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Didier K. Expérience
11 septembre 2021

Les Circumpolaires E.11/34

Circumpolair

Pendant qu’on discutait, Lorenzo reçut un appel : il fallait qu’il rentre, Roberto le réclamait séance tenante. Lui qui était son amant, voire son complice, mais aussi son patron à la maison d’hôtes, avait soi-disant un boulot urgent à lui donner. Lorenzo me quitta sur le champ, me laissant régler nos boissons d’ailleurs, en me promettant qu’il m’appellerait bientôt. Je fus surpris qu’il obéisse aussi promptement : il avait des allures de bad boy gentil, finalement. Ce départ fulgurant me laissait aussi un peu sur ma faim… Moi, je resterais encore un peu au Cubix, je ne commençai qu’à 10h le lendemain, je pourrais donc largement récupérer si je débordais ici. En revanche, il n’était pas question de savourer ma soirée avec un Coca, je hélai le barman et lui commandai un mojito, bien alcoolisé surtout.

Le barman déposa le verre sur le zinc et s’approcha de moi,

-          Tu le connais bien, ce mec ?

-          Un peu ! Pourquoi ?

-          Ce mec pue le fake à plein nez. Tout est faux chez lui. Ses cheveux, sa barbe, même ses dents sont fausses. Même son look ne fait pas naturel, on dirait un martien déguisé en racaille. Méfie-toi ! Il n’a pas l’air net. Tu sais, j’en vois des loulous dans ce bar et mes sens m’ont alerté. « Attention danger » qu’ils me disent, mes sens. Tu sais, mon cerveau l’a scanné en long et en large, et tu peux me croire, je ne me trompe jamais... Enfin, tu fais comme tu veux, moi j’te dis ça, c’est pour toi.

Décidément, Lorenzo ne laissait pas les gens indifférents, et il n’avait pas que des amis, semblait-il. Alors que ce gars était presque parfait à mes yeux et attirait mon admiration, certains ne pouvaient pas simplement l’envier, mais le jalousaient méchamment. Enfin, les barmans n’étaient pas recrutés pour leur finesse d’esprit non plus, même si certains avaient un bon sens de l’observation.

Le Cubix était plein, le DJ tenait bien son public avec du bon son, c’était excitant. Comme ce n’était pas une boîte, on ne pouvait pas vraiment danser, juste bouger et c’était pas mal quand on avait la bougeotte. Et du côté du bar, on s’entendait encore parler malgré la musique. Un jeune gars au look normal se présenta, se colla entre moi et un autre client pour parler au barman.

-          Il est là Patrice ? T’as pas vu Patrice ?

Le barman, imperturbable, lui fit signe que non, Patrice n’était pas là.

-          T’es sûr ? répéta-t-il, agité du bocal. Parce qu’il m’a dit qu’il serait là, Patrice !

Je regardai le barman, toujours stoïque, bras croisés, et négatif. Le gars avait l’air stressé que son pote ne soit pas là. Puis il se dirigea vers la piste, le fumoir et les WC, en mode vraiment speed, cependant le barman ne bougea pas. Bizarre…

Bon, je finissais tranquillement mon mojito quand une jeune fille, genre étudiante, tout aussi speed que l’autre demanda à voir Patrice. Franchement, si elle n’avait pas prononcé le même prénom et dans le même laps de temps, j’aurais lâché l’affaire. Mais là, ça tournait au gag. Même cinéma, elle fit le tour du bar comme un robot, regardant partout. Je l’observai scruter les recoins de l’établissement avec insistance. Si elle en avait eu l’autorisation, elle serait sûrement descendue dans la backroom. C’était bien la première fois que je remarquais un tel manège. Du coup, dès qu’elle fut partie, je me risquai à demander des explications au barman.

-          T’inquiète ! Il n’y a pas de Patrice ici. Patrice, c’est juste le nouveau petit nom pour dire « dealer ». Et il n’y a pas de dealers ici. Si le patron en chope un, il lui fera passer un sale quart d’heure, j’te le promets. Mais moi, je fais comme si je ne comprenais pas. Après tout, ce ne sont pas mes oignons.

Du coup, je me posai la question de savoir si Lorenzo ne s’appellerait pas aussi Patrice par hasard ? Malgré cette troublante coïncidence, je comprenais mieux la mise en garde de Lorenzo concernant la drogue : ces deux jeunes devaient être en manque de quelque chose et recherchaient leur dealer attitré partout. Ils avaient l’air mal barrés pour échapper à leur naufrage, pensai-je.

Si Montpellier était réputée pour sa grande tolérance, elle était aussi réputée pour son trafic de drogue endémique. Car si on était vraiment dans le Sud, l’odeur qu’on partageait tous, volontairement ou pas, du soir au matin, n’était pas du thym ou du romarin s’échappant d’un barbecue, mais bien du cannabis. Cette odeur si reconnaissable aurait pu recevoir une médaille de la mairie tellement elle représentait culturellement bien la ville. Et ce n’était que la partie immergée de l’iceberg : tout le monde avait l’air d’y toucher.

D’ailleurs, Karl mon coloc, qui était une vraie chatte délicate, ne se gênait pas pour se vautrer dans la poudreuse quand il en avait l’occasion. Son pseudo pote Christopher s’était même réapprovisionné chez Lorenzo. Si j’avais su que j’allais participer d’une façon ou d’une autre à ce trafic, je ne l’aurais jamais cru. Cependant, je ne jugeai pas. Je pouvais reprendre à mon compte ce qu’avait dit le barman du Cubix : « ce ne sont pas mes oignons ».

Je rentrai sur les coups de minuit et je sus tout de suite que Karl était rentré lui-aussi : ça empestait l’herbe à trois kilomètres. Enfin, on n’y pouvait rien, c’était sûrement la normalité, ici !

Le lendemain matin, il ne me fallut pas longtemps pour regretter d’avoir bu des mojitos, j’avais mal dormi. Je le savais, l’alcool amplifiait mes insomnies, mais j’aimais bien boire un coup quand j’étais content de moi… Comme je ne commençais qu’à 10h, je pouvais démarrer ma journée par une séance de sport à la salle pour me changer les idées, il n’y avait plus que ça à faire.

Entre le café et ma clope du matin, soulever de la fonte et courir sur le tapis, rien de tel pour une remise en forme efficace. Mon sac étant déjà prêt de la veille, je pourrais mettre en pratique chez Gym-Up les conseils de Lorenzo. Karl dormait sûrement, mais je quittai l’appart sur la pointe des pieds quand même.

Je retrouvai Joël qui venait juste d’ouvrir le club, il ne fut pas plus surpris que ça de me voir à une heure si matinale. Je ne lui dirais rien de mon escapade de la veille aux Parasols, valait mieux se taire, même si j’en étais sacrément fier. Mais il était occupé à organiser les salles, et on ne pouvait pas entretenir une conversation qui aurait pu m’obliger à me dévoiler, et puis je n’avais pas toute la journée non plus. J’eus la salle pour moi seul, et pour un bon bout de temps. Pas de Roberto ni de Lorenzo en vue pour m’encourager.

En revanche, sortant des vestiaires, je pris un café avec Joël, histoire de me sociabiliser un peu. Ma semaine de boulot s’avérerait chiante comme d’habitude et Joël était la seule personne qui me reliait à ce monde, toutes les autres me gonflaient lourdement.

-          Pas de nouvelles des patrons des Parasols ?

-          Monsieur Rongione ne vient pas tous les jours, et quand il vient c’est l’après-midi. Quant à Lorenzo, il n’est pas inscrit. Je le laisse déambuler et toucher aux machines de temps en temps parce que je le connais, mais sinon, je le vois rarement ici.

Tiens ! Voilà une information qui me surprenait. J’aurais juré qu’il s’entrainait dans cette salle. Ce n’était donc pas une coïncidence si on s’était croisés ici alors. Il était bien là pour moi.

-          Et où va-t-il pour s’entrainer ?

-          Je ne sais pas. Tu veux que je le lui demande la prochaine fois que je le vois ?

-          Non, surtout pas. C’était juste comme ça.

-          Hum ! D’accord, je vois, me dit-il. T’as le béguin pour lui ?

-          T’es ouf, toi ! Et en plus, c’est un top* comme nous deux.

Joël éclata de rire :

-          Si tu n’as pas encore compris qu’il pouvait être tout ce que tu voulais à condition de payer, alors tu ne comprendras jamais rien !

Sa réponse m’agaça presque. Je ne m’attendais pas à ce qu’il rejoigne l’avis du barman du Cubix : donc, Lorenzo avait des ennemis et pas qu’un peu. Je connaissais Joël depuis mon arrivée à Montpellier et je n’avais jamais décelé chez lui la moindre jalousie, c’était même ce qui nous permettait de rester ami. Mais, Lorenzo semblait agir comme un principe révélateur. Intéressant.

-          Ecoute ! Lorenzo a une personnalité interchangeable au gré de ses intérêts, continua-t-il… C’est sûr, c’est un beau mec, intelligent avec ça, il a du bagout, et il a souvent des bons plans, mais il sent le soufre. Monsieur Rongione n’est pas un ange non plus. Ces deux-là ensemble font de sacrées étincelles. Ils sont comme ange et démon, cul et chemise, ajouta-t-il en s’esclaffant. Enfin, tu vois le genre, je ne vais pas te faire un dessin… Alors pour Lorenzo, top ou bottom*, c’est pareil.

Pourtant, ce que Lorenzo m’avait promis s’était réalisé. Donc, je n’avais pas de raison de douter de lui. Et s’il était bizarre ou s’il trainait une réputation sulfureuse, qui n’en avait pas dans le milieu gay ? C’était même la règle : plus on avait l’air chaud et plus on se rapprochait de ce fantasme ultime, peut-être un peu puéril mais fort envié, d’avoir une vie d’acteur porno. Et puis, il avait été plutôt réglo avec moi, sans ambiguïté même. Mais j’enregistrai surtout qu’il était comme tout le monde : il plaisait ou déplaisait, et souvent pour les mêmes raisons. Donc, Joël se méfiait de lui : ça me donnerait bonne conscience pour lui cacher de ce que je faisais sans culpabiliser. Après tout, on était amis, pas mariés.

*Top ou bottom = actif ou passif, en anglais.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

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