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Didier K. Expérience
29 septembre 2021

Les Circumpolaires E.29/34

Circumpolair

La cérémonie terminée, Juan annonça que les buffets étaient dressés et que ceux qui le désiraient, pouvaient venir déjeuner. Comme je sortais du petit dej’, je n’avais pas encore faim. Un tour à la plage me plairait bien plus, je voulais me mélanger à tous les résidents et profiter de l’ambiance gay débridée. Mais Ferguson en décida autrement.

-          Théo, viens je t’invite à déjeuner à Sitges. Je connais un petit restaurant très sympa, le Boca Chica sur le front de mer. C’est sans prétention et très bien fréquenté.

-          Tu n’es pas obligé de payer. Je peux aussi t’inviter. Ce n’est pas parce que tu connais ma situation qu’il faut te sentir obligé.

-          Oh ! Bichette ! dit-il en riant. Ne te vexe pas pour si peu. Ça me fait plaisir, c’est tout. Bien sûr que tu pourras m’inviter aussi, mais ce midi, c’est moi.

Il avait raison. Cette fois-ci, c’était moi qui étais ridicule. A force d’être tout le temps sur mes gardes, j’avais été inutilement agressif, et il m’arrivait de ne plus reconnaitre les mecs sympas des mythos. Faudra que je me rachète sûrement cette nuit, si Juan me laisse tranquille, bien sûr.

Je n’avais pas faim, mais pourquoi pas, après tout. Ça me permettrait de connaitre cette ville. On prit sa voiture, une Jeep Renegade décapotable bleu métallisé. Il m’annonça tout de suite la couleur : c’était une voiture de location qu’il avait eue pour trois fois rien, pour la semaine, grâce au réseau de Ruben. Il était venu de Toulouse avec, d’ailleurs. Je ne m’attendais pas à le voir dans un autre véhicule que celui-ci : cette Jeep lui allait comme un gant, tout à fait son style cool.

Ruben était un vrai commerçant, il avait ça dans le sang, me raconta-t-il. Il connaissait tout le monde et tout le monde le connaissait. Il arrivait à faire des affaires avec tout et n’importe quoi. Cette fois-ci, c’était Roberto et sa maison d’hôtes qui l’intéressaient. Cependant, Ferguson ne s’étala pas plus sur le sujet : le contrat n’était pas signé et tant que ça n’était pas signé, ça n’existait pas. Et puis, j’étais ravi de ne plus avoir dans les pattes Roberto et son âme damnée. Bien sûr, je leur devais ce week-end, mais je n’étais toujours pas escort-boy. Donc, pas aux ordres. J’avais rendu service à Juan, mais je n’allais pas coucher avec toute la maisonnée pour les aider à signer leur putain de contrat. Sauf exception pour Ruben, bien entendu.

Nous prîmes la route de Barcelone, sortie Sitges-centre. Ferguson avait retrouvé son air débonnaire habituel, sûr de lui-même, une personnalité tranquille. Je ne savais pas si c’était l’âge qui l’avait rendu si serein, mais ça me plairait d’être comme ça un jour. On roula sans se dire un mot, son sourire me suffisait, je me contentai de suivre le paysage défilant, j’étais bien. On pénétra la ville rapidement jusqu’au parking de la plage. Cette petite plage de sable en pleine ville attirait déjà des couples majoritairement masculins pour leur séance de bronzette quotidienne. Même les plages gays de Montpellier n’étaient pas aussi fréquentées par la communauté. Là, ils étaient carrément les uns sur les autres, si on pouvait le formuler comme ça.

On traversa un quartier piéton dont les ruelles regorgeaient de bars gays de toutes sortes, pas encore ouverts à cette heure-ci, toutefois. Le nombre de vieux types en short en cuir qu’on croisa, fut impressionnant. Comme si toute l’Allemagne avait expédié son troisième âge gay ici. Bon, Ferguson m’expliqua que tous ces gens n’étaient pas forcément allemands, mais qu’il y en avait effectivement beaucoup. Depuis que j’avais vu la colonie germanique de la Casa Del Mar, je faisais une fixette sur eux, j’avais l’impression qu’ils étaient partout.

On déambula tranquillement jusqu’au restaurant où l’on devait déjeuner. Ferguson était toujours pieds nus, absolument nonchalant. Comme il était bien bâti, sa démarche avait quelque chose du félin, du chef de meute, alors que moi je faisais gym-queen citadine en goguette. Décidément, les conseils de Lorenzo ne fonctionnaient plus du tout. Sauf qu’à l’intérieur du Boca Chica, je croiserais des dizaines de gars habillés exactement comme moi, short et débardeur moulant, biceps et pectoraux seyants, casquette vissée sur la tête.

Ferguson choisit une table près de la plage.

-          Je pense que c’est un endroit qui te plaira, c’est très sympa. Et tu as vu, il y a pas mal de beaux mecs, ici.

-          Ouais, ça a l’air cool. Pas mal de clones aussi. Ils se reproduisent comme des lapins ou quoi ?

-          Et aussi de putos !

Je n’avais pas besoin de traduction pour comprendre ce mot, mais je ne savais pas si j’étais concerné.

-          Mais les putos viennent plutôt tard le soir. Pour le moment, c’est l’heure des daddies avec leurs boy-friends, ajouta-t-il en riant. Si tant est que je sois ton daddy.

-          Et moi ton boy-friend ! répliquai-je le sourire en coin.

Un serveur nous apporta des menus en s’adressant à nous en castillan. Donc, pas d’esclandre en vue. Ferguson ne prit pas la peine de les consulter et passa sa commande directement. Du coup, je ne savais pas ce qu’il avait commandé pour moi aussi. J’étais surpris de ce nouveau diktat.

-          J’ai pris un plateau de fruits de mer et du vin blanc. C’est leur spécialité. Tu aimes les huitres, crevettes, crabes etc. n’est-ce pas ?

-          J’adore, tu veux dire. On dirait mon repas du Nouvel An, c’est la classe.

-          Alors, bonne année, dit-il en riant. Si ça te plait, ça me plait aussi.

Evidemment, il avait eu le chic de prendre ce qu’il y avait de meilleur et sûrement de plus cher, j’avais encore failli gaffer pour rien. J’abaissai définitivement la garde, ce n’était plus nécessaire. J’en étais convaincu maintenant, il n’y aurait jamais d’entourloupes entre nous.

Effectivement, le plateau qui arriva, était gargantuesque. C’était plus agréable que nourrissant, mais c’était diablement plaisant. Le vin me cassa un peu mais me détendit, c’était quasiment aussi enivrant que l’air de la mer. Tous ces beaux mecs qui déambulaient tout autour de nous avaient réveillé ma libido. Si on avait été dans la chambre, je crois que j’aurais jeté un sort à Ferguson illico, mais voilà, nous étions en terrasse, et c’était aussi bien.

Ferguson me parla de sa boutique de brocante à Toulouse, qui marchait bien, de ses futures vacances à Santiago au Chili pour voir sa famille, et de tout un tas de trucs qui le passionnaient. Moi j’écoutais tout en dégustant… Immanquablement la discussion dévia sur Ruben et Juan. Ce qui voulait dire qu’il y aurait sûrement un couplet sur Roberto et Lorenzo.

-          Comment as-tu connu nos hôtes ? demanda-t-il.

-          Par l’intermédiaire de Roberto. Il m’avait invité pour l’apéro. D’ailleurs, c’était le jour où je vous ai tous rencontrés…

Il hocha la tête.

-          Et toi ? relançai-je.

-          C’est aussi simple que toi, je suis venu en vacances chez eux, dans leur ancienne maison d’hôtes qu’ils avaient à Rosas près de la frontière française, il y a une dizaine d’années. On avait sympathisé. Quand ils ont acheté ici, je les ai suivis. Puis ils m’ont proposé de refaire la décoration de la salle à manger. Depuis, je participe à la décoration de tout ce qu’ils achètent, y compris de leur appartement à Madrid et de leur maison à Gran Canaria. Je participe à leur business maintenant. Pour ne rien te cacher, si Ruben investit aux Parasols, c’est moi qui referai toute la déco du sol au plafond.

-          Donc, ça va se faire ?

-          Je ne suis pas décisionnaire ni actionnaire. Seul Ruben décidera si ça en vaut la peine ou pas. Juan suivra l’avis de son mari. Moi, je me contenterai de faire les peintures et la déco. Pourquoi, tu es impliqué ?

-          Non, du tout. Simple curiosité.

-          Théo ! Je sais très bien que c’est Roberto qui t’a mis dans mes pattes. Ce type est aussi fin qu’un jambon ibérique : excellent, mais il ne faut pas en abuser, sinon ça devient lourd.

Je devins plus circonspect. Je reposai l’huitre que j’allais avaler et me redressai sur mon siège. Après les putos, où voulait-il en venir ? Ferguson poursuivit comme s’il était le narrateur de la scène que nous vivions, détaché et tranquille.

-          Dis-moi, Théo ! Tu as vraiment demandé à ce que je participe à ce week-end ?

-          A vrai dire, non ! C’est toi qui aurais insisté à ce que j’y sois. D’après Roberto, bien sûr !

-          Tu vois, tout ça pour nous forcer la main, c’est ridicule !

En effet, maintenant qu’il le disait, je distinguais l’étendue de la farce. Du coup, j’avais le cul entre deux chaises.

-          Tu crois que Ruben et Juan vont se laisser attendrir par un petit chien ? Ou un coup de queue dans la nuit ?

-          Tu viens d’arriver et tu sais déjà que j’ai baisé Juan cette nuit ? Heureusement que ce n’est pas un secret, Juan l’a dit à tout le monde. Je ne te mentirais pas, ça serait ridicule… Mais, tu m’expliques des faits ou tu me fais une scène ?

Ferguson continua de décortiquer ses gambas, absorbé par ce qu’il faisait. Son visage était devenu grave comme si mon avenir se jouait entre deux crevettes et une huitre. Et que je subirais sûrement le même sort fatal.

-          Tu te rappelles ce que je t’avais dit sur les bords de la piscine la semaine dernière concernant les mythos ? Ils trompent peut-être leur monde, mais moi ils ne me tromperont jamais. Tu sais, je n’ai jamais rien fait avec Lorenzo et je ne ferais jamais rien avec lui. Alors que je sors avec toi, que j’ai baisé avec toi et que je compte bien recommencer. Pourquoi ? Parce que j’ai confiance en toi. Tu comprends ça, Théo ?

Il leva à peine les yeux tandis qu’il me parlait, pour autant cet échange manquait singulièrement de légèreté.

-          Bien sûr que je comprends, repris-je en me détendant. Roberto et Lorenzo veulent tellement être épaulés par Ruben qu’ils sont prêts à tout. C’est aussi un bon point pour eux car ils sont réellement motivés. Okay ! Ils sont peut-être maladroits, mais ils veulent vraiment ce partenariat.

-          Roberto sûrement, mais Lorenzo, je ne sais pas. Je n’ai pas d’accointances particulières avec lui et il m’ennuie à essayer de manipuler tout le monde. Et puis les playboys en carton ne m’intéressent pas… Bien sûr, Roberto a le droit d’avoir le mari qu’il veut, et moi de frayer avec les amis qui me plaisent.

-          Evidemment !

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

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