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Didier K. Expérience
2 mai 2023

Promène-moi Dans Les Bois - E.32/32

Promène-moi

Josiane s’assied sur le rebord du lit, elle a l’air bien réelle. J’étends mon bras en direction de la table de chevet pour allumer la lumière, mais elle me fait signe qu’il ne faut pas. Mes yeux trahissent mon étonnement, je ne sais plus quoi faire. Mon esprit est révolté et mon corps est entré tout entier en révolution, j’essaie de me blottir contre moi-même, mais je n’y arrive pas, mes membres ne me suivent plus. Je suis pétrifié par l’émotion de la revoir, et par la peur aussi. Josiane ne bouge pas, elle m’observe calmement ; elle n’a pourtant pas l’air d’un fantôme ni d’une momie d’outre-tombe. Elle porte sa vieille robe de chambre rose pâle, ses cheveux blancs lui descendent jusqu’au ras du cou, ses yeux sont globuleux, qu’elle cligne normalement, donc ce n’est pas un hologramme, elle est bien là. Je n’ose prononcer le mot de « vivante » car même si je m’en doute, je n’en suis pas sûr la concernant.

-          Je vais tout vous expliquer, ne vous inquiétez plus, André.

J’entends clairement le son de sa voix, je pourrais même sentir le souffle de sa respiration. J’ai envie de crier, mais aucun son ne sort ; il faut que je me calme où il va m’arriver des bricoles, mon cœur ne tiendra jamais : le choc est trop fort. Je dois avoir une de ces montées d’adrénaline comme jamais je n’en ai eu auparavant.

-          Vous… Vous êtes réelle ?

-          On n’en est plus là, André !

-          Ah ? Et, on en est où ?

-          On est en route !

-          Ah !...

-          Je crains d’avoir une mauvaise nouvelle, André. Mais nous allons avoir tout le temps d’en parler.

-          C’est-à-dire ?

-          Jusqu’à présent, je n’étais qu’une voix dans votre tête, due sûrement au stress. Ce que vous appeliez « hallucinations verbales », ou je ne sais quoi d’autre. Ce sont des choses fréquentes, sans gravité… Mais, ce soir vous me voyez… Vous me voyez, n’est-ce pas ?

Je souffle, cette discussion semble me détendre un peu.

-          Tout à fait ! j’ai l’image et le son.

-          C’est bien là le problème ! André ! Vous ne devriez pas me voir… sauf si vous êtes en train de mourir.

Ma mâchoire manque de se décrocher tellement je suis choqué.

-          C’est une plaisanterie ? … Je suis surpris de vous voir, c’est vrai, mais je ne me sens pas à l’agonie.

-          Je sais que ça va être difficile à comprendre ou à admettre, mais vous n’êtes déjà plus vous-même.

Je reste interloqué.

-          Ce soir, ni Bérangère, ni les gens qui s’occupaient de vous habituellement, ne sont venus vous voir. Vous n’avez plus votre montre et vous ne savez pas quel jour on est, n’est-ce pas ? La chambre est plongée dans la pénombre continuellement, et ni la radio ni la télévision ne fonctionnent, n’est-ce pas ?

J’acquiesce mollement, ne sachant où elle veut en venir.

-          Vous sortez du coma, mais vous ne savez pas si votre opération a été un succès, n’est-ce pas ? Le docteur Rossi-Langlois ne vous a rien dit sur votre état, sauf pour vous rassurer, n’est-ce pas ?

Je dodeline légèrement. Un peu agacé.

-          Alors, je vais vous dire. Cet infirmier n’est pas venu vous préparer pour la nuit, mais pour vous permettre de faire le voyage en douceur. Les cachets qu’ils vous a donné ne sont que des antidouleurs, au cas où vous souffririez encore… Si Bérangère et ceux que vous connaissiez ne sont pas venus, c’était pour éviter les effusions. Et c’est aussi pour cette raison que cet infirmier, Cyril, a pris le relais ce soir : il ne vous connait pas, il sera moins émotif.

J’écoute attentivement sans l’interrompre.

-          Si vous n’aviez plus votre montre, et si la télévision ne fonctionnait pas, c’était pour vous éviter de vous raccrocher au temps présent, ce qui a la fâcheuse tendance de retarder l’échéance et prolonger votre souffrance inutilement. Je vous rassure, ça ne vous aurait prolongé que de quelques heures ou de quelques jours, pas plus. Quand ils prennent ce genre de décision, c’est que ça ne va plus du tout. Il ne faut pas leur en vouloir de cette mise en scène, il faut bien que les choses se passent…

J’ai envie de pleurer, des larmes coulent déjà sur mes joues. Je n’en crois pas mes oreilles…

-          C’est exactement ce qui m’est arrivé, il y a deux semaines… Votre cœur n’a pas tenu, André ! C’est fini !

Elle se lève, s’approche de moi et me prend la main. De la toucher m’électrise.

-          Je crois que je vous attendais, nous ferons le voyage ensemble.

-          Ah bon ? Et quand devons-nous partir ?

-          Je pense que c’est pour tout de suite, André !

-          Où allons-nous ?

-          J’espère que nous irons dans un endroit où la nature sera luxuriante, chaude et humide, où règnera la joie et la félicité, là où l’avidité n’existe pas, là où l’amour est la seule loi, loin de ce monde dépressif et violent, toujours si décevant.

-          J’aimais bien ce monde, moi. J’y avais mes habitudes, j’y serais bien resté encore un peu.

-          Vous avez gardé une âme d’enfant, vous allez pouvoir vous retrouver, maintenant. L’au-delà n’est pas une fin, mais un nouveau départ vers autre chose, à quoi seuls ceux qui doivent partir, peuvent accéder.

Josiane me tient toujours la main, je n’ose bouger, je ne sais plus ce qui se passe. Sa voix éthérée me captive, je l’écoute pieusement. Il me vient une question plus terre à terre.

-          Mais je n’avais rien préparé pour mes obsèques !

-          Et alors ? Moi non plus. J’ai laissé ça à mes enfants, ça leur fera les pieds…

-          Et mon ex-femme et mes enfants ? J’aurais bien voulu les revoir, quand même.

-          Ils les préviendront. Ils feront ce qui doit être fait. Peut-être aurez-vous le temps de les apercevoir ?

-          Comment ?

Josiane qui me tient toujours la main, se lève, me prend l’autre main ; elle fait mine de me tirer hors du lit.

-          Venez avec moi !

Je me lève facilement, moi qui ne pouvais plus bouger, je suis étonné de cette agilité. J’ai l’air d’un enfant qui suit sa mère. Je suis debout, dos au lit. J’obéis sans dire un mot.

-          Maintenant, retournez-vous !

Je me retourne lentement, c’est-à-dire, je fais un tour sur moi-même.

-          Que voyez-vous ?

Plus rien ne m’étonne désormais, mais là, j’ai cru que mes yeux allaient sortir de leurs orbites car c’est moi que je vois, oui c’est bien moi. Je vois mon corps allongé sur le dos, qui semble dormir, mais je devine que ce n’est plus le cas.

-          Alors, vous me croyez ? Si vous vous voyez, c’est que vous n’êtes plus de ce monde. Vous avez quitté votre enveloppe charnelle ; ce qui signifie que vous êtes en route pour la destination ou le voyage sans fin. Appelez ça comme vous voulez. Moi-même je ne sais pas comment le nommer.

La franchise de Josiane pourrait me tuer, mais comme je suis « mort », je ne risque plus rien. Ou alors je vais me réveiller, mais il y a quelque chose…

-          Mais, je me vois !

-          Vous êtes encore entre-deux. Dans quelques temps, vous ne verrez plus cet ancien monde, tout comme eux ne peuvent pas vous voir, également… Moi non plus, je ne les vois pas, je ne vois que vous et ce qui vous entoure, mais ça ne durera pas. Bientôt, il ne restera plus que nous et nos semblables qui partent.

-          Ça dure combien de temps… cette transition ?

-          Le temps n’existe plus pour nous, donc, je ne sais pas. Tout à l’air immédiat et éternel.

-          Sommes-nous donc devenus des âmes ? Mais alors, Dieu existe aussi ?

-          Je ne sais pas ce qu’on est devenus ! On peut sûrement appeler ça une âme, ou un fluide, ou une particule, ou pourquoi pas une phytohormone, mais je n’ai pas la réponse. Et puis, est-ce que ça sert encore à quelque chose de le savoir ? Quant à Dieu, je ne l’ai toujours pas vu, mais j’ai hâte de me mettre en route.

-          J’ai toujours réfléchi à ma condition, c’est pour ça que je me pose des questions. C’est quand même extraordinaire ce qu’on vit à cet instant.

-          Votre matérialisme ne vous sert plus à rien puisque nous sommes dématérialisés, désormais. Tel est pris qui croyait prendre !

-          Ça vous va bien de toujours avoir raison, hein ? Je ne sais pas si je vais passer mon éternité avec vous ?

Elle rit. Elle acquiesce d’un signe de tête. Son rire me désarme et me calme quelque peu.

Soudain, la porte de la chambre s’ouvre. Machinalement, Josiane et moi tournons la tête pour voir ce qui se passe. J’ai l’air d’être pris en flagrant délit avec mon amoureuse secrète ; nous ne bougeons pas. Je vois Cyril, le jeune infirmier qui s’avance et qui nous traverse sans aucune gêne. Je repense à la théorie des fantômes : on est là mais on ne nous voit pas, nous sommes des courants d’air, des grains de poussières transportés par des faisceaux de lumière ; moi je suis éberlué. Quant à Josiane, elle rit de plus belle, elle se moque de moi, je le vois bien.

-          Détendez-vous André, il ne nous voit pas et ne nous entend pas non plus.

Cyril me prend le pouls, je crois qu’il constate mon décès. Comme ça me fait drôle de dire ça ! J’aimerais lui parler pour qu’il alerte ma famille, lui dire quelque chose. Mais je ne peux pas ! Je fais des grands gestes, je remue tout autour de lui. J’ai l’air d’être dans une bulle de verre insonorisée, et lui aussi. Je le vois qui se relève, il note quelque chose. Puis il se dirige vers le volet roulant qui était baissé à mi-parcours, et qu’il baisse totalement, maintenant. La chambre est plongée dans le noir. Il allume la lumière, puis retourne fermer la porte d’entrée tout en nous traversant de part en part.

Cyril prend son téléphone, il parle quelques instants, puis le remet dans sa poche. Josiane et moi observons la scène comme si nous étions au théâtre, mais un théâtre participatif, un truc moderne quoi… La porte s’ouvre de nouveau, je vois Bérangère qui entre et Bertrand qui suit avec un brancard. Bérangère s’approche du lit, tire un mouchoir de sa blouse et s’essuie les yeux. De la voir dans cet état, me trouble. Je ne m’étais pas trompé, elle était vraiment bien cette femme ; je suis triste de lui faire de la peine…

Josiane me fait une tape sur l’épaule, il se passe quelque chose chez nous dans notre bulle. En effet, si je n’avais pas le son de la scène, l’image était claire, mais elle semble soudainement se brouiller, la lumière disparait comme si on éteignait les pièces une par une. Je ne vois plus rien de la chambre, seulement un halo qui n’éclaire plus que nous deux.

-          Ça y est ! C’est sûrement le signe du départ, me dit-elle radieuse.

Je suis seulement vêtu de ma tunique de malade, mais sans le tube et la poche à urine ; comme je dois avoir l’air bête pour faire ce voyage miraculeux. Je crois que là où on va, nos fonctions vitales ne servent plus à rien et que la mode n’existe pas.

Je prends la main de Josiane, je suis prêt, je me sens incroyablement bien, libéré… Je note qu’une légère odeur de chlorophylle me chatouille les narines, ça sent clairement la menthe acidulée quoi. Je jette un œil à nos dégaines et j’ajoute :

-          Je crois que ni le contenu, ni le contenant ne sont important, finalement, dis-je radieux.

Josiane me sourit…

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

Crédit photo - Didier Kalionian "Soleil Couchant" Instagram (c) 2020

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Didier K. Expérience
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