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Didier K. Expérience
7 décembre 2022

Le Retour de Virgule - Les Circumpolaires 2. E.13/35

Le Retour de Virgule

Julien avait battu tous les records de scoops de ces derniers temps : à part peut-être une déclaration d’amour inopinée de Lucas, je ne voyais d’ailleurs pas ce qui pourrait le battre. Bon, on ne faisait pas un concours, mais j’avoue que j’avais encore du mal à atterrir. Son look avait même réussi à brouiller le puissant gaydar* de Karl. Bon, la soi-disant infaillibilité de mon coloc pour décoder une personne n’était pas vraiment une science exacte, mais je dois dire qu’il se trompait rarement. Cependant, j’avais enregistré l’information, je ne savais pas encore si c’était suffisant pour avoir Julien comme ami.

Dès que je les avais quittés, j’étais remonté chez nous, la tête pleine de pensées. J’étais à peine devant ma porte que celle de la voisine s’entrebâilla. Marie-Micheline ne sortit pas, elle se contenta de m’apostropher en restant dans l’ombre.

-          Alors, ça y est ! Vous savez tout sur Virgule. Si ce n’est pas malheureux : une si belle jeune fille devenir ce monstre. Je vous souhaite bien du plaisir avec cette famille de fous. Moi j’ai rendu les armes.

Virgule ? Que cela voulait-il dire encore ? Elle était vraiment siphonnée, celle-là.

-          Madame, je vous en prie. Chacun a le droit de vivre comme il lui convient. Julien ne fait de mal à personne.

-          Si ! Il en fait ! A sa famille ! répliqua-telle hargneusement. Dieu m’est témoin que je n’ai pas eu d’enfant, mais je n’aurais jamais laissé faire une telle ignominie si j’en avais eu. Ma pauvre Elodie, qu’es-tu devenue ! Ce monde a perdu la boule ! gémit-elle.

Sur ce, elle referma brusquement sa porte. C’était d’ailleurs ce que j’espérais. Cette sorcière m’exaspérait, mais le fait qu’elle soit âgée me désarmait, m’empêchait de l’envoyer valser une bonne fois pour toutes. Soupirer était la seule chose que j’arrivais à faire en sa présence. Tant que je n’étais pas attaqué personnellement, je pouvais la laisser déblatérer. Cependant son espionite commençait sérieusement à me gaver. Finalement, j’aimais mieux quand elle était invisible et nous aussi. Maudit Karl et ses coupes de cheveux !

Je comprenais que la transition de Julien n’avait pas dû se faire aussi facilement que ça et qu’il avait dû franchir de nombreuses étapes plus ou moins compliquées, et qu’aujourd’hui il se lançait à la conquête du monde, la fleur aux dents. Enfin, ça c’était une belle image. On verrait bien ce que ça donnerait à la salle s’il s’y inscrivait.

J’étais venu avec la ferme intention de nous excuser et j’en étais reparti avec une confidence à manipuler avec soin. Même si je ne compatissais pas plus que ça, la réaction outrancière de Marie-Micheline m’inviterait plutôt à rejoindre le camp de Julien. Illico même !

J’avais hâte d’annoncer à Karl que la « guerre des princesses » n’aurait pas lieu : c’était déjà ça de moins à supporter. Je lui envoyai un bref texto : « J’ai vu Julien ce soir, tout roule entre nous ». Ce qui devrait éviter les quiproquos. Karl n’étant pas au courant de ma visite, ça serait dommage qu’ils se fâchent dans mon dos. Je me doutais aussi qu’il comprendrait vite car Karl soutenait la cause des trans, comme tout et n’importe quoi d’ailleurs : il n’avait pas de convictions particulières mais des feelings, et les trans lui inspiraient un bon feeling. Restait à se croiser, mais avec nos emplois du temps respectifs, ce n’était pas gagné…

Ce n’est que le vendredi matin suivant que je pus voir Karl et lui parler, soit deux jours après ma visite. Ce matin-là, on n’eut pas trop le temps de discuter. Cependant, comme je m’en doutais, Karl encaissa la nouvelle. Lui était en slip et moi en tenue, prêt à partir bosser.

-          Jure ? Julien, un transboy ? Merde ! Je n’en reviens pas… Bah, c’est cool, dit-il pensif. Ouais, c’est dommage qu’on ne l’ait pas su tout de suite. Ça m’aurait évité de me ridiculiser. Mais c’est cool, j’irai le voir pour discuter.

-          En tout cas, il ne t’en veut pas d’avoir essayé de l’embrasser. C’est vrai qu’il est mignon.

-          Ouais, c’est sûr qu’il est mignon, répondit-il encore plus songeur.

Bon, je n’avais pas le temps de parler cuisine, je faisais l’ouverture du club, et même si je n’habitais pas loin, pas question d’arriver en retard…

D’ailleurs, le patron du club m’attendait, ce qui n’arrivait pas si souvent. Heureusement, j’étais bien à l’heure pour accueillir les premiers gym-freaks dès 6h. Je me dépêchai de tout mettre en route, sous l’œil scrutateur du boss. Il ne me lâcha pas du regard, me suivit de loin, partout.

-          Alex ! Dès que tu as fini d’ouvrir les salles, tu me rejoins dans mon bureau ? Merci.

Merde ! A moins d’un mois de la fin de mon contrat, que me voulait-il donc ? Ça sentait fortement le quitte ou double, mais même avec mon expérience des fins de contrat, j’étais bien incapable de deviner ce qui allait se passer.

Une bonne demi-heure plus tard, tout était en route, les deux premiers arrivants étaient sur leur tapis, ils pouvaient rester seuls quelques minutes. Donc, direction le bureau du boss.

-          Entre Alex ! Je t’en prie. Voilà, je vais partir en vacances dans deux semaines pour les fêtes de Noël et je ne serai pas là pour discuter de ton contrat. Comme je n’aime pas faire les choses à moitié, je tenais à te parler franchement, d’homme à homme. Tout d’abord, je voudrais savoir comment tu te sens chez Gym-Up, depuis six mois ?

-          Euh !... Très bien. Le club est super. L’équipe est super. Tout est super pour moi ici.

-          Bien ! Je suis content que ça te plaise. Quant à moi, je suis satisfait de ton travail, de ton expertise, de la qualité d’écoute et d’échange avec les clients et le personnel, vraiment corporate. Et tes collègues sont également contents de toi.

Détendu, j’attendis la suite. Lui était relax et souriant, sirotant un gobelet de café par à-coup, ce qui promettait.

-          Voilà ! J’aimerais te proposer un CDI à temps complet pour que tu intègres définitivement la Gym-Up team. Qu’en penses-tu ?

-          Over the top ! C’est carrément bien. Je suis okay, bien sûr !

-          Super ! En revanche, ça sera aux conditions salariales de ton CDD. J’ai pu arracher une embauche à la direction générale du club mais c’est tout ce qu’ils ont voulu accepter. On verra l’année prochaine pour les augmentations de salaire, hein ! On est des winners, hein ?

-          C’est okay ! Ça m’ira. Ne vous inquiétez pas.

-          Alors, à partir du 1er janvier 2020, tu seras complètement avec nous. Je suis content pour toi.

Enfin ! Je décrochais mon premier CDI depuis que j’avais migré dans cette ville, ce n’était pas trop tôt. Je jubilais intérieurement, et tout ça grâce à Joël qui avait intercédé en ma faveur pour m’obtenir un CDD. Et moi, je l’avais remercié de la plus mauvaise manière : en le « cocufiant ». J’étais obligé d’utiliser ce vilain mot de « cocufiage » car si la coucherie était courante dans le milieu gay, il ne devait pas y avoir de sentiments. Or moi, j’en avais… Je ne savais pas comment j’allais rétablir la balance, mais il fallait que je le fasse… Dire que j’avais été trahi par mes amis plus d’une fois et voilà que j’avais commis la même chose presque sans le vouloir. Il n’y a pas à dire, nous les humains, avons un problème inhérent à la vie : on est vraiment sur Terre pour foutre un bordel inextricable !

Si Joël était un ami, c’était surtout mon collègue à Gym-Up, et même s’il m’avait annoncé qu’il n’était plus question de couple exclusif, je n’y croyais pas : Lucas et lui étaient des jaloux possessifs. Je connaissais suffisamment Joël pour savoir qu’il prendrait mal le fait que j’ai couché avec son mec. Je ne voyais pas comment je pourrais faire autrement que d’éviter Lucas pour ne pas susciter l’envie de l’étreindre à nouveau. D’ailleurs, rien que d’y penser, j’en avais envie.

Ce CDI devait me permettre de me stabiliser, d’avoir mon propre appartement dans un délai raisonnable et d’envisager le futur autrement que comme un problème. Autre point positif, j’allais pouvoir me débarrasser de Pôle emploi qui ne me servait à rien, sauf à vouloir me radier pour un oui ou pour un non. Pourtant, à l’instant où j’apprenais mon embauche, j’avais l’impression qu’elle se transformerait en un boulet que je trainerais sur une certaine durée indéterminée, elle aussi.

Bon, en attendant de voir le monde s’écrouler sous mes pieds, je profitais de cette annonce pour me réjouir, je me dédiais cette journée. Je flânai de salles en salles, proposant mon aide à qui le souhaitait, mais sans trop insister quand même. Comme j’avais fait l’ouverture, je terminerais vers 12h, ce qui me laisserait l’après-midi et ma soirée. Pour une fois, je décidai qu’il était temps de m’accorder un peu de bon temps, et de lever mes restrictions : ça faisait des siècles que je n’avais pas mis les pieds au 36, c’était le bon moment de voir si ça avait changé.

Le temps de manger sur le pouce place de la Comédie, je m’étais dirigé tranquillement vers mon lieu de villégiature pour l’après-midi. Du Polygone jusqu’à la rue Bourrely, il me fallut une bonne demi-heure à pied.

Bien évidemment, je connaissais très bien cet endroit, mais le sauna n’étant pas mon truc, je ne le fréquentais pas souvent. La chaleur moite me dérange et me balader quasiment à poil ne m’excite pas plus que ça.

Les vestiaires se trouvaient à gauche de l’entrée, juste avant le bar et la grande salle de repos, un écran géant fixé au mur diffusait des films pornos en continu, mais sans le son, dans une quasi pénombre. Les beats technoïdes rythmaient le vide sonore du lieu, lui donnant un côté presque mystique. Ça me rappelait aussi ma salle de sport, on était presque dans la même ambiance finalement. J’entrai tranquillement, ceint de ma serviette que je tenais d’une main ferme à la taille. On y venait rarement pour se laver, mais pour du sexe et pour se détendre parfois. Donc, à peine avais-je pénétré dans la salle que des yeux me scrutèrent, me scannèrent devrais-je plutôt dire. J’étais déjà pesé et emballé par certains, avec une étiquette de prix collée sur le front. J’exagérais sûrement, mais c’était comme ça que je le ressentis.

A cette heure avancée de l’après-midi, il n’y avait pas grand monde. Je m’approchai du comptoir et commandai un soda. Le jeune serveur, bien que torse nu, portait un mini short ras le pubis et des baskets montantes. Les quelques silhouettes que j’avais entraperçues se détachèrent au fur et à mesure que mes yeux se faisaient à l’obscurité. Ceux qui étaient là, n’était pas de la première fraîcheur : certains avaient même dû garer leur déambulateur pas très loin. Bref, ceux qui mataient les films enfoncés dans les canapés, s’y camouflaient aussi. Bon, on était en plein après-midi, c’était aussi l’heure des vieux, les beaux-mecs viendraient sûrement plus tard. Pour le moment, cette ambiance n’avait aucune chance de réveiller ma libido.

En m’éloignant du bar, je vis le fameux jacuzzi dont la réputation était légendaire dans le milieu gay montpellierain. Un bassin rectangulaire pouvant contenir au moins six personnes mais qui était désert au moment où j’y entrai. L’eau tiède me saisit et me fit un bien fou. Je m’y assis jusqu’au cou, les bulles m’entourèrent. C’était agréable mais au bout de cinq minutes, je remarquai une odeur étrange qui provenait de l’eau elle-même, comme un mélange d’eucalyptus et de chlore. Je ne savais pas si c’était normal mais je n’avais d’autre choix que de faire confiance. Machinalement, je touchai le sol de ce grand bain et m’aperçus qu’il était granuleux. Je ramassai ce grain du bout des doigts et vis qu’il s’agissait d’une sorte de sable.

Comme je l’ai dit, je n’étais pas un spécialiste du sauna, mais j’en savais suffisamment pour comprendre que ce sable n’avait rien à faire dans un bain à remous. Donc, c’était sale, et si le sol du bain était douteux, l’eau devait l’être aussi. Je ne m’étais trempé qu’une dizaine de minutes, mais cette odeur chimique me collait déjà à la peau. Du coup, un passage en urgence aux douches s’imposa avant de poursuivre mon périple dans le sauna.

Cependant, mon tour fut rapide, il n’y avait qu’une dizaine de personnes : que des vieux croulants libidineux, un avant-goût de l’enfer pour moi. En retournant aux vestiaires, je vis qu’un autre mec se rhabillait, l’air aussi dégouté. Le gars me confia que depuis qu’il s’était endormi dans un des canapés, il se grattait et croyait avoir trouvé un morpion. Plus de doute, j’avais fait une erreur de casting, fallait que j’aille ailleurs et vite. Ça faisait un bail que je n’étais pas venu dans ce sauna, ils ne risquaient pas de me revoir de sitôt.

Je n’avais pas encore signé ce CDI, donc vendre la peau de l’ours ne servait à rien. J’avais voulu célébrer ma petite victoire un peu trop rapidement et j’en étais pour mes frais, presque écœuré, pas un si bon jour de chance, finalement…

*Mot familier. Chez les LGBT, capacité intuitive de quelqu’un à deviner l’orientation sexuelle d’une autre personne.

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2022

Credit photo : "L'Homme au Chien Nu" - Denis Kister (c) 2022

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Didier K. Expérience
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