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Didier K. Expérience
23 avril 2023

Promène-moi Dans Les Bois - E.23/32

Promène-moi

Je me précipite à l’extérieur, je ne sais où aller, j’ai presque envie de partir. Mais si je pars je ne saurai pas ce qui m’arrive. Je stresse au maximum. Je suis sur le parking, je fais des exercices de respiration, je fais n’importe quoi pour tromper mon esprit. Je ne sais pas si j’y arrive, en tout cas, je n’entends plus rien. La voix ne s’est manifestée qu’une seule fois ; je juge que l’alerte est passée, je retourne en salle d’attente.

Il est presque midi et l’assistance s’est clairsemée, j’ai peut-être une chance de passer. Je retourne m’assoir… A mon grand désespoir, je comprends les raisons de ce calme soudain : tout le monde est parti déjeuner. Je n’ai pas faim et je ne veux pas perdre mon tour, si tant est que j’en aie un.

La porte du cabinet s’ouvre et je vois l’infirmière et le docteur Rossi-Langlois qui s’avancent. Je me lève d’un bond pour le saluer et pour lui parler.

-          Bonjour André. Vous êtes en avance, non ? Je ne devais pas vous voir vers 17h ?

-          Bonjour docteur. Je ne peux pas attendre, il faut que je vous parle, c’est urgent. Je n’en ai pas pour longtemps, je vous le promets.

-          Tout le monde me dit ça… Enfin, soit !

Puis il se tourne vers l’infirmière.

-          Je vais le prendre tout de suite, merci de mettre en attente le prochain, on n’en aura pas pour longtemps.

L’infirmière fait une moue de résignation.

-          Très bien ! Entrez ! me dit-elle.

-          Mais, c’est vous qui me recevez ?

-          Le docteur est parti faire une pause cigarette, il revient dans quelques minutes. En attendant, dites-moi ce qui vous amène, on gagnera du temps.

-          C’est un peu délicat, je préférerais ne parler qu’au docteur.

Je sens qu’elle est légèrement excédée par mon attitude, mais elle laisse faire. Le docteur revient, elle nous quitte.

-          Allez déjeuner ! Je m’occupe de monsieur, dit-il.

Je respire, je m’affaisse dans le fauteuil, je vais pouvoir lui parler.

-          A nous, André ! Je vous écoute !

-          C’est un peu délicat, je ne sais pas comment vous le dire.

Le docteur se recule dans son siège, ses yeux me fixent, me transpercent serait plus juste. Son temps est précieux, ce n’est pas le moment de minauder. Je me lance :

-          Voilà ! Depuis quelques temps, j’entends des voix. Au début, c’était dans mon sommeil, mais maintenant, c’est tout le temps. Quelqu’un me parle dans ma tête.

-          Comme une petite voix intérieure, comme si c’était votre conscience, quoi ?

-          Pas vraiment, c’est quelqu’un que je connais qui me parle. J’entends le son de sa voix et je sais qui c’est. Vous vous rappelez de cette dame, Josiane, qui est décédée pendant mon séjour chez vous ? Ben, c’est elle que j’entends, qui me conseille, qui m’engueule la plupart du temps. C’est incroyable, j’ai l’impression de devenir fou !

Le docteur se détend dans son siège, il joint les mains à hauteur de son nez. Il m’écoute mais son visage reste impassible, rien ne transparait de ce qu’il pense de ce que je viens de dire. Moi, je souffle, j’ai réussi à cracher le morceau sans dramaturgie excessive.

-          Qu’est-ce que vous en dites, docteur ?

-          Ça ne me parait pas très grave… Vous avez eu raison de venir me voir, il faut parler de ce genre de chose avec un professionnel de la santé. Beaucoup de gens font l’erreur de chercher sur Internet ou de régler ça seuls. Heureusement, je vous connais, donc je connais aussi votre état de santé et je pense que vous avez eu un traumatisme lié à votre infarctus, puis à votre opération. Vous avez failli mourir, tout de même. Ce n’est pas rien ce que vous avez eu ! Il vous faudra un peu de temps pour vous remettre totalement. Un infarctus est un choc physique et psychologique !

-          Donc, je ne suis pas en train de devenir fou ?

-          Mais non ! Et vous n’êtes pas en train de devenir Jeanne d’Arc, non plus. On pourrait dire que c’est un cas de schizophrénie, mais les schizophrènes ne s’en aperçoivent jamais, or vous, vous le savez, donc vous n’êtes pas malade. C’est déjà une bonne chose.

-          Je ne savais pas que ça existait.

-          Ça porte même un nom : c’est une hallucination verbale ou auditive. C’est plus fréquent qu’on ne le pense… Tranquillisez-vous, je vais vous prescrire un antipsychotique qui vous débarrassera paisiblement de ce problème. La pharmacie de l’hôpital est ouverte, vous pourrez l’avoir tout de suite comme ça…

Le docteur affiche un sourire satisfait, il se taperait presque sur le ventre.

-          Quant à cette dame, vous l’aimiez bien, je crois ? Elle n’était pourtant pas dans le même temps biologique que le vôtre, mais elle vous aura apporté quelque chose qui vous a touché : c’est pour ça que vous l’entendez… Rien de bien grave.

-          Vous en êtes sûr ?

-          On ne peut pas être sûr de tout, on peut douter de tout également. Mais ce qui vous arrive est déjà arrivé a d’autres de mes patients, ça c’est certain !

Bon, s’il le dit ! Il est médecin après tout, il sait mieux que moi. Je suis obligé d’avoir confiance en son jugement.

-          On se revoit dans quelques semaines et on en reparle. Et sinon, pour la suite de vos examens. Vous avez tous vos rendez-vous ?

-          Euh, non ! J’allais le faire quand ce problème est survenu.

En fait, je ne voulais plus venir, mais ça je ne peux pas le lui dire, maintenant. Je suis coincé, le dos au mur.

-          La secrétaire est partie déjeuner, mais j’ai la main sur mon agenda : on se revoit même jour, même heure dans trois semaines, ça vous va ?

-          Ah, oui ! C’est parfait. Merci docteur. Merci !

Je lui donne ma carte vitale, il se charge de l’administratif, me fait mon ordonnance puis me congédie poliment.

Je sors de son cabinet l’air penaud. Je jette un dernier coup d’œil à la salle d’attente qui est de nouveau bien pleine après la pause déjeuner, j’ai de la chance d’être passé. Le docteur Rossi-Langlois devait me garder cinq minutes et il a à peine débordé, pour quatre heures d’attente, c’est un bon score.

Je me dirige vers la pharmacie, je commande le fameux médicament qui est en stock, heureusement. C’est pratique cette pharmacie dans l’hôpital : directement du prescripteur au consommateur, pas de temps mort ! Je décide d’en prendre un de suite. La pharmacienne me fournit gentiment un verre d’eau et j’avale mon cachet…

Mentalement, je souhaite un bon voyage d’adieu à Josiane, qu’elle retourne donc dans les limbes qu’elle n’aurait jamais dû quitter.

Je me sens vraiment soulagé quand je quitte le parking. Peut-être que le comprimé fait déjà son effet ? On ne sait jamais, c’est très puissant, ces trucs-là !

Je roule sans me soucier de quoi que ce soit, je suis bien. J’écoute la radio, les infos ne sont pas fameuses, mais je m’en fous. Je sifflote, je baisse la vitre, je passe un bras au dehors, je rentre chez moi, mais j’ai l’impression de partir en vacances… Le feu passe à l’orange, je ralentis.

-          C’est gentil de vouloir me renvoyer dans les limbes, qui est le lieu des âmes justes, mais je suis avant tout dans votre tête.

Je sursaute, je cale. Les autres véhicules klaxonnent derrière moi, un vent de panique souffle dans la voiture. Le feu est repassé au vert, je redémarre en catastrophe. Je ne sais plus où j’en suis mais je ne réponds pas. J’embraye et j’avance enfin.

-          Calmez-vous donc, André. Le docteur vous l’a dit, ce n’est pas grave. Et vous n’êtes pas malade.

Je suis stupéfait ! Donc, le cachet n’agit pas encore. J’en prendrai un autre en arrivant chez moi.

-          Ces cachets vont vous aider, je disparaitrai bientôt. Ne vous inquiétez pas.

Le répit aura été de courte durée. Le docteur m’avait dit que c’était de l’hallucination auditive, moi je crois plutôt qu’il s’agit de harcèlement verbal et si je me laisse faire, je suis foutu. Il faut que je résiste, je n’ai pas d’autre solution.

-          Vous voulez résister à quoi ? Je suis le produit de votre imagination… André, vous avez été submergé par vos émotions. Le docteur vous l’a dit : ce qui vous est arrivé n’est pas rien.

J’entends mais je ne réponds pas. J’ai hâte d’arriver à la maison. Je me concentre sur la route, je ne suis plus très loin. J’essaie la méthode zen qui consiste à faire le vide en soi en se focalisant sur une chose précise. J’ai faim, donc, je me focalise sur ce que je vais manger dans quelques minutes. Ça me calmera, le temps de me garer et surtout de reprendre le médicament.

-          Ça y est ? Vous êtes zen, là ? André, vous ne pouvez pas vous empêcher de penser. C’est plus fort que vous…

J’arrive chez moi, je me gare devant la maison, je rentrerai la voiture au garage plus tard. Je claque la portière, puis je mets mes mains sur les oreilles pour ne plus rien entendre. Si des gens me voient, ils me prendront pour un dingo, ça c’est sûr. Pour ouvrir la porte, c’est un peu compliqué, je suis obligé de sacrifier un conduit auditif, de fouiller dans ma poche, attraper mes clés et déverrouiller la serrure… Je cours vers la cuisine, je fais couler le robinet pour un verre d’eau, je sors la boite de médocs, j’en avale un que je rince aussi sec. Je replace les mains sur les oreilles en faisant une compression pour être certain de ne plus rien entendre.

-          André ! Je vais attendre que le cachet fasse effet, puis on se parlera. Je crois que vous n’êtes pas en état de communiquer.

J’ai entendu sa dernière phrase, je relâche prudemment la pression sur mes oreilles. Un son sourd avait pris la place, j’entends une sorte de sifflement, maintenant…

Qu’a-t-elle voulu dire par « je vais attendre que le cachet fasse effet » ? J’ai peur de comprendre. Donc elle reviendra et ça risque d’être mieux pour me parler ! Mais, ce n’est pas possible, ça ! Je vais vraiment péter un câble, si ça continue.

Tout d’un coup, la tête me tourne et je me sens mou : les deux cachets font effet. Merde ! J’espère que je ne vais pas tomber dans les pommes, il ne manquerait plus que je fasse un malaise.

Je vais dans le salon, je m’allonge dans le canapé, je me cale la tête contre le dossier, ça tourne moins. J’essaie de me calmer… Pour la première fois depuis mon opération, ma cicatrice qui se trouve près du cœur me démange, je ne sais pas pourquoi, j’ai envie de me gratter.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

Crédit photo - Didier Kalionian "Soleil Couchant" Instagram (c) 2020

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