Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Didier K. Expérience
23 septembre 2021

Les Circumpolaires E.23/34

Circumpolair

Je récupérai ma petite Clio V et quittai le parking des Parasols la gorge serrée. J’étais content de moi, content de mon enveloppe également, content d’avoir rencontré ces trois mecs, surtout Ferguson. Et puis, c’était bien la première fois que j’étais considéré comme une cerise sur le gâteau. Ou comme le cadeau Bonux de mon enfance, mais en mieux. Pourtant, j’en avais fait des choses dans ma déjà longue vie, mais je ne m’étais jamais senti si proche de mon idéal. Et maintenant je voulais faire partie de leur bande, mon avenir ne pouvait qu’être là.

Cependant, plusieurs chantiers s’ouvraient qu’il fallait que je règle au plus vite. Fallait que je trouve une solution pour quitter mon boulot ce jeudi soir et non samedi soir, fallait que j’annule ou que je reporte ma soirée du vendredi avec Martial, que je réfléchisse au soi-disant problème « Joël », et surtout que je mette les points sur les i à Karl.

J’enrageai un peu de n’avoir pas pu sortir avec eux ce soir-là, mais je supposai que Roberto avait d’autres projets et que je ne rentrais pas dans sa combine. J’en voulais surtout à Lorenzo qui m’avait presque ignoré, et son soi-disant repli stratégique ne me disait rien qui vaille. Résultat des courses, je ne pouvais plus communiquer avec lui, Roberto devenant mon seul canal.

Je retrouvai notre colocation dans une quiétude inhabituelle, surtout un dimanche de fin d’après-midi. Karl n’était pas là, peut-être à la plage, ou en descente de quelque chose, quelque part. Ce calme regagné tranchait avec l’animation vivifiante des Parasols : j’étais redevenu inutile. Pire, je me sentais carrément nul, maintenant.

En effet, si je devais à Roberto d’avoir rencontré ces trois mecs, dans une vie normale, rien n’aurait pu m’empêcher de les suivre, aucune autorisation à avoir. Alors que j’avais été obligé d’obéir et de déguerpir au premier coup de sifflet. Même dans le plaisir, je restais un employé, comme le prouvait l’argent qu’il m’avait donné.

Au lieu de tourner en rond dans ma chambre et de ruminer comme une vieille fille, je m’allumai un reste de joint qui trônait dans mon cendrier. C’était une piètre vengeance contre Lorenzo et son lifestyle de moine-soldat, mais c’est tout ce que j’arrivai à imaginer pour le moment… Mon plan cul avait été trop bien, j’avais dû recevoir un sacré shoot de dopamine. C’est dingue la frustration que ça me procurait, mais l’adrénaline était encore sûrement trop forte, la descente s’avérait vertigineuse et rien pour la freiner. Du coup, au lieu de m’apaiser, le joint m’excita plutôt qu’autre chose. Valait mieux que j’aille faire un tour que de rester enfermer dans ma minable petite chambre.

Comme je n’habitai pas très loin du Coxx, je me décidai d’aller y faire un tour en guise de clôture officielle de mon super week-end. Bien m’en prit car si la terrasse n’était pas encore pleine, j’y retrouvai Joël, le hasard faisant parfois bien les choses, dirait-on. Je m’attablai avec lui, savourant ma pinte.

-          Je ne pensais pas te trouver ici ! dit-il. Tu n’es pas venu à la salle du week-end. Qu’as-tu donc fait de si important ?

-          J’étais occupé, rien de plus.

-          Hum, je vois ! Un plan sympa, je présume.

Je ne préférai pas m’étendre sur ce que j’avais réellement fait, je restai flottant. Et puis, Joël était suspect, désormais. Mais j’acquiesçai volontiers à sa présomption, parce que c’était vrai malgré tout : ç’avait été sympa.

-          Figure-toi que Roberto n’a pas arrêté de m’appeler pour me refourguer à un de ses clients. Il n’a toujours pas compris que ses magouilles ne m’intéressent pas.

Roberto m’avait dit qu’il l’avait contacté, mais pas qu’il s’était acharné pour l’avoir. Donc, j’étais un deuxième choix, ça fait toujours plaisir de le savoir.

-          Un plan rémunéré, sûrement ? dis-je ingénument.

-          Ouais, bof ! J’imagine, mais je n’en sais rien puisque je n’ai pas répondu. Mais si j’apprécie assez monsieur Rongione, je ne peux plus voir en peinture son parasite de boy-friend … Je soupçonne fortement ce mytho d’être une balance. Tu sais, on ne peut pas passer à travers les gouttes indéfiniment. Les flics ont souvent de la merde dans les yeux, mais quand ils cherchent vraiment, ils trouvent ! Et lui, ils ne le trouvent jamais, bizarre, non ?

-          Sérieux ?

Décidément, l’embrouillamini emmêlait encore plus les pinceaux de tout le monde. Voilà qu’ils s’accusaient mutuellement d’être des indics, maintenant. On nageait en plein délire, là ! Fallait vivre dans notre ridicule microcosme pour le croire.

-          Ouais ! Ce type est une roulure. Franchement, ça ne t’écœure pas cette fausse barbe teinte et ces fausses dents ? Et ce fond de teint sur les tempes, ce n’est pas ridicule, peut-être ? Il ne fait pas son âge, mais je suis certain qu’il a plus de cinquante-deux, ou cinquante-trois ans ou peut-être plus. C’est un croulant, j’en suis sûr.

Bon, moi aussi j’avais la barbe teinte en noir, ce n’était pas vraiment un problème, hein ? Sauf que moi je n’avais que quarante ans et je pouvais le prouver si nécessaire. Cependant, avoir cinquante-deux ou cinquante-trois ans, n’était pas si mortel que ça : aucun n’avait connu la jeunesse de Jésus non plus. Même si les compteurs commençaient sérieusement à s’emballer après cinquante ans. Mais selon le « vieil » adage : on ne pouvait pas être et avoir été en même temps. C’était même pour ça que je m’entretenais tous les jours et Lorenzo aussi, et Joël aussi, bien évidemment.

Cependant, je crois bien que c’était la jalousie qui les animait tous les deux. Joël était un beau gosse, encore jeune et sûr de lui, alors que Lorenzo allait bientôt atteindre cette fameuse cinquantaine, soit pour la majorité, un mur du son quasi infranchissable. Moi je connaissais son âge véritable, (enfin, si ce qu’il m’avait dit était vrai, bien sûr), donc je savais que Joël se gourait totalement, mais je ne révélai rien, j’avais promis, et ça me permettait de garder un avantage sur tout le monde.

Finalement, d’entendre geindre Joël me gonfla plus qu’autre chose. Mieux, je n’avais plus du tout envie de savoir s’il renseignait la police ou non, ou si Lorenzo faisait de même. Etait-ce même vraiment important de le savoir ? Après tout, j’avais d’autres chats à fouetter. Je saurais bien parler avec Karl quand le moment s’y prêterait et basta ! Soit Karl comprendrait soit il ferait comme il voudrait, car de toute façon, on ne peut pas faire le bonheur des gens malgré eux.

Ces luttes fratricides me saoulaient et je n’avais plus le temps, ni l’envie d’y participer. C’est vrai que j’avais craqué pour Ruben, mais Ferguson était vraiment le plus sympa des trois, sa vision des choses m’avait plu. Le seul vrai problème, était qu’il trainait dans les parages immédiats de Roberto et Lorenzo, et si leurs affaires se réalisaient, Ferguson graviterait toujours plus ou moins autour d’eux. Il fallait être pragmatique au lieu d’être partisan, me dis-je. Ces deux camps se valaient en réalité. Et de toute façon, il n’y avait pas de choix à faire. Hors de question de me séparer de Joël pour faire plaisir à Lorenzo, et à l’inverse, j’étais dans l’impossibilité de faire sans le couple infernal des Parasols parce que j’avais encore besoin d’eux.

Soudainement, je me rappelai d’un des conseils de Lorenzo : « moins on en dit, mieux c’est ». Voilà une bonne maxime qui devrait valoir pour de nombreuses choses dans la vie.

-          Okay ! Laisse tomber et parlons plutôt de cul, ça nous changera ! dis-je.

Au moment où je prononçais ces paroles, mon portable bipa. Celui-ci étant posé devant moi, je ne pouvais l’ignorer. Nonchalamment, je regardai qui cela pouvait être. Bingo ! Ferguson qui m’envoyait sa photo et quelques mots : « Te deseo una buena noche y nos vemos pronto ! » Pas besoin de traduction pour comprendre, là c’était facile. Cependant, d’avoir reçu ce message me trahit illico, j’avais souri béatement, ce qui interpela Joël.

-          Eh ben ! C’est ton plan cul de ce week-end ? C’est chaud, dirait-on.

-          Ça va ! On ne s’est vus qu’une fois, mais c’était bien.

Je voulais répondre devant Joël, j’avais l’impression d’être une midinette. Et puis, je voulais peser chaque mot pour ne pas dire de conneries. Joël continuait de me parler mais j’avais déjà la tête ailleurs et il le remarqua.

-          Tu as sa photo ? Montre !

Sans hésiter, je lui montrai celle que je venais de recevoir : le visage éclairé et souriant d’un mec bien dans ses baskets.

-          Mais il est…

-          Vas-y Joël, lance-toi ! Ne te retiens pas, dis-le ! Assure, mec !

-          Ben, il est vieux. Enfin, il n’est pas tout jeune, bafouilla-t-il. Mais il est beau, c’est vrai.

-          Il a cinquante-cinq ans et c’est le mec le plus cool que j’aie jamais rencontré. Il est brocanteur à Toulouse et il est Chilien… Pour l’instant, c’est juste un bon plan, on verra par la suite s’il y a une suite.

-          Ça vous fait quand même quinze ans d’écart, tu pourrais presque être son fils. Enfin, c’est cool si tu aimes les daddies bien sûr, mais je ne le savais pas.

Joël me posait une bonne question. C’est vrai que je n’y avais jamais réfléchi. Bien sûr, je faisais abstraction du plan que j’avais fait avec Roberto, qui comptait pour des prunes et qui resterait secret jusqu’à la fin des temps car je le nierais même sur mon lit de mort, mais les trois hispaniques étaient les premiers, en fait. Et ça m’avait plu. Cependant, pour Joël, seul Ferguson aurait le droit de cité, Ruben et Juan resteraient dans les limbes.

-          Il s’appelle Ferguson ! Ouais, je sais, c’est bizarre mais c’est comme ça. C’est son prénom… Bon et toi ?

-          Oh moi ! J’ai sympathisé avec un client de la salle. Facile, quoi ! Un jeune mec sexy, une petite bombasse que j’ai enfilé comme une perle. Ça fait déjà une semaine qu’on se voit tous les jours. Il est un peu trop jeune pour moi, c’est un étudiant de vingt et un ans, mais il est très cool. Il écoute toute la journée cette grande poétesse révoltée, un peu gauchiste sur les bords, qui méprise l’argent, très humaniste ! Mais comment s’appelle-t-elle déjà ?

-          Euh, tu me poses une colle, là : Barbara ? Patti Smith ? Nina Simone ?

-          Non, Mylène Farmer ! dit-il en riant… Mais à part ça, il est très gentil et il s’appelle Lucas. Il veut révolutionner le monde, végane, contre le réchauffement climatique mais s’achète des fringues toutes les cinq minutes, contre la guerre, écolo, etc. Bon, okay tu vois le genre ! C’est un idéaliste de papier. Enfin, il m’amuse beaucoup, et au lit c’est bim bam boom, c’est tonique, j’adore.

Cette légèreté retrouvée allait parfaitement avec cette discussion, ça m’avait remis d’aplomb, l’adrénaline était enfin redescendue, je regagnais la normalité de ma vie… Les doutes instillés par Lorenzo concernant les pseudos accointances de Joël avec la police s’envolèrent eux aussi. Je n’en avais définitivement rien à foutre.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Merci. Retrouvez la communauté des lecteurs sur Facebook, DKalionian BlogImaginaire)

Publicité
Publicité
Commentaires
Didier K. Expérience
Publicité
Archives
Newsletter
12 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 21 649
Publicité