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Didier K. Expérience
12 septembre 2021

Les Circumpolaires E.12/34

Circumpolair

Deux semaines après notre dernière rencontre au Cubix, je n’avais toujours pas de nouvelles de Lorenzo. Cependant, je n’en réclamai pas non plus. Après tout, c’était lui qui avait besoin de moi et non l’inverse. Et puis, on n’était pas encore amis, on s’appréciait mais c’était plus intéressé qu’autre chose. Donc, je le laisserais venir quand il en aurait envie.

On était début mai, j’approchai inexorablement de la fin de mon CDD, et mon compte en banque avait déjà des fins de mois difficiles. Quant à mes relations avec ma patronne, elles n’étaient pas tendues, elles étaient devenues carrément inexistantes. Quand on attendait tous les deux le client à la boutique, on se regardait en chiens de faïence sans un mot, c’était atroce. Au début, je faisais semblant de replier les chemises pour passer le temps, mais maintenant je m’en foutais, je me doutais qu’elle ne me garderait pas. Et ça tombait bien, je n’avais pas envie de rester. Donc un partout, la balle au centre.

J’avais commencé à mettre en pratique le fameux plan de Lorenzo pour essayer de garder un semblant de jeunesse : j’allais à la salle tous les jours ; j’avais tenté d’arrêter de fumer, mais le patch me gavait plus qu’autre chose ; j’avais drastiquement réduit ma consommation d’alcool, mais c’était difficile quand j’étais avec des potes, surtout avec Joël. Quant à la « drogue », je n’en prenais jamais, même pas de poppers. Restait le sommeil : je dormais peu et mal, donc pour la régénérescence tranquille, c’était mal barré. Au pire, si ça ne marchait pas, ça ne me ferait pas de mal d’avoir changé de régime, et au mieux je me sentirais plus coulant dans ma peau. Même si je ne pouvais pas encore en mesurer les bénéfices, j’étais satisfait.

Seulement quand on parle du diable, on en voit souvent la queue !

Un après-midi, alors que pour m’occuper à la boutique, mes pensées vagabondaient du côté de Pérols j’ai enfin reçu un texto de l’âme damnée de Roberto, texto qui s’adressait bien à Théo : « vendredi soir aux Parasols, un plan à trois avec un mec d’une cinquantaine d’années, physique moyen, 150€ » … Bon, le tarif me convenait et le fait que le mec serait moyen n’était pas un problème, mais je voulus quand même savoir qui serait le troisième. Lorenzo me répondit illico : « tu verras bien ! ».

Mais ça ne rigolait plus, là ! me dis-je. Il me fallut un peu de temps pour choisir mes mots pour la réponse, mais « okay ! » me parut plus approprié que « génial » ou « super » : c’est dur de ne pas paraitre niais parfois… Du coup, je réservai Karl pour qu’il me fasse mon shampooing colorant et qu’il me taille la barbe, et ce dès ce soir. Bien évidemment, il ne répondit que très tard alors qu’il passait sa vie sur son tel, ce qui eut le don de m’énerver.

Au jour J, je me pointai relax aux Parasols, fis connaissance avec le troisième, on aurait dit une sorte de clone ou un prototype entre Lorenzo et moi, mais sans barbe, un grand brun de type rebeu, qui m’adressa à peine la parole, ça commençait bien. Quant au récipiendaire, dès qu’il nous eut remis l’argent, il se mit à quatre pattes sur le lit et attendit d’être besogné comme une chèvre. Environ trente minutes plus tard, on était tous les trois dehors, et redevenus de parfaits inconnus.

J’aurais bien voulu causer avec mon collègue, mais il esquiva toute discussion. Juste un clin d’œil pour me dire au revoir et ce fut tout. Si ma première fois avait été une réussite, la seconde me laissait perplexe, surtout vis-à-vis du troisième larron. J’avais déjà participé à des partouzes où les mecs étaient plutôt cools, là c’avait été vraiment mécanique. D’ailleurs, impossible de prendre mon pied dans ces conditions. Malgré tout, l’hôte des Parasols parut satisfait et nous remercia poliment comme s’il avait reçu son certificat d’étude.

Cependant, je gardai à l’esprit que j’avais 150€ dans ma poche, quasiment pour faire ce que n’importe qui faisait dans un sauna ou un sexclub pour s’amuser un après-midi, et pour largement moins cher. Enfin, ce type devait sûrement avoir ses raisons. Mais les gens sont bizarres parfois !

Avant de partir, je trainai quelques minutes près de la piscine, espérant voir Roberto ou Lorenzo, mais je ne vis personne. Bref, soirée décevante sur tous les points de vue.

Je rentrai un peu désœuvré mais pendant que je garais ma Clio V de « star low cost du porno occitanien », je reçus un texto de Lorenzo m’invitant à boire un verre au Cubix. J’étais à deux doigts de refuser, mais l’envie de savoir ce qu’il voulait me força un peu la main. Et puis, ça faisait plusieurs semaines que je ne l’avais vu, et l’entendre débiter ses salades pour me convaincre m’amusait pas mal.

On approchait de l’heure de fermeture, la clientèle s’était largement clairsemée, même la musique était en sourdine. Lorenzo m’attendait à l’endroit habituel, accoudé au bar. De toute façon, impossible de rater ce grand échalas avec une telle carrure. Sa casquette posée de travers rendait son attitude un peu ridicule, comme si les bad boys ne pouvaient pas vieillir. Son Coca Zero en main, il en commanda un autre pour moi. Ce n’est pas la fête tous les jours, dirait-on ! Va pour un Coca.       

-          Alors, ça l’a fait ?

-          Moyen ! Franchement, niveau cul, c’était nul. Et ton pote, il est muet ou quoi ?

Lorenzo sourit de ses belles dents blanches qui devenaient presque fluos sous les lights.

-          Chacun son style. Il bosse bien, ça nous convient. Il est beau gosse, non ?

-          Bof ! Pas mon style… Quant au client, payer aussi cher pour ça, je ne comprends pas.

-          Eh ! On s’en fout, c’est son problème ! Il ne faut pas que tu te poses ce genre de questions, sinon tu ne vas pas rester longtemps dans ce milieu. Ici, il n’y a pas de place pour les états d’âme. Si ça lui plait de payer, c’est que ça fait partie de son trip, rien à ajouter. Prends l’argent et profite.

-          Ouais, t’as raison. Parlons d’autre chose alors.

-          Justement, Roberto aura sûrement un autre plan la semaine prochaine, même endroit, même punition, mais personne différente. Je te redirai pour le tarif.

Là, c’est moi qui retrouvais le sourire tout d’un coup : c’est dingue comme on peut devenir vénal en très peu de temps, en fait. Ça doit faire partie du génome humain…

Le barman déposa la canette devant moi sans me regarder, Lorenzo lui réglant la note dans la foulée. Il n’avait pas oublié notre discussion du mois dernier, sûrement.

-          Et tes plans à toi, c’est pour quand ?

-          Bientôt garçon, bientôt ! J’attends d’être sûr et je te brancherai. Ne t’inquiète pas. Sinon, tu fais quoi ce week-end ?

-          Rien de spécial. Mon coloc fait un apéro avec ses potes pour l’Eurovision samedi soir. Joël sera là aussi. On boit un coup avec eux et après on est libres.

-          Super ! Tu m’invites ? Allez ?

-          Bah ouais ! Passe à la maison. Plus on est de fous, plus on rit, comme on dit !

J’étais étonné qu’il veuille venir chez nous participer à cet apéro : le mélange des genres allait avoir des allures de char de gaypride, mais après tout pourquoi pas…

Mais pour l’heure, j’étais tout autant intrigué par la fluorescence de sa dentition. Moi je me mirai discrètement dans le miroir au fond du bar, mais je ne distinguais même pas mes dents. Comment faisait-il ?

-          C’est simple, je me fais blanchir les dents. Tu as un bar à sourire en haut de la rue St Guilhem. Vas-y, c’est sans rendez-vous. Franchement, ça vaut le coup. Une séance tous les six mois seulement, pour avoir un sourire en or massif. Bon, ce n’est pas donné, mais maintenant, t’as les moyens, ajouta-t-il en riant.

C’est vrai que j’appréciais ma petite transformation : ma nouvelle couleur de cheveux, et la taille nickel de la barbe me plaisaient gravement. Karl ne rechignait pas pour récupérer un pourboire net d’impôt. Chez Gym-Up, filles et garçons se retournaient sur mon passage, me regardaient parfois m’entrainer. Joël et son patron étaient ravis de cette attractivité qui leur rapportait sûrement de nouveaux abonnements. Bref, mon nouveau look soigné de BG était en train de devenir une réalité, mais Lorenzo avait raison, ça avait un coût. Je n’étais pas encore certain de pouvoir me le permettre tout le temps car malgré mes petites escapades lucratives, j’étais toujours au SMIC et à découvert. Cependant, l’idée de me faire blanchir les dents me séduisait. Dès que je le pourrais, j’irais faire un tour dans ce bar à sourire.

-          Mais avant d’aller dans ce salon de beauté, je te conseillerai d’aller chez le dentiste. Tu as sûrement des trucs à changer ou à refaire. Nos hôtes aiment les beaux mecs et un beau sourire, ça n’a pas de prix. Moi, j’ai des dents parfaites et ça m’a coûté une blinde, mais maintenant, j’emballe qui je veux.

Tout semblait sourire à Lorenzo, c’était le cas de le dire ! Je commençais à l’envier sérieusement. C’est vrai, tout était plaisant chez lui : sa voiture, ses fringues, son boulot, son look, ses idées, son égo surdimensionné (dû certainement à une sexualité débridée et bien vécue), et sa facilité a toujours tout régler, alors que moi je ramais pour survivre. Franchement, si quelqu’un méritait d’être suivi et copié, c’était bien lui. Je ne comprenais pas les réticences de Joël ni du barman du Cubix, mais d’après l’adage bien connu, « personne n’est prophète en son pays ». Lui non plus n’échappait pas à la jalousie ambiante, même quand on habitait une ville aussi tolérante. Quant à moi, je me sentais dépendant de lui désormais.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

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