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Didier K. Expérience
24 avril 2023

Promène-moi Dans Les Bois - E.24/32

Promène-moi

J’ai la nausée, me voilà bien ! J’aurais peut-être dû manger quelque chose avant de prendre les cachets. Je me sens comme un voleur qui voit sa dernière heure arrivée ; je n’ai plus le choix, je ne peux plus lutter, je me rends et j’attends qu’on vienne me chercher. C’est-à-dire que j’attends Josiane. Les antipsychotiques n’y feront rien, je le crains, car c’est moi qui suis paralysé et non elle. C’est bien ma veine !

Je ne peux même pas fumer ma dernière cigarette, étant donné que je n’ai plus le droit de fumer. Maintenant que je suis KO. Je n’ai plus qu’à écouter la sentence.

-          Même Saint Paul n’était pas aussi borné que vous ! C’est dire que vous en avez mis du temps. Le Christ serait mort deux fois, avec vous.

-          Ah, tout de même ! Vous voilà !... Je vous en prie, épargnez-moi ce genre de comparaison. Je suis athée jusqu’au trognon et matérialiste à 150%. Alors, votre Saint Paul et vos prophètes de foires ne m’intéressent pas du tout.

-          Je ne le sais que trop ! Vous êtes excessif en tout ! J’avais essayé de vous dégourdir quand j’étais hospitalisée, mais ce fut dur, très dur.

La tête me tourne toujours, mais j’essaie de bouger le moins possible. Je suis assis maintenant, calé, le corps contre un des accoudoirs du canapé. J’ai les jambes croisées, le bras droit contre mon ventre et le gauche posé sur mes yeux, ce qui m’oblige à les garder fermés. De cette façon, j’ai l’impression de stabiliser la nausée, d’enrayer l’effet : en tout cas, ça me calme. Je me sens en capacité de faire face à mon hallucination verbale.

-          Je vous rappelle que je ne vous avais rien demandé, Josiane. C’est vous qui m’avez entrainé ! Sans parler de vos escapades nocturnes dans les placards de la cuisine. Il ne manquait plus qu’on m’accuse de vol, en plus ! Heureusement, je vous ai couvert et le personnel, bienveillant, m’a cru !

-          Emotionnellement, vous étiez au bout du rouleau, ça se voyait ! C’est pour ça que j’ai tenté de vous sauver. Mais je sais aussi qu’on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux… A mon tour de vous demander de m’épargner. N’oubliez pas que je sais tout ce qu’il y a dans votre tête, et si vous m’aviez couverte, ça se saurait ! Vous avez eu peur, plutôt ! Comme vous avez peur de tout… La vie est un mystère pour toute l’humanité, mais pour vous, c’est surtout un monde totalement opaque, noirci par tout ce que vous entendez et par tout ce que vous ingurgitez comme bêtises. Vous ne croyez peut-être en rien, André, mais vous gobez tout ce qu’on vous dit !

-          C’est mon procès ou ma psychanalyse ?

-          C’est ce que vous voudrez que ça soit !

Je sais que Josiane n’est pas en face de moi et qu’elle n’est même pas présente physiquement, mais j’ai l’impression qu’elle est dans la pièce, assise en face de moi. Je n’ose plus ouvrir les yeux, de peur de voir la réalité : c’est-à-dire, que je parle aux mouches qui virevoltent autour de moi, voire à la poussière qui se déplace grâce aux rais de lumière qui passent par la fenêtre. Cependant, le docteur m’a rassuré donc je peux jouer le jeu. Et puis cette discussion surréaliste m’intrigue, elle est plus vraie que nature.

-          Vous avez la prétention de posséder toutes les réponses, je vois. Je crois qu’on n’a pas fini de tourner autour du pot, alors ! dis-je dubitatif.

-          Non, André ! Je ne suis pas la réponse, je suis la question !

-          Hein ?

-          Je ne vous apporterai aucune réponse, mais je vais vous aider à vous poser les bonnes questions.

Me voilà encore plus perdu.

-          Que pourrais-je bien vous poser comme question ?

-          Il y en a bien une évidente. Pourquoi suis-je votre hallucination verbale ou auditive ? Vous vous posez cette question en boucle depuis le début. Vous en avez même parlé au docteur Rossi-Langlois dont la réponse ne vous a pas vraiment convaincu, n’est-ce pas ?

-          C’est tout à fait juste. Alors c’est ma première interrogation. Pourquoi vous ?

-          Je vous ai prévenu, André. Je ne répondrai à aucune question. C’est vous qui avez la réponse ; je suis votre miroir.

Ce jeu est un peu absurde, Josiane est un miroir dans lequel je ne vois rien. Je suis sensé m’admirer, or rien ne m’apparait, pas même mon image !

-          Au sens littéral, le verbe réfléchir signifie « qui renvoie la lumière », mais au sens élargi, c’est « qui entraine son raisonnement ». Le miroir est le bon terme pour définir ce que nous faisons.

-          Comme dans une psychanalyse, alors !

-          Bravo, André ! Vous venez de répondre à la question que vous m’avez posée au début de notre connexion… Et je rajouterai que je ne suis pas là pour vous juger et que je ne suis pas non plus votre procureur, donc ce n’est pas un procès.

Que la lumière soit. Et la lumière fut ! Bingo ! J’ai compris.

La nausée semble se calmer un peu. Le cachet devrait atténuer la connexion et faire disparaitre peu à peu Josiane. Pour le moment, elle occupe l’espace de mon cerveau, je n’arrive pas à me focaliser sur autre chose. Au moins, je n’ai plus l’impression de tomber continuellement… Je me tais, je laisse mijoter les choses dans ma tête. J’ai presque l’air de somnoler, je laisse filer le temps, après tout je n’ai rien d’autre à faire… J’ai enfin compris que c’était moi qui faisais apparaitre Josiane, comme si mon subconscient avait pris le contrôle, comme un putsch d’une partie de mon cerveau sur une autre. Une réaction saine d’autodéfense en provenance du cerveau reptilien pour m’aider à saisir ce qui s’est passé.

Rien que d’avoir réussi à saisir cela, me laisse sur mon fondement. Les mots du médecin me reviennent, ce sont les mêmes que ceux de Josiane, d’ailleurs : ce n’est pas rien ce qui m’est arrivé. Ça y est, je commence mon atterrissage et j’espère qu’il se fera en douceur… En tout cas, ça me parait une explication plausible, même si je doute en permanence de ce que l’esprit peut produire.

J’ai survécu à mon infarctus et je m’en suis sorti, mais ça ne me satisfait pas, parce que je ne peux plus vivre comme avant.

Avant de revivre, il me faudrait renaitre, mais c’est là où ça bloque un peu, c’est un concept un peu flou. Pourtant j’en conçois l’idée. Je ne suis pas mort mais je ne peux plus vivre, et si je meurs maintenant, je pourrais vivre une autre vie : ma nouvelle vie. Si je voulais me tirer moi-même les cheveux, je ne m’y prendrais pas autrement.

J’arrive à aligner plusieurs idées qui commencent à émerger, comme des îles sortant de l’eau après un cataclysme.

-          Josiane ? Vous êtes là ?

-          Mais oui, je suis là ! Je suis toujours là. Je vous écoute. Je suis vos pérégrinations mentales. Vous en êtes bientôt à la création du monde. Le magma pousse de partout, le volcan va bientôt rentrer en éruption, n’est-ce pas ?

-          C’est une belle image, je crois que c’est ça !

-          Heureux homme que celui qui voit !

-          C’est de qui ça ?  De Saint Paul ?

-          Non, c’est de moi ! dit-elle en riant.

Je grogne légèrement. Les facéties de Josiane me troublent, c’était déjà le cas quand elle était vivante. D’ailleurs, je ne comprends pas qu’elle puisse continuer, ça ne colle pas avec les symptômes de l’hallucination verbale. Il y a encore un mystère là-dessous.

-          Ne faites pas votre ours, André ! L’humour est une bonne thérapie. On va pouvoir communiquer comme il se doit, comme avant.

-          D’accord ! Pardonnez-moi. Alors, que faut-il faire ?... Ah, oui ! C’est vous qui posez les questions, en fait !

-          Je vous dirige vers vous-même. C’est là où se trouve la solution.

-          Donc, il faut que je me recentre sur moi. Mais ne vais-je pas apparaitre comme n’étant qu’un vieil égoïste ? C’est un risque, non ?

-          Je ne sais pas, mais un petit coup d’égocentrisme ne vous ferait pas de mal. En tout cas, c’est l’égo votre souci. Egoïsme ou égocentrisme, c’est vous qui choisirez.

-          Je n’ai jamais été narcissique, même si j’ai pratiqué avec un acharnement non feint le repli sur soi toutes ces dernières années. Je ne voyais rien, je ne voulais plus voir, surtout. Les autres m’ennuyaient, je ne les supportais plus. Je n’étais intéressé que par moi et seulement moi. Je me rends bien compte que c’était une erreur. Seulement, même si le mal est fait, je n’ai pas envie de revoir mes soi-disant proches, ni de faire un mea-culpa.

-          Est-ce que vous culpabilisez ?

-          C’est marrant cette question. Pas du tout, en fait ! Je pense que j’ai bien agi, en accord avec mon état d’esprit du moment. Aujourd’hui, je ne traiterais plus ces gens de la même façon, ça j’en suis sûr.

-          Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ?

-          Je ne sais pas. Je le ressens au plus profond de moi-même à l’instant même où je vous le dis. L’altérité m’a manqué. Je la rejetais parce que j’en avais peur, alors que l’inconnu et la différence me sont nécessaire pour vivre. Je ne voyais les autres que comme des ennemis évidents et non comme des alliés potentiels. J’étais dans une compétition permanente, comme si j’étais en guerre avec le monde… J’ai besoin de tout renouveler pour me retrouver.

Je sais que je me parle, mais j’ai de plus en plus l’impression d’être sur le divan, en face d’un psy. Sauf, que je suis sur mon canapé et que je communique avec une voix qui traine dans ma tête et qui s’appelle « hallucination verbale ». Josiane n’est qu’un prétexte, j’en suis certain. Je crois que si un étranger entrait chez moi, il me conduirait chez les fous illico.

Cependant, je vois bien que quelque chose a changé : je ne perçois plus la voix de Josiane comme une intruse ou un fantôme qui me hanterait, qui me rendrait cinglé. Comme me l’a dit le docteur Rossi-Langlois, ce dialogue me permet de décompresser, de lâcher du lest.

-          Pourquoi étiez-vous en compétition ou en guerre ? Mais, comme c’est excessif, je vous reconnais bien, là !

-          Parce que j’aimais ça ! J’ai toujours beaucoup travaillé, mais j’ai toujours travaillé mieux que les autres, il le fallait, c’était plus fort que moi. J’ai toujours beaucoup aimé la vie, enfin, je croyais que c’était ça, la vie ! Je buvais toujours plus que les autres, je mangeais toujours plus, je fumais beaucoup, j’étais un ogre. De temps en temps, je mettais un coup de canif dans le contrat de mariage. Pas souvent, hein ? Juste une fois ou deux, histoire de me prouver que j’existais comme les autres. Dans mon entourage, tout le monde le faisait, ça nous rendait fier de partager ce genre de secret. Alors qu’en fait, c’était pitoyable, voire lamentable. Bouffer, boire, baiser ! Quoi de plus banal ?

-          Et où en êtes-vous de votre « ancienne vie » ?

-          Je suis divorcé depuis longtemps et mes enfants sont grands, ils vivent leur vie comme ils peuvent. Mes amis sont partis ou sont morts et mon boulot m’a ruiné la santé. Et j’ai presque soixante ans. A m’entendre parler, je constaterais presque l’échec comme résultat final.

-          Cet infarctus ne vous aurait-il pas sauvé la vie, plutôt ?

Cette question me surprend, mais elle déclenche un sourire immédiat.

-          J’ai vraiment failli mourir, il s’en est fallu de peu et c’est ce qui a tout arrêté d’un coup. Je ne travaillerai plus jamais, je suis en invalidité, maintenant. Interdiction de fumer, de boire de l’alcool, de faire du sport, j’en passe et des meilleures… Mais vous avez sûrement raison, ça me pendait au nez de toute façon, c’était là, je ne voyais rien. On paye toujours ses excès d’une façon ou d’une autre.

-          Comment vous sentez-vous, maintenant ?

J’entends bien la question, mais le son se perd comme si elle me parlait dans le conduit d’une cheminée ; de plus, je sens qu’une certaine léthargie me gagne. Les cachets font leur travail de sape et m’engourdissent. Ça me contrarie un peu parce que je suis lancé et que je n’ai plus envie de m’arrêter. Maintenant que j’ai ouvert les vannes, il faut que ça sorte, mais je ne capte plus rien, je me sens lourd. J’ai une désagréable sensation de sécheresse dans la bouche, j’ai la langue pâteuse, comme si j’avais avalé un désert, les cactus, le sable et les dunes avec.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

Crédit photo - Didier Kalionian "Soleil Couchant" Instagram (c) 2020

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