Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Didier K. Expérience
28 septembre 2021

Les Circumpolaires E.28/34

Circumpolair

Le réveil fut quelque peu chaotique, mon téléphone sonna non-stop jusqu’à ce que je décroche. Et sur les coups de 10h, j’émergeai enfin. La fatigue du voyage associée aux cavalcades nocturnes m’avaient bien plus crevé que je ne l’aurais imaginé : les débuts de la vieillesse, sans doute. Juan m’avait laissé plusieurs messages, me demandant de descendre prendre mon petit dej’ avant que Ruben et Ferguson n’arrivent. Voilà la bonne nouvelle que j’attendais : Ferguson était en route. Pas le temps de me laver, je me jetterais dans la piscine avant d’aller à la salle à manger.

Roberto et Lorenzo finissaient leur café tranquillement. Ils étaient déjà prêts pour la suite, semblait-il. Juan me servit en café, jus d’orange, et surtout me pressa la bouche de ses lèvres, d’un smack sonore et fort peu discret. La journée commençait bien.

-          Je te fais le service parce que tu as bien travaillé cette nuit, dit-il tout fort. Et quand je suis content, tout le monde doit le savoir. Mamita Juanita est très heureuse aujourd’hui.

J’étais étonné de ce déploiement exubérant de compliments. Moi qui pensais que notre tête-à-tête devait rester secret, voilà que Juan le rendait public : il ne manquait plus qu’un mégaphone et une parution dans le journal local, et ce serait complet. Les amants terribles m’adressèrent un sourire satisfait, j’avais sûrement rempli une partie du contrat. Moi je ne savais que dire, surtout que tous les francophones présents m’avaient bien identifié ce coup-ci. J’eus peur que ce ne soit qu’une manœuvre de plus de la bande de la Casa Del Mar pour me jeter dans les bras de clients qui avaient du mal à faire des connaissances qui se termineraient dans la chambre à coucher. D’ailleurs, les follasses françaises aperçues la veille ne se gênèrent pas pour m’applaudir. Je ne voulais pas faire le rabat-joie, mais j’étais faussement ravi de ce succès inattendu.

Puis Juan se plaça au centre de la salle pour annoncer en plusieurs langues qu’il ferait une cérémonie de baptême vers midi aux abords de la piscine, et que tout le monde y était invité. Ce qui voulait dire aussi que Ruben et Ferguson seraient là pour y assister.

Lorenzo vint me voir à ma table pendant que Roberto vaquait à d’autres occupations.

-          Alors garçon, c’était bien hier soir ? me dit-il.

-          Tranquille ! Juan exagère un peu, je crois… Et toi, ton escapade ?

-          Rien de spécial. Je savourais juste un moment de liberté sans mon commandant en chef de mari… Je te raconterai plus tard.

Lorenzo resterait évasif tout le long du week-end, j’avais quand même l’impression d’une mise à l’écart de sa part. En tout cas, je ne ressentais plus l’enthousiasme de notre rencontre. Peut-être s’était-il déjà lassé de moi ? Il me laissa pour rejoindre Roberto, qui aidait à l’installation de la cérémonie.

Enfin ! Ferguson fit son apparition, accueilli comme il se doit par son ami Juan. Il me fit un signe de la main et un large sourire, me montrant qu’il m’avait vu. Sa valise à roulettes le suivant partout comme un petit chien, me fit sourire, ça lui donnait un petit côté plus féminin ou plus précieux. Ce jour-là, il était habillé style gentleman farmer, décontracté et cool. Je remarquai son bracelet rose « all inclusive » comme le mien… Il héla un jeune serveur, mais celui-ci lui répondit quelque chose qui ne plut pas du tout à Ferguson. Le serveur lui parlait dans une langue que je ne connaissais pas et Ferguson lui répondit en espagnol. Juan vint s’interposer et régler le problème.

-          Esta bien, calmense, niño ! Allez ! Chacun de son côté ! Ça ne vaut pas une guerre… Je m’occupe de ton café, Ferguson.

Ferguson rejoignit ma table, déposant sa valise derrière ma chaise. Mes yeux ronds trahissaient mon étonnement. Lui qui était si cool devint subitement bêtement irritable.

-          Eh bien ! Que se passe-t-il ?

-          Hola Théo ! Rien de grave. Cet abruti m’a répondu en catalan, et je ne parle pas le catalan. Je ne suis pas espagnol mais chileno. Je n’en ai rien à foutre qu’il parle soi-disant catalan. On est en Espagne, merde ! Ce pays a colonisé le mien, pas l’inverse. Et ici, je ne pourrais pas parler l’espagnol ? Et puis quoi encore ! Mierda !

Bon, je ne voyais pas ce qu’il y avait de si grave, mais son énervement était palpable. Depuis que j’étais arrivé, je m’exprimais soit en en anglais soit en français et personne ne m’avait rejeté pour autant. Aucun blocage avec le personnel non plus. Bizarre !

-          C’est la raison pour laquelle je vis à Toulouse, en France, et non en ici en Espagne. Il n’y a pas que les Catalans avec qui j’ai des problèmes. En règle générale, les Espagnols n’aiment pas les Sud-Américains, pire ils détestent les Andins. Ici en Catalogne, toutes les nationalités sont représentées : Cubains, Argentins, Mexicains, Péruviens, Boliviens, Colombiens, etc. Pour nous, c’est normal d’émigrer dans ce pays, mais pas pour les Espagnols, dirait-on. Et les Catalans ne veulent rien à voir à faire avec nous. Tu vois, j’ai préféré apprendre le français et m’installer à Toulouse que de vivre avec ces racistes, parce que oui, cariño, ce sont des racistes.

Juan apporta le café et s’assit avec nous, la mine navrée.

-          Ferguson ! Combien de fois dois-je te le dire ? Le catalan est la langue officielle ici. Il va falloir t’y faire. A chaque fois, tu nous fais les mêmes histoires. J’ai réexpliqué à mon serveur que tu étais chilien, il va faire un effort pour toi, mais s’il ne veut pas, je ne pourrai rien faire. C’est son droit, il faut le respecter. Alors arrête de le chercher ! Oui tu le cherches, tu lui cours après, c’est aussi ça la vérité ! Et n’oublie pas que moi aussi : Soy catalan !

-          Depuis le temps que je viens, ce cabron de serveur sait très bien qui je suis. Donc il le fait exprès, c’est plutôt lui qui me cherche. C’est un monde ça ! Les touristes peuvent parler en espagnol avec les Catalans, mais moi qui suis hispanophone de naissance, je devrais leur parler en catalan. On est chez les fous ou quoi ?

La susceptibilité de Ferguson m’apparut plutôt exagérée, voire forcée. On aurait dit un cliché culturel exacerbé. Je ne savais pas encore si c’était une mauvaise nouvelle.

-          Muy bien ! On ne le changera pas notre Ferguson… Soyez prêts señoritas, Ruben arrive dans cinq minutes.

Ferguson se pencha vers moi et déposa enfin un délicat baiser sur mes lèvres réchauffées par le café.

-          Je monte les bagages dans la chambre, je me mets à l’aise et je redescends pour la petite cérémonie. A tout de suite, cariño !

Donc, c’était confirmé, le deuxième locataire de la chambre, c’était bien lui. Tout était fait pour nous réunir, ma parole, mais c’était tellement gros que ça en devenait presque gênant.

Ruben fit enfin son apparition, chargé de paquets et de sacs de courses. En fait, il revenait de La Jonquera sur la frontière, pour acheter de l’alimentation détaxée et faire du vulgaire commerce. Alors qu’officiellement, il était à Barcelone pour affaires. Du coup, son escapade me parut moins glamour. Il était simplement parti au ravitaillement et non à une sex party quelque part. Comme quoi, l’imaginaire peut vite nous jouer des tours malgré nous. Sa réputation le poursuivait partout, y compris quand il allait acheter du lait. Cependant, même pour faire des courses, il était habillé comme pour se rendre chez son banquier, costume Hugo Boss bleu acier, très bien cintré, coiffé, beau comme un dieu. On a la classe ou on ne l’a pas.

Juan installa une grande table devant la piscine, des flûtes et des bouteilles de Champagne pataugeant déjà dans leur seau vu la chaleur. Le « petit chien » trônait incrédule sur un couffin, lui aussi sur la table, se demandant sûrement ce qu’il faisait là. Juan demanda aux gens présents de se rapprocher : il fit son annonce en ce qui me sembla être du catalan, de l’anglais, du français et en castillan bien sûr, le tout avec le même fort accent espagnol, ce qui pouvait rendre la compréhension du message compliquée… Ferguson s’était changé, pantalon et chemise de lin, pieds nus, très classe lui aussi. Moi, j’étais en short et débardeur moulant, Ray Ban sur le nez, j’avais vraiment l’air d’être son gigolo, tout d’un coup. Il m’enlaça légèrement, ce que j’appréciai finalement car il donnait l’impression de marquer son territoire et éloignerait tous ceux qui s’étaient fait des films sur moi, surtout les Français qui ne me lâchaient pas du regard.

Tout le monde avait un verre de Champagne en main, la cérémonie pouvait commencer. Juan remercia tous ceux qui étaient là pour leur présence, et surtout remercia Roberto pour son cadeau. D’ailleurs, celui-ci en profita pour échanger des flyers de sa maison d’hôtes Les Parasols contre des flûtes de Champagne : donnant-donnant, gagnant-gagnant ! Puis, Juan trempa un doigt dans son verre et aspergea de quelques gouttes la tête du pauvre chien qui n’en demandait pas tant.

-          En vertu des pouvoirs que m’a conférés La Casa Del Mar, je te baptise : Macho ! Désormais, tu seras notre Machito, dit-il en embrassant amoureusement son front d’ébène.

Notre petite assemblée joua le jeu et applaudit assez chaleureusement : c’était quand même un nouveau membre de la famille de Ruben et Juan car à défaut d’avoir des enfants, ils avaient désormais un chien, et c’était peut-être mieux comme ça. Ferguson se contenta de vider plusieurs verres. Lorenzo ne put s’empêcher de bailler, sûrement les démons de la balade de cette nuit qui se rappelaient à son bon souvenir. Roberto tutoyait les anges, trop heureux d’avoir fait mouche avec son cadeau. On était assez proches du ridicule, ça me rappelait Martial, mon client prof de philo et Marlon, son clebs hargneux. Mais, lui se vautrait dans le ridicule, teckel ou non. Décidément, se faire un nom était franchement difficile dans ce monde, y compris pour un bulldog français.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Merci. Retrouvez la communauté des lecteurs sur Facebook, DKalionian BlogImaginaire)

Publicité
Publicité
Commentaires
Didier K. Expérience
Publicité
Archives
Newsletter
12 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 21 649
Publicité