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Didier K. Expérience
24 septembre 2021

Les Circumpolaires E.24/34

Circumpolair

En rentrant du Coxx, j’avais pris soin de répondre à Ferguson, l’invitant une nouvelle fois à venir à Sitges. Il avait répondu par un laconique « peut-être ». Cool ! On était passé du « pas possible » à « peut-être », il y avait un progrès indéniable… Joël était parti retrouver sa Greta Thunberg sans couettes mais avec muscles. Moi, j’avais préféré rentrer que de rester au Coxx car un mec serait  invariablement venu me brancher et je n’en avais pas envie du tout. Entretenir la conversation pour entretenir un espoir ne m’intéressait pas, et puis certains avaient plus besoin d’un psy que de mes oreilles, et comme j’avais fini ma bière, ça serait du temps de perdu pour tous les deux. J’avais eu mon lot d’émotions pour le week-end, je n’avais pas besoin de plus.

Karl était rentré, mais il s’était enfermé dans sa chambre, donc je supposai qu’il dormait, on se verrait plus tard. Il me restait une chose à régler : annuler ou reporter ma sucette-party du vendredi avec Martial. Un texto ferait l’affaire : je partais en vacances vendredi, donc soit on se voyait un autre soir, soit on annulait, point. Généralement, il était au taquet pour communiquer avec moi, mais ce n’était que du bavardage intempestif qui ne menait jamais nulle part sauf à essayer de me faire tomber amoureux de lui, ce qui n’arriverait jamais. Le SMS envoyé, je coupai mon tel pour dormir tranquille…

Depuis que je connaissais Lorenzo, je me levais aux aurores pour aller à la salle, y compris les jours où je ne travaillais pas comme le lundi. J’étais dans la cuisine, je faisais couler un café quand je vis débarquer Karl dans sa tenue préférée, en slip quoi ! Donc, pas du tout prêt pour partir au boulot. Que se passait-il encore ?

J’avais allumé mon tel délicatement. En espérant qu’il ne crépiterait pas de messages de Martial. A mon grand étonnement, rien, pas de réponse de mon prof de philo suceur. Décidément, cette journée commençait bizarrement.

-          Tu ne bosses pas aujourd’hui ?

-          Non, j’ai pris ma journée. Ce boulot bouscule un peu trop mon rythme biologique, je trouve. J’ai besoin de faire un break. Enfin, tu vois quoi !

-          Bah oui, bien sûr, je vois !

Bon, quand Karl se mettait à faire des phrases trop compliquées pour lui, c’est que ça n’allait pas vraiment. Mais comme je le connaissais maintenant, il ne tarderait pas à cracher le morceau… J’attendais… Après s’être servi en café, il se repointa devant moi, se dandinant comme s’il avait une envie de pisser. On aurait dit un gamin de quatorze ans, et moi je redevenais son daddy. C’était chiant comme situation.

-          En fait, j’ai un truc à te demander, dit-il faiblement. Je voudrais savoir si ce serait dans tes possibilités de me prêter de la thune ? Enfin, si tu peux, bien sûr ! Il n’y a rien d’obligé.

Nous y voilà donc !

-          Tu sais très bien que je n’en ai pas. Pour ton info, je vais même redevenir chômeur ce week-end. Donc, tu ne demandes pas vraiment à la bonne personne… Mais de combien as-tu besoin ?

-          Pas beaucoup !

-          Combien !

-          Trois cents euros… Seulement pour ce mois-ci, mais si je ne comble pas le trou maintenant, ça sera pire le mois prochain, tu vois !

-          Eh ben ! Tu ne plaisantes pas, toi… Je peux te dépanner de cent euros, mais pas plus. Puis-je te demander pourquoi tu as besoin de cet argent ?

-          J’ai trop acheté de prods ces derniers temps, donc je n’ai plus de thunes pour vivre, pour manger, quoi !

Eh oui ! Et les dealers ne font pas crédit, c’est bien connu. En revanche, je pense qu’il me disait la vérité et j’appréciai cette marque de confiance.

-          Et tes parents ?

-          Déjà tapés !

-          Je ne voudrais pas avoir l’air de te faire la morale, mais va peut-être falloir arrêter tes conneries, tu ne crois pas ?

-          C’est ce que je me suis dit aussi. Je te le promets.

Bien sûr ! Prends-moi pour un con pendant que tu y es ! pensai-je…

Je lui donnai les cent euros en ayant bien conscience que je ne les reverrais sûrement jamais, mais il pourrait me les rendre en coupes de cheveux. Pourtant, je ne pouvais pas claquer ce que je venais de gagner à la sueur de mon front. Enfin, de mon cul serait plus juste !

-          Au fait ! Je voulais te demander un truc, moi-aussi ? Dans tes soirées, touzes etc. : est-ce que tu y croises mon pote Joël ?

-          Non, jamais.

-          Et Lorenzo ?

-          Ton pote le dealer ? De temps en temps. Mais actuellement son tel ne répond plus. On dirait qu’il a disparu. Pourquoi me demandes-tu ça ?

« Mon pote le dealer », avait-il dit. Un mauvais point pour moi, ça. Donc, Karl avait déjà essayé de le contacter et c’était récent, puisque Lorenzo n’avait coupé son tel que ce week-end. En revanche, rien concernant Joël. Karl étant une starlette de notre microcosme, il connaissait tout le monde et tout le monde le connaissait. Du coup, s’il avait vu Joël fouiner dans ses soirées, il l’aurait reconnu, je pouvais définitivement le mettre hors de cause, ça me rassurait. En fait, Lorenzo avait sûrement pensé qu’il était déjà repéré. Donc, c’était de lui qu’il fallait que je me méfie, mais sa soi-disant disparition allait mettre aussi Karl à l’abri des tentations que « mon pote le dealer » proposait. Voilà, d’une pierre deux coups et sans rien faire.

-          Je te demandais ça comme ça, sans arrière-pensée aucune. Moi aussi, je me suis aperçu que Lorenzo n’était plus disponible. Tant pis.

Bien évidemment, je ne lui révélai pas que je partais en week-end avec lui et son homme.

-          Quand tu auras besoin d’une coupe et d’une teinture, tu me siffles et je te fais ça.

-          Justement, j’en aurais besoin d’une cette semaine, mais j’abandonne la teinture, je laisse au naturel. Après tout, je n’ai que quarante ans, pas encore soixante-dix. Je n’ai rien à cacher, finalement.

Ferguson devenait mon nouvel inspirateur, dirait-on.

Sur ce, le petit dej’ était terminé pour moi, il était temps de partir à Gym-Up évacuer les toxines du week-end passé. J’avais perdu du temps à bavasser avec Karl, mais pour une fois j’étais satisfait du résultat…

Sur place, Joël était au comptoir du club, c’est lui qui faisait l’ouverture ce matin-là. Il était de bonne humeur, c’était visible depuis la rue. Bon, moi aussi, mais un peu moins quand même.

-          Viens ! Je vais te présenter Lucas, il est là, il s’entraine au Butterfly. Tu fais gaffe, hein ! pas de dérapages incontrôlés.

Voilà la raison de sa bonne humeur, sa Greta Thunberg était aux barres parallèles et ça l’émoustillait.

Effectivement, les présentations furent fabuleuses. Lucas était une réelle petite merveille, je le matai de haut en bas. Joël était même en dessous de la vérité. Ce garçon était beau comme un dieu grec, musclé sec, très blanc de peau, pas un poil dessus, des muscles bien dessinés, un cul qu’on devinait rebondi et ferme. Bref, un véritable appel au viol !

-          Lucas ! Je te présente mon ami Alex.

On se fit la bise rituellement, comme deux copines du sport, car s’il y avait du muscle au kilo, il n’y avait pas beaucoup de testostérone ou alors on faisait tous les trois dans le genre bucheronne. En fait, j’attendais qu’il parle, je voulais entendre le son de sa voix. Et je ne fus pas déçu : une belle voix grave, bien qu’encore juvénile. Décidément, Joël avait décroché le gros lot.

-          Alors ! Il est beau mon Lucas, hein ? Ça change de ton pervers pépère.

Franchement, sa remarque était déplacée : Ferguson n’était ni pervers ni pépère. Néanmoins, ça les fit rire, donc je laissai pisser. Ne gâchons pas cette bonne humeur. Cependant, c’était exact, Lucas était très beau… Dans l’échancrure de son débardeur, au niveau de la nuque, je devinai un tatouage, large comme la main, deux lettres stylisées emmêlées : MF.

-          Ça veut dire quoi MF, Mother Fucker* ? dis-je ironique.

-          Sûrement pas ! Ce sont les initiales de Mylène Farmer ! répondit-il sèchement.

Joël eut envie de rire, mais se retint pour ne pas vexer son gars. Pourtant, ses yeux m’auraient fusillé sur le champ si je m’étais laissé aller.

-          Ah oui, pardon ! Où avais-je la tête. Je n’avais pas fait la relation entre les deux.

Bon, la blague n’avait pas plu, ça se voyait. Encore un membre du fanclub « team premier degré ». Tant pis.

-          Sinon, s’enquit Lucas. Tu es végane, toi aussi ?

-          Moi aussi ? Euh non ! Pourquoi, qui d’autre l’est ?

-          Nous, bien sûr ! Joël est en train de suivre le programme que je lui ai donné depuis une semaine. C’est bon pour lui et c’est bon pour la nature. Et puis, tous les sportifs sont véganes maintenant, c’est clair. Il faut respecter les animaux comme soi-même.

On dit que l’amour peut déplacer des montagnes, et c’était vrai. Il faisait faire aussi n’importe quoi à n’importe qui sans problème. Je me retins encore une fois de rire, c’était visiblement important pour Joël. Je ne savais pas pourquoi, mais j’avais une furieuse envie de me moquer.

-          En tout cas, si tu veux t’y mettre, je t’aiderai volontiers.

-          Non, ça ira, merci ! Je ne mange déjà quasiment jamais de viande et j’évite le plus possible tout ce qui serait d’origine animale, mentis-je. Mais je trouve ça très bien pour vous. Il faut bien aider la nature et les animaux d’une façon ou d’une autre. On fait assez de mal à la planète comme ça.

Lucas acquiesça sans avoir l’air convaincu pour autant par mon faux discours écolo à deux balles. Sa moue boudeuse me séduisit autant que son sourire. Cependant, on ne se connaissait pas encore qu’il essayait déjà de me refourguer sa camelote, cette nouvelle mode végane qui faisait fureur chez les jeunes.

-          Bon, faut que je vous laisse les enfants, annonça Joël. Les clients arrivent. Je bosse, moi !

Il roula une pelle baveuse à Lucas, je crus qu’il allait le manger, mais c’était mignon à voir et surtout très provoquant. S’il y avait un message, je l’avais compris : « pas touche, viande sacrée ». L’amour était peut-être dans le pré, mais ce petit veau d’élevage n’était pas du tout mon truc : j’étais content pour Joël et ça me suffisait… Du coup, je quittai la salle de muscu pour aller courir sur le tapis, je ne voulais pas avoir l’air de le coller non plus. D’ailleurs, on n’avait rien en commun et finalement rien à se dire. Ça aussi c’était clair.

*En anglais, nique ta mère.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

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