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Didier K. Expérience
25 avril 2023

Promène-moi Dans Les Bois - E.25/32

Promène-moi

J’ouvre les yeux lentement, je retrouve la réalité, Josiane n’est pas dans la pièce. Elle n’y a jamais été, mais je sens encore sa présence, comme c’est étrange. A moins que ça ne soit aussi dans ma tête… Les antipsychotiques ont prouvé leur efficacité, la connexion s’est fatalement interrompue. J’aurais bien aimé continuer un peu, mais je ne suis pas mécontent d’avoir arrêté pour le moment. Une séance chez le psy ne m’aurait pas autant mis KO. Une séance sans psy, d’ailleurs. Comme tout est bizarre en ce moment, je n’ai plus ma tête, je ne vis plus comme tout le monde.

Je me lève du canapé et je me traine tranquillement vers la cuisine, j’ai l’air d’un papy : foutu cachets !

Je fais couler le robinet, je me sers un verre d’eau pour étancher cette soif qui a atomisé mon gosier, je pourrais boire tout le contenu du cumulus. Je reste debout, le verre en main, à contempler l’évier, j’essaie de réfléchir. J’aimerais faire un debriefing de ce que j’ai dit, mais j’en ai déjà oublié la moitié. Je suis troublé, je n’arrive pas à atterrir.

En tout cas, je ne reprendrai pas de cachets ce soir. J’ai bien compris que ça marchait, mais que ça me mettait à l’envers, et que ça n’était pas tout à fait le but. Je ne les utiliserai que quand j’aurai décidé d’arrêter tout ça. En attendant la suite des évènements, je vais casser la croute, il faut que je mange, j’ai le ventre serré.

J’ai tellement faim que je pourrais manger ma table, mais à la place, j’opte pour un solide plat de spaghettis, avec une cerise sur le gâteau : un petit verre de vin rouge. Je sais que ce n’est pas recommandé de boire avec les médicaments, surtout qu’en plus des antipsychotiques, j’en prends pour divers problèmes, dont le cœur, bien sûr, mais j’ai envie de désobéir à tout le monde ce soir, tant aux médecins qu’aux esprits. De plus, il faut que je calme la bile qui, dans mon estomac, est en train de tout ronger et me torture.

Je mange ces pâtes nature, sans beurre ni fromage, juste un filet d’huile d’olive et des herbes de Provence. Je suis rassasié pour un bout de temps, c’est déjà ça… Voilà, ça va déjà mieux ! Je suis prêt pour un nouveau round avec moi-même. Mais, cette fois-ci, ça sera dans le confort douillet de mon lit, je n’ai plus rien à craindre, j’ai compris que j’étais à l’origine de tout.

La dernière séance date de moins d’une heure, mais j’ai envie de voir si ça fonctionne toujours. Alors, je ferme les lumières consciencieusement dans toute la maison, puis je me lave les dents, puis je me mets au lit, la tête bien calée contre un gros oreiller. Je m’aperçois qu’il règne un silence chez moi, presque un silence de mort. Seule ma lampe de chevet est encore allumée, j’attends tranquillement le bon moment pour l’éteindre. Je ne suis pas encore totalement prêt, je dépose mes lunettes, je remonte la couette jusque sous le menton, voilà je suis bien, je pense qu’on peut commencer. J’éteins et je ferme les yeux. J’ai l’impression que j’attends mon départ pour l’au-delà, pour le Grand Voyage, sauf que je ne bouge pas d’un pouce et ça me rassure. Des frissons me remontent des pieds vers le plexus, j’ai légèrement froid, j’expire, enfin je souffle, je veux dire !

Je me concentre, je fais le vide en moi, mes muscles se relâchent d’un coup, plus rien ne me retient, je me lance. J’appelle mentalement.

-          Josiane ?

Pas de réponse, j’hésite, je me sens bête à « penser » tout seul.

-          Josiane ? Vous êtes là ?

-          Bonsoir André ! Ne soyez pas si timide, nous sommes intimes, maintenant. La connexion est parfaite ce soir.

-          Hey ! Mais, ça marche ?

-          Enfin, vous avez compris ce qui se passait dans votre tête.

-          Oui… Je crois !

-          A la bonne heure ! Vous n’avez plus peur de transgresser vos soi-disant limites ?

-          Ça ! Je ne sais pas ! C’est vous qui me le direz… Ah, oui ! C’est moi qui trouve les réponses. Pardon, je n’y étais pas.

-          Par quoi voulez-vous commencer ?

-          Euh ! Je voulais vous dire que je ne prendrai pas mes antipsychotiques tant qu’on discutera.

-          Non, André ! Il faudra les prendre. Je ne resterai pas éternellement, je suis juste de passage et je ne suis qu’une aide temporaire. Je disparaitrai, c’est inévitable.

-          Ah, OK ! Si vous le dites…

Je me sens tout penaud, maintenant. Bon, il faut que je me ressaisisse… Puisque la connexion est bonne, profitons-en.

-          Vous avez parlé de transgression, c’est tout à fait le bon mot… Je n’ai jamais osé me démarquer de quoi que ce soit. Déjà tout petit, j’étais obéissant. Et même à l’armée, j’étais plus discipliné que les autres. Elève modèle, employé modèle, et même patient modèle, plus tard… Je me suis toujours complu dans une certaine conformité, j’y avais mes repères, j’étais bien.

-          Connaissez-vous ce proverbe chinois ? « L’arbre tordu vit sa vie, alors que l’arbre droit finit en planches ». Qu’est-ce que ça vous inspire ?

-          Oh, c’est une belle image ! Je crois que je comprends parfaitement le sens de ce message. C’est tout moi ça ! Je n’ai jamais fait de vagues, je vivais une vie bien rangée sans savoir que ça me rongeait tout doucement de l’intérieur. J’ai toujours trouvé les anticonformistes totalement ridicules et je me moquais d’eux bien souvent, alors que j’étais l’homme le plus ennuyeux du monde. Je voulais être le meilleur exemple de droiture pour mes proches. En fait, je marchais à côté de mes pompes. J’ai dû en gonfler, des gens ? J’en tenais une sacrée couche, tout de même ? J’aurais pu profiter de la vie, mais non, je préférais me soucier de ce qu’on penserait de moi… Vous savez quoi ? J’aime votre proverbe, je vais le garder et le mettre au fronton de ma maison.

-          C’est un proverbe, pas un dogme ! Vous ne pouvez pas décréter de le suivre ni de vous l’approprier. Vous ne pouvez pas passer de l’un à l’autre aussi vite, parce que vous venez subitement de le décider, ça ne marche pas comme ça. Et puis, pour faire quoi ?

Voilà qu’elle m’engueule encore !

-          Je ne vous engueule pas, André. Je vous explique. Voyez-vous, il me semblait bien vous avoir cerné. J’avais vu juste quand on s’était rencontrés la première fois. Ce n’est pas une grande révélation pour moi, vous êtes bien une âme perdue… C’est une prise de conscience que vous vivez, salutaire je suppose. Mais comment comptez-vous la matérialiser ?

-          Ben, je ne sais pas. Je comptais sur vous pour me diriger.

-          Et qu’avons-nous fait la première fois à l’hôpital ?

-          Vous m’avez entrainé dans les bois !

-          Exact ! Alors, qu’attendez-vous pour recommencer ?

Je ne m’attendais pas à cette réponse, je suis un peu déçu. S’il suffisait de se rendre dans le bois le plus proche pour régler ses problèmes, ça se saurait, non ? J’ai l’impression d’avoir fait un effort surhumain, de m’être mis à nu, enfin, un peu quoi, et elle s’en fout comme de l’an quarante. Tout ça, est un peu désespérant.

-          André ! Je suis une voix dans votre tête, pas votre psy. Je ne suis qu’un miroir réfléchissant, rien d’autre… Si vous voulez connaitre les affres de votre psyché, il vous faudra consulter. Si vous voulez changer de vie, il faudra faire un peu de développement personnel avec un coach spécialisé ou un de ces gourous à la mode d’aujourd’hui. Mais si vous voulez vous sentir mieux, allez donc vous promener en forêt. Retrouver la nature, c’est se retrouver soi-même !

-          Je savais que je ne pouvais pas vous faire totalement confiance. J’ai besoin d’aide et vous, vous voulez m’envoyer chez le psy ou en promenade. Le docteur m’a dit que je n’étais pas malade, que c’était juste passager.

-          Je vous confirme que c’est passager, André ! Mon intervention ne consiste qu’à vous faire admettre ce qui est déjà sous votre nez.

-          Vous savez quoi, Josiane ? Je vais prendre un autre de ces foutus comprimés. Bonne nuit !

Je rallume la lumière, je sors du lit, déterminé, direction la salle de bain. J’attrape cette « boite à rêves » qui est sensée faire disparaitre ma sorcière bien-aimée, j’avale un cachet, comme ça j’espère qu’elle me foutra la paix…  Je réalise que je n’entends déjà plus sa voix. Pourtant l’effet n’est pas immédiat, j’ai dû casser la connexion. Tant pis ou tant mieux ! Toute cette histoire commence à me taper sur le système, j’aimais mieux quand il ne se passait rien… Puis, je retourne au lit, toujours aussi déterminé. D’un geste précis, j’éteins ; je me cale bien contre l’oreiller, je ferme les yeux, je sens monter une légère torpeur que j’attribue à cette potion magique.

Cependant, je ne dors pas encore. Je me tourne et me retourne, je recale mon oreiller, je ferme les yeux. Mes paupières sont pourtant lourdes, je sens le sommeil venir, il n’est pas loin… Mais ça ne marche pas. Je pourrais courir après la trotteuse de l’horloge toute la nuit si ça pouvait m’aider à plonger dans un coma réparateur. Je regarde l’heure toutes les cinq minutes. Mon cerveau est toujours en service, mes neurones, toujours aussi actives. Je pense en permanence, je n’arrive pas à m’arrêter, parce que Josiane m’a énervé : ça c’est clair. Je ne suis qu’un jouet entre ses mains, elle me manipule comme si j’étais un enfant… Ça y est ! me voilà à reparler d’elle comme si elle était avec moi. Il faut que je me fasse à l’idée qu’elle est juste le produit temporaire de mon imagination. Son avis ne compte pas, puisqu’elle n’existe pas. Il faut que j’arrête de justifier mes usines à gaz cérébrales…

Tant pis, je rallume. L’horloge est en plein boulot, les minutes courent après les heures, mais ça n’avance pas très vite, on est à peine au milieu de la nuit…

La fenêtre est entrouverte, il fait bon et il règne un calme tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la chambre. Ça m’apaise un peu de savoir que tout va bien pendant que je suis sensé dormir, que tout continue sans moi. Dans un sens, c’est une bonne chose, sinon je serais encore plus angoissé.

Ben, voilà, c’est ça ! Il faut que j’arrive à me détacher d’un maximum de choses si je veux retrouver une paix intérieure. Je constate que je deviens de plus en plus zen, surtout quand je n’ai rien d’autre à faire. Je suis content de ma réflexion, mais je ne sais pas si ça va m’aider à rattraper le sommeil perdu. J’ai parfois des traits de génies, surtout au beau milieu de la nuit… Bon, je ne peux pas rester comme ça et je ne veux pas m’abrutir avec d’autres médicaments, j’en prends déjà assez comme ça ! Il me reste des mots fléchés à terminer dans le journal du jour, ça tombe bien !

Je chausse mes lunettes, je prends un stylo et c’est parti. Généralement, je ne résiste pas longtemps, je pique du nez rapidement.

Je parcours les cases, j’écris quelques lettres, ce n’est pas très pratique dans cette position mal assise ou mal allongée. J’essaie de me concentrer, mais j’ai les yeux qui pleurent quasiment tout de suite, signe qu’ils sont fatigués. Effectivement, au bout d’un certain temps, mes paupières se ferment. Je les ouvre dans un sursaut, mais c’est plus fort que moi cette fois-ci. Les volets redescendent enfin, malgré moi.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

Crédit photo - Didier Kalionian "Soleil Couchant" Instagram (c) 2020

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Merci. Retrouvez la communauté des lecteurs sur Facebook, DKalionian BlogImaginaire)

 

 

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Commentaires
D
Merci beaucoup
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C
Bien
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Didier K. Expérience
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