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Didier K. Expérience
4 décembre 2022

Le Retour de Virgule - Les Circumpolaires 2. E.10/35

Le Retour de Virgule

Passé la surprise de découvrir que la mère de Julien ne ressemblait pas tant que ça à Marie-Micheline, les secrets de la génétique étant sûrement impénétrables, je retournai à la quiétude de la cuisine me servir un café. Jusque-là, tout allait bien, je pensais être tranquille encore plusieurs heures. Mais les aléas de la vie étant aussi impénétrables qu’imprévisibles, une autre surprise se pointa.

Mon tel bippa m’annonçant qu’un message était tombé : tel un missile, Lucas venait de me contacter. Mais comment diable avait-il eu mon numéro ? Je supposai que c’était par l’intermédiaire de Joël, je ne voyais pas d’autre possibilité. Mais pourquoi lui aurait-il donné mon numéro puisqu’il y a encore vingt-quatre heures, on ne s’adressait même pas la parole ?

« Salut Alex. J’aimerais pouvoir te parler. Si tu as qq minutes, bien sûr, hugs ».

Hugs ? Anglicisme qu’on pourrait traduire par « des câlins ». Eh bien ! Nos relations avaient sacrément évolué depuis cet après-midi. Je notai que tout le monde dans mon entourage avait besoin de me parler en ce moment, je ne savais pas que mes conseils valaient de l’or ni que j’avais une tête à confidences. S’ils savaient dans quel état de décrépitude se trouvait ma vie actuellement, ils se raviseraient sûrement.

Bon, ça tombait bien, moi aussi fallait que je parle à Lucas, et même que ça urgeait. Vu l’état de stress dans lequel il avait mis Joël, il était temps de mettre un terme à cette comédie ou Joël allait contaminer tout le monde avec sa mauvaise humeur inhabituelle.

Je répondis laconiquement :

« Bien sûr ! Quand voudrais-tu ? »

« Demain soir, 20h chez moi ? On sera tranquille. J’habite 14, rue Eugène Lisbonne, en face de l’église Ste-Anne ».

Je découvrais que Lucas habitait dans l’Ecusson, de l’autre côté du quartier St Roch, à trois pâtés de maisons. Je ne me rappelais pas que Joël ne l’ait jamais mentionné : pourtant lui savait très bien où j’habitais puisqu’il venait souvent chez moi. La surprise supplémentaire était qu’on aurait rendez-vous chez lui, ce n’était pas vraiment un terrain neutre, mais il avait raison, ça resterait discret.

« Okay ! A demain soir, hugs, toi aussi. »

Je me fendis du même anglicisme puisqu’on était presque devenus complices.

Et puisque j’avais le salon et la télé pour moi seul, il ne me restait plus qu’à passer mon samedi soir devant Netflix à mater une série en bouffant des chips. Mon seul vrai plaisir actuellement, que je m’octroyais une fois par semaine. Une vraie vie de moine branché, quoi !

Ce dimanche, j’étais de service le matin jusqu’à midi, je faisais l’ouverture à 9h. Si la semaine, on ouvrait à 6h, le dimanche, il y avait vraiment moins d’affluence tôt le matin. A part les gym-freaks, dont je faisais partie, les autres clients ne se pressaient pas ce jour-là, mais moi à midi j’étais libre. Comme je n’avais que le rendez-vous avec Lucas à 20h, je pourrais rester à la salle pour m’entrainer gratuitement, cadeau de la direction à ses employés méritants. Laura mon binôme titulaire, s’occuperait seule des clients, mais je ne rechignais jamais à lui filer un petit coup de main si besoin était. Au Gym-Up d’Antigone, tous les binômes étaient composés d’un garçon et d’une fille, parité totale, c’était la politique générale du club. Sauf que je n’étais pas encore titulaire, mais je ne désespérais pas. Comme je l’avais déjà dit, j’étais naturellement bien dans cette salle de sport, heureux comme un poisson dans son bocal, vraiment rien à voir avec la boutique de fringues du Polygone.

C’est bien ici que je remonterais la pente, sauf que Joël était en train de me tirer vers le bas, et plus ça allait et plus j’avais l’impression qu’il se transformait en boulet. Dans un sens, j’avais hâte d’en discuter avec Lucas, mais je n’espérais pas faire d’étincelles non plus car ce garçon me paraissait plus intransigeant qu’un mur de briques…

Karl devait comater dans sa chambre quand, sur les coups de 19h30, je quittai l’appart pour me rendre à mon rendez-vous. Le dimanche soir en hiver, Montpellier ressemble à une ville fantôme, les terrasses sont vides, les rues désertes, il y fait nuit à 17h, et il y fait un froid de canard. On aurait pu être au Havre tellement je me les gelais et l’obscurité accentuait encore cette ambiance de fin du monde. Du coup, j’avançais rapidement en rasant les murs, pressé de me mettre au chaud chez Lucas. Et de St-Roch à Ste-Anne, il n’y avait vraiment pas long.

A peine étais-je arrivé dans sa rue que je bipai Lucas, qui me répondit favorablement, même si j’étais un peu en avance, ce qui ne se fait pas chez les locaux généralement. Il habitait le même immeuble que l’ancien conservatoire dont l’accès était toujours ouvert. Une grande cour médiévale séparait l’entrée de son escalier, mais une grille dotée d’un digicode m’empêcha d’aller plus loin. Toujours le syndrome Fort Knox, je présumais. Cependant, il devait lire dans mes pensées parce que je reçus au même moment un texto : « W1529 ». Vraiment malin, ce petit ! La grille se déverrouilla.

Encore un escalier en colimaçon dont les marches trop larges usaient les jambes : ils n’avaient donc pas d’architectes compétents au Moyen-âge ? Par chance, il se situait au second. Une porte par étage, je ne pouvais pas me tromper. D’ailleurs, il ouvrit dès mon arrivée.

Lucas apparut sur le pas de la porte, attifé simplement d’un survêtement et en chaussettes. Le chauffage devait tourner à fond parce que je ressentis une bouffée d’air chaud dès que je fus à l’intérieur. Il y avait comme un air de Bahamas sur la banquise dans cet appart.

Outre le fait qu’il ne portait pas de chaussures, il me sembla plus petit que d’habitude. Peut-être était-ce le survêtement qui le moulait un peu ? Je ne sais pas. Je me baissai donc pour lui faire la bise, mais dès que mes lèvres touchèrent sa peau, un frisson me parcourut. Pourtant je n’avais que baisé ses joues, rien d’exceptionnel, mais un truc passa. Je me sentis bête, empoté tout d’un coup. Je vis à son regard qu’il s’était rendu compte de mon trouble. Il m’invita à quitter mon blouson et à le suivre dans la pièce principale.

C’était un grand studio dont une unique fenêtre donnait sur la cour intérieure de l’immeuble mitoyen. Peu de lumière naturelle mais un calme total. Un grand lit trônait au centre, face à un écran géant fixé au mur. Le coin cuisine était quasi inexistant, et la salle de bain se trouvait dans le fond, sûrement configurée comme la mienne. Des étagères couvertes de livres et de DVD couraient le long des murs, sauf sur celui où était adossé le lit : un poster de Mylène Farmer dénudée y était accroché. Bref ! J’étais bien dans une chambre d’étudiant telle que je pouvais me l’imaginer.

Lucas m’invita à le rejoindre sur le lit sans plus de cérémonie. De toute façon, il n’y avait ni table ni chaises et je n’allais pas rester debout. J’enlevai mes chaussures et m’assis face à lui.

Je remarquai que les barres au sol* originales étaient recouvertes par une moquette assez épaisse, ce qui était plutôt rare par ici. Mais bon, mon trouble s’étant dissipé, il était temps de commencer.

-          Alors, de quoi voulais-tu me parler ? dis-je enhardi

-          Tu veux boire quelque chose ? J’ai du vin blanc ou du Coca ! coupa-t-il.

-          Euh ! un Coca sera parfait !

Lucas se leva du lit pour se rendre dans le coin cuisine, prit les boissons et revint s’assoir, silencieux.

-          Je pense que tu sais de quoi je veux te parler !

-          De Joël et de ton couple, oui je m’en doutais. Il était temps qu’on crève l’abcès d’ailleurs.

-          Non, du tout ! Je voulais parler de toi.

Ses yeux bleus me fixèrent et j’eus l’impression d’être transpercé par deux lasers. Je crois bien que j’étais en train de rougir et de suer : ce qui ne m’arrivait jamais.

-          Pourquoi voudrais-tu parler de moi ?

-          Tu me permets d’être franc ?

J’acquiesçai volontiers.

Il but une gorgée de soda. Puis se lança comme si sa vie en dépendait.

-          Hier après-midi, j’ai adoré être entre tes bras… et entre tes cuisses aussi, ça m’a fait tout drôle. La dernière fois que ça m’est arrivé, c’était avec Joël… Ton odeur, ta force, ta présence, ça m’a bouleversé. Je te promets que je ne te fais pas un mytho, je suis sérieux.

Je ne savais plus que dire, il était en train de matérialiser ce que je pensais aussi. Sa franchise me plut.

-          Ouais, moi aussi ça m’a fait un truc… Mais ça arrive parfois, ça ne veut rien dire, mentis-je.

-          Non, je ne crois pas… Ça veut dire qu’on a un crush tous les deux.

-          Mais je croyais que tu étais amoureux de Joël.

-          Je le suis, je l’aime vraiment et je veux vivre avec lui, mais là j’ai grave envie de toi… Voilà c’est sorti, fallait que je te le dise. Excuse-moi si je t’ai choqué. Tu dois me prendre pour un dingue, non ?

J’accueillis la nouvelle avec circonspection. En fait, c’était ce que j’attendais, mais généralement ces choses-là n’arrivent jamais, même pas dans les films. Sauf que là, il avait craché le morceau. Curieusement, je restais sur la défensive, presque impassible, la différence d’âge jouait-elle en ma faveur cette fois-ci ?

Il attendait ma réponse, semblait déjà navré.

-          Allons, « Jeune padawan » ! Est-ce que tout cela est sérieux ?

-          Tu crois que je te fais une scène ? Je te dis en face ce que je pense, pas de mytho entre nous, c’est du direct. Tu veux que je te le prouve ?

Il enleva sa veste de survêtement. Déjà torse nu, exhibant un corps d’albâtre musclé sec, il s’approcha de moi et m’embrassa fiévreusement. Je le laissai faire, il avala mes lèvres et ma langue goulument. Putain, mon Dieu que c’était bon. Mais j’eus du mal à m’y mettre, j’avais quand même des scrupules.

-          Et Joël ?

-          Après ! On en parlera après.

Effectivement, en une fraction de seconde, je me surpris à quitter mon pantalon et à me retrouver nu, mes scrupules m’avaient quitté aussi rapidement.

-          T’as des capotes ?

-          Pas la peine, je suis sous PrEP.

Merde ! Moi aussi en principe, mais comme je ne faisais rien, je ne prenais plus mes pilules. J’étais vraiment largué. Il avait manifestement tout prévu, du chauffage à la protection.

Le sexe, c’est comme la bicyclette, même si on ne pratique pas souvent, ça revient vite. Et là, c’était revenu très vite. Si moi j’étais affamé par la disette sexuelle que je m’imposais, Lucas s’avéra insatiable et me commanda toutes sortes de poses acrobatiques qui nécessitaient une forme physique impeccable. Lui s’entrainait à la salle aussi sérieusement que Joël et moi, mais sa jeunesse décuplait ses forces : il en voulait et en redemandait et moi, je ne voulais que satisfaire ses moindres désirs. Bref, il m’épuisa aussi très vite. Son corps souple et tendu me ravit comme rarement chez un mec, c’était un sacré trophée. Joël kiffait baiser avec Lucas, et en cet instant, comme je le comprenais, comme je l’enviais même, car s’ils restaient ensemble, il s’avèrerait difficile pour moi de pouvoir recommencer.

Au moment de jouir, je réalisai que je n’avais pas pris un tel pied depuis une éternité, voire depuis la fameuse scène de la crique à Sitges avec Ferguson de l’été dernier. Lucas succéderait donc à Ferguson, et si ce dernier m’avait causé une quasi dépression, Lucas ne tarderait pas à me mettre dans un beau merdier.

*Grandes dalles médiévales.

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2022

Credit photo : "L'Homme au Chien Nu" - Denis Kister (c) 2022

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