellier m’angoissait un peu, et vous savez, c’est très facile pour une mère de s’angoisser pour son enfant. Paris est une grande ville où il est facile d’être anonyme, mais aussi de s’y faire des amis qui vous ressemblent, c’est un sacré avantage… Montpellier, toute tolérante qu’elle est, reste une ville de province, avec une mentalité de province, même si c’est la soi-disant seconde ville gay de France. Les gens de cet immeuble n’ont pas connu Julien, mais Elodie, mon garçon manqué. Ma sœur n’accepte pas encore la transition de sa nièce, mais c’est son problème. Les autres résidents s’y feront, ou pas d’ailleurs, mais ça je m’en moque. Ce qui compte pour moi, c’est que Julien soit bien dans sa vie.

-          Je suis ravi de ta réaction, reprit Julien. Je n’en espérais pas moins… Maintenant, j’ai autre chose à te demander : j’aimerais m’inscrire dans ta salle de sport.

-          Euh oui, pourquoi pas !

J’avais répondu par l’affirmative un peu rapidement. Tout de suite, l’image des vestiaires me vint et me fit douter car c’était sûrement le seul endroit qui pourrait poser un problème. Les vestiaires n’étaient pas mixtes bien sûr, et un comportement correct y était exigé. Les clubs de remise en forme étaient plutôt du genre pudique, et même si à Gym-Up, il y avait une douche collective (que je connaissais fort bien), il y avait surtout des douches privées. Cependant, nombre d’hommes se déshabillaient ou se rhabillaient devant leur casier et devant tout le monde. Julien vit mon trouble, mais il avait, semble-t-il, pensé à certains détails.

-          Ne t’inquiète pas. C’est aussi un test grandeur nature. Il faut que j’y aille et que je m’y intègre d’une façon ou d’une autre. Faudra aussi que je m’adapte à l’ambiance des vestiaires des garçons, je présume. Je me doute bien que la promiscuité doit être la règle, mais je dois me faire à ma nouvelle vie.

-          Gym-Up est avant tout un club de sport. Tu sais, personne ne te demandera quoi que ce soit car la muscu ou la remise en forme, sont surtout des sports d’individualistes. Rien à voir avec les clubs de foot, pas de troisième mi-temps dans les vestiaires. Tu passeras même inaperçu, si c’est ça que tu cherches.

-          Je cherche à vivre normalement sans me poser de questions…

Ça paraissait anodin et logique, mais maintenant qu’il le précisait, je voyais très bien où il voulait en venir : Julien avait bifurqué radicalement pour se remettre sur le bon chemin. Il fallait qu’il désapprenne pour tout réapprendre.

-          Tu pourras être mon coach ? ajouta-t-il.

-          Oui, bien sûr ! Mais ça dépendra aussi de l’heure où tu iras car je suis en alternance pour le moment, mais il n’y aura aucun problème avec les autres.

Je vis au regard lumineux de Julien que mes réponses le satisfaisaient. On trinqua de nouveau.

-          Quant à Karl. Tu lui diras aussi que c’était trop tôt pour moi. Je ne pouvais pas me laisser embrasser. Peut-être une autre fois, qui sait ?

En tout cas, Julien m’avait scotché avec cette révélation claire et nette. Était-ce son boulot de psy qui l’aidait ? Je notai qu’on avait soigneusement évité ce sujet crucial. M’est avis qu’on n’allait pas tarder à aborder cette question dans très peu de temps.

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2022

Credit photo : "L'Homme au Chien Nu" - Denis Kister (c) 2022

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