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Didier K. Expérience
26 avril 2023

Promène-moi Dans Les Bois - E.26/32

 

Promène-moi

Je me suis réveillé avec le chant des oiseaux et la lumière allumée. Cette histoire devient du grand n’importe quoi, il faut bien le dire… Je me lève avec les courbatures, je suis fripé, pire que quand j’étais à l’hôpital. Cependant, je ne me souviens pas d’avoir rêvé ni d’avoir entretenu une conversation imaginaire avec Josiane. Les cachets ont-ils annihilé toutes velléités de m’empêcher de dormir ? Le combat a dû être rude parce que je suis plutôt du genre coriace, pour ne pas dire borné. Donc ce matin, j’ai très mal dormi et je me sens mal.

J’ouvre les volets de la chambre, le ciel est d’un bleu profond et il fait bon. Il est encore tôt, la chaleur ne va pas tarder à reprendre place.

J’essaie de m’étirer, je fais le chat, mais mes membres craquent de partout et je découvre que j’ai une douleur lancinante dans la nuque. J’ai dû mal me positionner contre mon oreiller cette nuit, résultat : j’ai la nuque aussi raide qu’un poteau télégraphique. Je me fais vieux, il n’y a pas à dire ! J’abandonne les étirements, le sport ce n’est plus pour moi, de toute façon. En allant dans la salle de bain, je remarque que ma boite d’antipsychotiques n’est pas rangée. J’hésite à prendre mon cachet, je tergiverse en me lavant les dents. Je frotte tranquillement, en me disant que Josiane doit lire dans mes pensées actuellement, mais qu’il suffit d’un rien pour la faire disparaitre définitivement. Je me rince la bouche, je recrache l’eau dans un borborygme dès plus vulgaire, et comme je suis tout seul dans cette maison, j’en profite. Avant de sortir, je jette un œil une dernière fois à cette boite de médicaments, je prendrai ma décision plus tard. Ce qui veut dire que pour le moment, je ne prends rien, mais je ne la range pas non plus : donc statu quo.

Dès que mon brin de toilette est terminé, je m’habille tranquillement en faisant attention à mes cervicales. Je sifflote comme si de rien n’était, je sais que Josiane est là, tapie dans mon esprit, prête à bondir. Je m’attends à ce qu’elle reprenne contact. L’effet de l’antipsychotique est une barrière fugitive en train de s’évaporer. Je n’ai pas renouvelé la prise ce matin, donc tout devrait revenir comme avant, comme quand Josiane était ma colocataire à plein temps. Je peux même jouer avec mon problème, ce qui finit par me réjouir. Ce matin je m’étais levé mal embouché et courbaturé, et maintenant je suis presque d’humeur badine…

-          Bonjour André ! La connexion est de nouveau claire. Qu’avez-vous décidé de faire ce matin ?

Eh voilà ! Qu’est-ce que je disais ! Il a suffi que j’y pense pour que Josiane réapparaisse. Je souris à pleines dents, je suis satisfait d’avoir eu raison.

-          A vrai dire, je vous attendais. Je n’ai pas pris mon cachet ce matin. En fin de compte je vais vous garder encore un peu avec moi.

-          Ce n’est pas très sage. Je ne suis pas là pour durer. Me faire durer vous rendrait à coup sûr malade, c’est-à-dire, complètement maboule, si je peux m’exprimer ainsi.

-          Ne vous inquiétez pas, Josiane ! Comme toutes les drogues dures, j’arrêterai avant d’être accro.

Ma réplique me fait rire, je suis content de moi sur ce coup-là.

-          Après tout, André ! C’est votre problème, pas le mien. Personnellement, je n’ai plus de problème, votre monde ne me concerne plus. Et si vous voulez entretenir votre addiction, c’est vous seul que ça regarde.

Et allez donc, je me prends un aller-retour en pleine face, maintenant.

-          C’est normal, André ! Qui cherche, trouve !

Ça a dû être une sacrée vieille peau du temps de son vivant ! Elle devait gonfler tout le monde avec ses conseils.

-          N’oubliez pas que j’entends tout, André… A ce propos, vous n’avez pas répondu à ma question, je n’ai rien entendu de probant concernant la moindre ébauche de sortie de crise...  Alors, qu’avez-vous décidé de faire ce matin ? Je veux dire de constructif, bien sûr.

-          Ben ! Comme je vous l’ai dit, je vous attendais pour en parler. Si je n’ai pas pris de décision, c’est que je ne sais pas quoi faire. C’est aussi simple que ça !

-          André ! Vous êtes vraiment bouché à l’émeri, je ne vais quand même pas vous rappeler sans cesse ce que vous devez faire… Quand vous êtes malade, vous allez chez le médecin, et quand ça ne va pas dans votre vie, vous allez où ?

Je sais déjà où elle veut en venir et ce qu’elle veut que j’annonce. Bon, je lâche l’affaire, je renonce à lutter…

-          Me ressourcer en forêt ! C’est ça, Josiane ?

-          Voilà, vous venez juste de trouver la bonne réponse, je vous félicite, André ! Vous voyez quand vous voulez… Bon, sur ce, je vous laisse, la connexion faiblit.

-          Mais non, elle ne faiblit pas, je vous reçois cinq sur cinq, moi… Josiane, je n’en ai pas encore fini avec vous, aujourd’hui.

Voilà qui est étrange, car le contact ne se fait que par ma volonté, or là c’est Josiane qui a rompu. Il y a peut-être un problème de transmission ? En tout cas, c’est bizarre, ça ne colle plus avec ce que m’avait dit le médecin. Je ne peux tout de même pas laisser Josiane en roue libre à l’intérieur de mon cerveau, elle est capable d’y foutre un bordel sans nom. Déjà que je n’arrive plus à tout maitriser, mais si on est deux à décider de ce que je dois faire, je ne m’en sortirai pas. Et ça c’est totalement inédit, ça n’était pas prévu au programme… Vraiment, Josiane me prend la tête, c’est le cas de le dire. Malgré ça, je ne reprendrai pas de cachet, je verrai bien la façon dont évoluera notre cohabitation interne.

Parfois, j’ai le sentiment de vivre dans un de ces épisodes de science-fiction des années soixante-dix, de Star Trek quoi. Je m’impressionne moi-même car plus rien ne m’étonne de ce que je vis actuellement. Ou alors je suis en train de devenir aussi schizo qu’eux ? car dans cette série, ils ont tous l’air complètement dingue. En tout cas, ils ne s’apercevaient jamais de leur ridicule, c’est mauvais signe pour moi.

En attendant de savoir si je vais devenir aussi cinglé que le capitaine Kirk ou Josiane, je vais suivre son dernier conseil, je vais aller faire un tour.

Je descends à la cuisine me couler un café. La cafetière ne tourne plus autant qu’avant, mais puisque ce n’est pas interdit, je m’en sers une bonne tasse ce matin. J’aime cette odeur, elle est synonyme de bonheur, de joie et de bonne santé. Je prends mon temps pour le déguster tout en pensant à ma destination pour cette promenade… Bien sûr, je n’ai pas vraiment de doute sur le lieu que je dois choisir, ça sera le bois où Josiane m’avait emmené. C’est de toute façon, un bon endroit pour se ressourcer, comme ce café, c’est un bon souvenir.

Voilà, c’est décidé, je vais faire un tour dans les bois, retrouver les senteurs et les mystères de cette nuit mémorable où Josiane m’avait ensorcelé. Je prends mon portable, même si plus personne ne m’appelle depuis que je suis sorti de l’hôpital, mes clés de voiture, mes lunettes de soleil. Je suis prêt !

La voiture démarre au quart de tour, comme si elle savait où on allait, heureuse de rouler et de me transporter ; comme si elle était possédée, elle aussi. J’ai presque envie de lui parler pour voir si elle me répond. Je plaisante bien sûr ! Mais j’ai un doute.

Je sors de la ville tranquillement, direction la campagne. Ce n’est pas très loin de l’hôpital, je m’en rappelle très bien. Faudra aussi que je sache comment s’appelle ce bois. C’est vrai ça, Josiane n’a jamais mentionné son nom, en tout cas, je n’en ai aucun souvenir !

En moins de trente minutes, j’y suis rendu.

Je me gare au plus près. Je contemple en silence le paysage depuis la voiture, les mains sur le volant... Je me décide enfin à descendre, je claque la portière le plus doucement, puis je me dirige d’un pas altier sur le chemin de sable emprunté par les cavaliers. C’est essentiellement une forêt de pins dont l’entrée est jalonnée par des espaces pour barbecues avec tables et bancs en bois. Je me rappelle du chemin que j’avais suivi la dernière fois. Au fur et à mesure que j’avance, je reconnais les plantes et le fameux arbuste autour duquel Josiane s’était lascivement vautrée… Je sais qu’il fait chaud, mais je suis bien, je marche paisiblement sans me presser, dans la pénombre, à l’ombre des branches d’arbres. Le chant des insectes se mêle au bruit de la route qui n’est pas très loin, mais le vrombissement des voitures qui passent n’est pas si désagréable quand il s’estompe… Je sens l’air que je juge bienfaisant, j’en remplis mes poumons, j’aimerais pouvoir en stocker des centaines d’hectolitres pour me nettoyer de ces années de fumoir cancérigène et cardiovasculaire. Je croise un ou deux joggeurs, mais à part eux, je ne vois personne d’autre. C’est sûrement un bon secteur pour courir ; si je pouvais le faire, c’est là que je viendrais, c’est sûr.

Je progresse lentement. J’arrive là où trônent les majestueux eucalyptus, ce sont ceux qu’on avait enserrés, Josiane et moi. Qu’est-ce qu’ils sont beaux ces arbres ! Je m’approche délicatement d’eux, je pose les mains sur l’un, puis le front. Enfin, le corps collé, je respire l’écorce, je me souviens de cette odeur si particulière. Mes mains caressent le tronc comme si je cherchais à toucher le dos d’une femme, à défaire son soutien-gorge, par exemple. Je trouve cette comparaison très juste et très sensuelle aussi.

Je me rends compte que ces eucalyptus font comme une porte d’entrée, ça pourrait être celle d’un temple si je voulais extrapoler. Je regarde tout autour : la disposition des plantes aux alentours forme une sorte de mur végétal, je n’ai d’autre choix que de passer entre eux deux si je veux aller plus loin. Je franchis le pas et je me retrouve devant une petite clairière. M’avançant vers son centre, je m’aperçois qu’elle est parfaitement circulaire. On pourrait y tenir aisément à une centaine de personnes… La première fois que j’étais venu, il y faisait nuit, donc je ne m’étais aperçu de rien, et la seconde fois de jour, je n’y avais pas prêté attention.

Je suis étonné, je ne pensais pas trouver un tel espace ici. De l’intérieur de cette clairière, le mur végétal est quasiment opaque, on ne différencie rien à travers. Donc, de l’extérieur, personne ne peut non plus nous voir. Le sol est bien plus moelleux, je foule l’herbe mélangée aux divers déchets naturels, écorces, feuilles d’eucalyptus et autres tapis d’épines de pins. J’aurais dû enlever mes chaussures, je crois… La luminosité a du mal à passer, filtrée par les hautes branches, on aperçoit juste de la cime des arbres, le ciel bleu qui se détache du vert sombre des plantes. Devant moi, un rai de lumière transporte la poussière et des matières plus légères que l’air, et plus je regarde le ciel, plus je distingue les rais qui fusent de partout comme des lasers à travers la clairière. C’est un drôle de spectacle auquel je ne m’attendais pas à assister en plein jour. Instinctivement, je repense à ce que m’avait raconté Josiane sur la respiration des plantes et leurs communications. Les phytohormones doivent circuler en tous sens, comme une myriade de messages voyageant au gré du vent mais atteignant leurs destinataires, enfin, je suppose !

Ça y est ! Je deviens mystique, je vais finir par croire à toutes les sornettes de Josiane… Je cherche le fameux épicéa qui semble-t-il, m’avait fait du bien. Il est au fond de la clairière, il est bien plus grand que tous les autres arbres. Je remarque que lui et les deux eucalyptus forment tous les trois un triangle. Est-ce un hasard ? Ces arbres n’ont pourtant pas l’air d’avoir été plantés. Je devine une certaine symbolique : ce triangle au centre d’un cercle, ça doit peut-être vouloir dire quelque chose, mais je laisse tomber pour le moment. Je m’avance vers l’épineux dont le tronc droit s’élance dans les hauteurs, il surplombe tous les autres, je m’apprête à le toucher quand sa voix résonne.

-          Enfin, André ! Vous êtes venu ! Vous êtes enfin là où vous deviez être depuis le début.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

Crédit photo - Didier Kalionian "Soleil Couchant" Instagram (c) 2020

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