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Didier K. Expérience
5 décembre 2022

Le Retour de Virgule - Les Circumpolaires 2. E.11/35

Le Retour de Virgule

J’aurais pu le câliner pendant des heures tellement je me sentais bien à ses côtés. Mes mains, je devrais dire mes grosses paluches, parcouraient son corps lisse et fin, délicieusement jeune, et bien dessiné par le sport. J’étais passé du mépris aux caresses en un rien de temps. Cependant, il était temps de clore cet impromptu. Lucas me proposa de prendre une douche, ce que j’acceptai mais à condition qu’il la prenne avec moi, ce que lui déclina, prétextant qu’il voulait garder le souvenir de mon odeur jusqu’au lendemain.

Délicate attention, mais finalement j’optai pour une douche rapide, ce qui me régénéra. L’eau ruissela de la tête vers les pieds, chassant toutes les effluves et toutes les traces de notre lutte amoureuse. J’étais content de moi, j’avais eu mon shoot de dopamine, mais maintenant, la réalité reprenait froidement sa place, renfermant le fantasme dans une case de mon cerveau.

On était séparé depuis à peine dix minutes que déjà il me manquait : pas de doute, Lucas me plaisait gravement. Quand je sortis de la douche, il s’était rhabillé, semblait différent, avait repris son air taciturne, voire inquisiteur.

-          Si tu veux savoir, c’est moi qui ai demandé à Joël ton numéro de téléphone. Ça faisait plusieurs semaines que je devais t’appeler pour te parler, mais je ne pensais pas que ça serait pour faire autre chose. J’avais exigé de Joël qu’il me donne ton tel comme preuve que vous n’étiez pas amants.

-          Tel est pris qui croyait prendre, lâchai-je sans réfléchir.

-          Tu as raison. J’ai été con sur ce coup-là. Mais ça m’a bien servi finalement.

C’était le bon moment pour embrayer sur le réel motif de ma venue de ce soir :

-          Ça serait bien d’arrêter ton ultimatum avec Joël, il est au bord de la rupture. Si tu continues, tu le perdras définitivement. Je le connais bien, et ce qu’il a fait pour toi, jamais il ne l’avait fait pour un autre mec. Je te le jure. Alors s’il te plait, arrête ce cirque avec lui.

Je fixais Lucas comme un prof l’aurait fait avec un élève envoyé au tableau. J’attendais une réponse sans équivoque.

-          C’est entendu. Je l’appellerai ce soir. Promis ! souffla-t-il.

-          Okay ! Et lâche-le un peu avec ton véganisme. Je ne suis pas sûr que ce soit bien pour lui, ça !

-          Tu plaisantes ? C’est lui qui a tenu à ce que je lui donne des recettes, que je surveille son look et ses achats. Je t’assure, Joël est à fond dans le véganisme.

Bon, j’acquiesçai mais mon lascar de pote m’avait avoué qu’il n’avait toujours pas lâché la barbaque et que le véganisme le gonflait radicalement. Je le gardais pour moi, et pour rester dans la métaphore culinaire : ce n’était pas mes oignons.

-          Et maintenant, je voudrais que tu m’expliques comment tu vas rester en couple exclusif avec ce que tu viens de faire avec moi !

A son tour, Lucas me fixa, puis s’assit sur le lit, croisa les bras. La question était à double tranchant, comportait un quitte ou double manifeste pour moi. Il ne sembla pas désarçonné pour autant.

-          Tu connais aussi bien que moi la réputation de Joël. Il m’a dit qu’il m’aimait et je veux bien le croire, mais vu le prédateur que c’est, il est hors de question que je sois un trou de plus à son tableau de chasse. Je n’ai pas envie qu’il me jette comme une vieille capote ou une godasse si jamais il trouvait mieux que moi. D’accord, j’ai vingt et un an mais je ne suis pas un poisson rouge et je ne suis pas né hier soir, je sais qu’il ne changera pas en un claquement de doigt… Pour moi, être en couple, ça veut dire réaliser des projets ensemble : voyager, acheter un appart, faire les courses etc…mais aussi être là quand l’autre a des problèmes, et pas seulement pour lui dégorger le poireau quand il en aura envie. Donc, je lui ai mis cet ultimatum pour voir ce qu’il valait comme mec. Et pour le moment, c’est moyen, il ne fait que se plaindre… Mais promis, je l’appellerai ce soir.

Lucas reprit son souffle.

-          Ce que j’ai fait avec toi, ne se reproduira pas, j’en suis désolé… Perso, ne baiser qu’avec le même mec tout le temps ne me gêne pas du tout. Mais j’ai eu envie de toi parce que tu me plaisais terriblement, et parce que j’étais en statu quo avec Joël… Je te promets que je ne suis pas une nympho déguisée, ce n’est pas mon genre du tout. Et je crois même que ce n’est pas ton genre non plus, on se sera découvert des points communs tous les deux…

Je fis une moue dubitative. Je ne maitrisais plus mon masque.

-          Elle est bien cette discussion, enchaina-t-il, de cette façon on aura parlé de tout sans tabou, c’est ce qui me plait aussi avec toi. T’es un mec cool. On pourra rester ami : qu’en penses-tu ?

J’acquiesçai, mais une certaine désillusion devait se lire sur mon visage.

-          Ne sois pas déçu, Alex ! C’était génial ce soir, mais arrêter, c’est mieux pour nous deux. Ça sera notre petit secret.

-          Tout va bien, je te l’assure.

Sauf que maintenant, j’aurais voulu partager mille secrets avec lui, un seul ne me suffisait plus.

Lucas avait dominé son discours et ses actions de bout en bout. Je me sentis aussi manipulé qu’un pion sur un jeu d’échecs, mais avec bienveillance. Ce petit gars était peut-être trop jeune pour moi, mais pas immature du tout. C’est vrai qu’il était encore étudiant, il avait même un petit côté « singe savant » mais ce n’était pas désagréable ; il savait construire une phrase et avait l’habitude de s’exprimer sans détour. Cerise sur le gâteau, s’il était malin, il n’était pas vicieux : sa méfiance presque maladive n’était qu’un bouclier, tellement flagrant maintenant que je m’en voulais de l’avoir autant méjugé... Et pourtant, il allait m’échapper comme une savonnette. Merde ! Ce n’était vraiment pas de chance.

Lucas m’accorda un dernier baiser que j’aurais voulu fougueux, mais il se décrocha de mes lèvres illico. Valait mieux que je déguerpisse avant de faire mon balourd.

En sortant de son immeuble, le froid m’enveloppa comme une tornade. La chaleur estivale de son appart me manqua tout d’un coup, il n’y avait pas qu’elle, d’ailleurs. J’accueillis cette fraicheur comme un seau d’eau en plein visage : fallait que je me réveille.

J’avais passé un bon moment, et avec un beau mec en plus, mais j’avais couché avec le mec de mon meilleur ami aussi, et ça c’était plus délicat. Néanmoins, ce n’était pas le visage de Joël qui occupait mes pensées, mais bien celui de Lucas. Bon, je n’avais plus d’autre choix que de l’oublier… Marcher en direction de mon appart’ me permit de décompresser, mais j’avais un peu l’impression de rentrer la queue entre les jambes.

A l’arrivé, une odeur familière m’alerta : Karl était là, ça empestait l’herbe. En plus, il n’était pas seul : un de ses potes avec qui il partageait un joint, était affalé dans le sofa. Je reconnus Benji, un grand machin mou, tatoué et bagué, les cheveux teints en bleu électrique, qui ponctuait toujours ses phrases d’un rire strident. Je regrettai aussitôt d’avoir quitté Lucas.

-          Hey salut Alex ! Tu bois un coup avec nous ? s’exclama Karl.

Pourquoi pas après tout. Ce n’était pas encore l’heure de me coucher avec les poules. Preuve que sa colonne vertébrale lui servait parfois de tuteur, Benji se redressa un peu, me fit une place.

Karl me servit un Pastis bien tassé. En plus du joint, les deux compères tournaient également à l’anisette où l’eau n’était vraiment qu’une option. A peine avais-je porté la boisson à la bouche que je reposai le verre : trop alcoolisé pour moi. En fait, j’aurais préféré boire un café, voire un thé plutôt que prendre cet apéritif. En fait, mon humeur n’était pas à la célébration. Pourtant je n’avais aucun vrai ressentiment.

-          Ça va, Alex ? T’as l’air vénère ! T’aurais pas croisé l’autre mytho du quatrième, par hasard ?

-          Non, ça roule ! Je suis fatigué de ma semaine, c’est tout. J’ai bossé ce matin.

Comme je me doutais que Karl n’était pas invité mercredi soir prochain, je ne lui en parlai pas. Et évidemment, pas un mot sur ma relation avec Lucas.

-          Vous comptez vous mettre une caisse ce soir ?

-          Sais pas ! mais c’est bien parti. Hein, Benji ?

-          Ouais, c’est cool, renchérit celui-ci, moqueur. De toute façon, moi je bosse quand je veux. Je n’ai de compte à rendre à personne. Suis un mec archi libre, un vrai bonhomme avec une bonne paire de bollocks*, quoi.

Je soupirai… Mon Dieu ce qu’il m’agaçait. Lui comme Karl, ne survivaient que grâce aux largesses de leurs parents. Alors que Karl travaillait, l’autre n’en foutait pas une rame sous ses allures de Pokémon révolutionnaire. Mais comment leurs parents faisaient-ils pour les supporter ?

Malgré moi, l’agressivité commençait à gonfler mes nerfs.

-          T’es un mec, toi ? réagis-je sèchement. Je croyais que tu étais non binaire ? Que ton genre n’avait aucune importance ? Tu nous as assez saoulés avec ça !

-          Ça dépend des jours, répondit-il, vaporeux. Des fois, suis même une licorne !

-          Ouais, et qui chie des paillettes, ricana Karl.

-          Ah okay ! Je vois… Tu crois que je bosse pour le plaisir ? Ou alors, c’est moi qui te fais de l’effet pour parler comme ça ?

-          Cool, Alex ! On rigole, c’est tout ! argua Karl.

Karl disait vrai. Je n’avais aucune raison de prendre la mouche. Benji n’était en rien responsable des problèmes de la vie, et surtout pas de la mienne. Dans l’histoire Lucas versus Joël, j’étais une victime collatérale, je n’y pouvais rien, c’était même de ma faute et ça c’était clair.

Je me ressaisis.

-          T’inquiète poupée ! Tu n’es pas mon genre du tout, dis-je calmement. Même pas en rêve. Sauf si tu transpires à la salle de sport 24h/24 pendant dix ans, je pourrais peut-être reconsidérer ma réponse.

En ce moment, entre les végans, les non-binaires, les wokistes, les asexués, les racisés, les décoloniaux, les non-grossophobes ou les fat-admirers**, les queers, les mythos, les paranos et les licornes, j’en passe et des meilleurs, c’était devenu difficile d’engager la conversation. Ils partageaient tous un point commun, ils étaient tous ultra susceptibles. Si l’adaptabilité devait être une règle pour moi, là il fallait battre des records de souplesse dont même un yogiste chevronné se lasserait. Benji n’était rien d’autre qu’une mouche dans mon univers, j’avais envie de rester cool ce soir.

-          Moi j’aime trop la biture pour me faire chier à soulever de la fonte, ricana la mouche. Les muscles, c’est bien mais ce n’est pas ça qui me fera vivre.

-          Tu m’étonnes ! s’exclama Karl.

Argumenter ne servait jamais à rien avec Heckle et Jeckle, ces deux-là étaient la quintessence de ce qu’il fallait éviter. Et puis ils interféraient gravement avec le bon souvenir de mon étreinte avec Lucas. Et ce soir-là, je n’avais plus qu’une envie, celle de me réfugier dans mon intimité, à défaut de pouvoir retrouver celle de Lucas.

*Couilles, en argot anglais.

**Terme américain désignant ceux qui aiment les gros. Le terme en français n’existe pas (encore).

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2022

Credit photo : "L'Homme au Chien Nu" - Denis Kister (c) 2022

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