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Didier K. Expérience
22 avril 2023

Promène-moi Dans Les Bois - E.22/32

Promène-moi

Je me réveille avec le chant des hirondelles qui piaillent près de ma fenêtre, la lumière du soleil passe par les interstices des volets ; je pense qu’il ne doit pas être loin de 8h du matin. Malgré le bon litre de café ingurgité la veille, j’ai bien dormi. Je n’ai pas souvenir d’avoir été dérangé par ces voix nocturnes, non plus. Josiane m’aurait-elle abandonné ?

C’est marrant ça ! Il suffit d’avoir un rendez-vous avec le médecin pour que le problème disparaisse ! C’est toujours comme ça ! Quoi qu’il en soit, je vais voir le docteur Rossi-Langlois aujourd’hui.

Je pourrai toujours lui parler de mon dos qui a souffert le martyre durant tout un après-midi de méditation, puis d’être resté assis sur cette chaise de cuisine qui s’est avérée être un véritable engin de torture toute la soirée. Bon, il est cardiologue, mais il doit bien connaitre le reste du corps, sinon à quoi servirait-il d’avoir fait autant d’études de médecine ?

Je me lève péniblement, je suis devenu un papy. Je me suis couché tout habillé, je me sens sale, j’ai l’air d’un épouvantail à moineaux. Une douche s’impose avant de prendre un petit-déjeuner bien mérité. L’eau chaude ruisselle sur mon corps, ça va mieux tout d’un coup…

-          Alors André, ça va mieux ?

Je coupe le jet tout net. Je crois que j’ai entendu quelqu’un m’appeler.

-          Ce n’est que moi, André !

Ah non ! Je ne rêve pas et je ne dors pas là. Je suis bien en train de prendre une douche pourtant j’entends la voix de Josiane qui m’interpelle. Je sors de la cabine, je me sèche et je m’habille à toute vitesse. J’ai de l’énergie à revendre. Je ne vais pas pouvoir tenir jusqu’à ce soir, il faut que j’aille voir le médecin, maintenant.

-          Laissez-moi tranquille ! Je n’ai pas besoin de vous. Foutez-moi le camp.

-          Ne soyez pas si excessif, André. Ce n’est pas bon pour votre cœur.

J’ai passé une nuit paisible sans entendre cette voix et voilà que ça revient en plein jour, alors que je suis pleinement éveillé.

-          Cette nuit, la connexion n’a pas pu se faire, vous ne deviez pas être très réceptif. Je crois qu’on va pouvoir se parler en permanence car il n’y a plus d’interférences. Vous n’êtes pas content ?

-          Je vous en foutrais des interférences, moi. Laissez-moi !

Je dévale les escaliers, je récupère les clés de la voiture et je sors de la maison. Je démarre la Volvo qui réagit au quart de tour : je réalise que je suis très énervé et qu’il faut que je me calme. Je ne peux pas conduire dans un état pareil, c’est potentiellement dangereux dans ma situation cardiaque. Je prends deux pastilles mentholées anti-tabac que je suce frénétiquement car j’ai une irrépressible envie de fumer… Je m’aperçois que j’ai bloqué les portes comme si je voulais échapper à quelqu’un alors que c’est une voix qui me poursuit. Sans aucun doute, je suis en train de peter une durite. Je mets les mains sur le volant et j’expire le plus longuement possible, je vide tout l’air qui serait contenu dans mes poumons, j’expurge tout. J’inspire et je recommence jusqu’à ce que je me sente tranquillisé. L’opération dure quelques minutes, mais ça va bien mieux après. J’embraye, j’appuie sur la pédale, je pars direction l’hôpital.

Sur la route, j’ai mis une station FM qui ne passe que des chansons françaises, de cette façon je peux les reprendre à tue-tête, ça m’occupe l’esprit, c’est le cas de le dire. Pendant que je chante, la voix me laisse tranquille, je crois que c’est un bon exercice.

Au bout d’une demi-heure, j’arrive en vue de l’hôpital, je repère une place de libre sur le parking : il est tôt, on peut encore se garer facilement. Je ne suis pas trop loin de l’entrée du bâtiment, je me presse de sortir de la voiture, puis je me dirige toujours aussi rapidement vers la réception des patients. Heureusement, l’accueil de l’urgence cardio est déserte à cette heure-ci, je ne dois pas être le premier, mais pour le moment, la voie est libre. Une jeune femme derrière le comptoir me fait signe d’approcher et de parler dans l’interphone.

-          Bonjour madame, j’ai rendez-vous avec le docteur Rossi-Langlois.

-          Bonjour monsieur : Carte vitale s’il vous plait.

Elle tapote sur son ordinateur, elle fronce les sourcils en regardant son écran. Quelque chose n’a pas l’air d’aller.

-          Je ne vois pas votre nom sur l’agenda du docteur. Vous êtes sûr que c’est aujourd’hui ?

-          En fait, il doit me voir entre deux patients. C’est peut-être pour ça que je ne suis pas enregistré.

-          Un moment, je vous prie…

Elle coupe l’interphone, puis prend un téléphone portable. La cloison est parfaitement hermétique, je n’entends rien. Elle parle pendant quelques secondes puis range son portable. Un homme en blouse blanche apparait derrière elle quelques minutes après. Ils se parlent : lui, lève les bras au ciel et fait non de la tête. Elle acquiesce d’un « OK » que j’arrive à lire sur ses lèvres. Je vois que l’homme me cherche du regard, il s’approche de l’interphone.

-          Bonjour monsieur. Si vous n’avez pas de rendez-vous avec le docteur, il faudra vous rendre aux urgences. On ne peut pas vous prendre comme ça.

-          J’ai parlé avec le docteur hier soir, il m’a dit qu’il me recevrait entre deux. Demandez-le-lui, il vous le confirmera.

-          Il est en consultation pour le moment et on ne peut pas le déranger. Désolé.

La jeune femme reprend la direction des évènements pendant que l’homme s’en va. J’ai l’impression qu’ils sont dans un bunker imprenable. Elle rebranche l’interphone et s’approche du micro.

-          Je vous ai enregistré sur son agenda, le docteur est au courant maintenant, mais je préfère vous avertir que vous allez attendre très longtemps.

Je fais une petite moue dubitative, je connais mon médecin, il me prendra dans un délai raisonnable, j’en suis sûr. Puis elle me rend ma carte vitale que je range dans mon portefeuille sur le champ. Je consulte ma montre, il est 9h30. La trotteuse de l’horloge murale est à l’unisson de celle de ma montre, donc pas de risque qu’une des deux arrive avant l’autre.

Résigné, je prends le chemin de la salle d’attente, qui heureusement, n’est pas la même que celle des urgences. Cependant, ça y ressemble quand même beaucoup : en tout cas, le même genre de patients y stationnent, quoiqu’un peu moins hagards et braillards. Ils sont une bonne dizaine, j’espère me glisser entre deux rendez-vous, ça sera vite fait. Je jette un œil à la ronde, mais je ne reconnais personne. Tant mieux dans un sens, ça m’évitera de me répandre en explications sur la raison de ma venue… Je m’assois, je déplie mes jambes, je prends un magazine qui git sur la table, c’est un « Voici » ; ça fera l’affaire, du reste il n’y a que ça ; des années de ragots attendent d’être lus et relus, le mien date d’il y a plusieurs mois. Je me plonge avec délectation dans un article vantant les talents d’organisatrice de Brigitte Macron, notre First Lady. Bon, ce n’est pas très passionnant, je ne lis pas plus de la moitié avant de passer à la page suivante. Je reluque ma montre, dix minutes seulement se sont écoulées depuis que je me suis installé, ça promet !

Soudain, la porte du cabinet s’ouvre et je vois une jeune femme en blouse blanche qui s’avance vers nous.

-          Personne suivante ?

Une vieille dame se lève, aidée par son mari, je présume : bon, ça en fait deux de moins. La jeune femme en blouse blanche revient au bout de trente minutes, j’hésite à l’interpeler, puis je me lance.

-          Vous êtes la personne suivante ?

-          Euh, non ! mais je dois voir le médecin entre deux rendez-vous. Vous savez vers quelle heure ça sera possible ?

-          Si vous n’avez pas de rendez-vous, il faut vous enregistrer auprès du secrétariat.

-          C’est fait !

-          Alors, il faut attendre, le docteur est complet pour la journée.

La jeune femme qui me semblait si sympathique il y a quelques secondes, me parait bien revêche tout d’un coup.

Un vieux monsieur me demande pardon, il veut passer rejoindre le cabinet avec la secrétaire. Je les laisse passer volontiers et je retourne m’assoir. Tout le monde me regarde bizarrement. Je crois qu’ils ont cru que je voulais passer devant eux, les gruger quoi. Je souris autant que je peux, je ne voudrais pas me faire lyncher non plus.

Ça fait déjà une heure que je suis là, je crois que je suis bien parti pour réitérer l’exploit de la dernière fois, sans pour autant vouloir battre mon record d’attente… D’autres personnes arrivent et s’installent tranquillement, je souris à la volée, puis je remarque une silhouette qui me rappelle quelque chose. Mais oui, c’est mon « Bidule », enfin, je veux dire Jeff, alias Jean-François. Il n’a pas changé depuis deux semaines : toujours aussi grand, ses Ray-Ban vissées sur le nez, ses écouteurs dans les oreilles, le portable à la main, en survêtement Adidas. Je lui fais signe de la main, il me reconnait aussi, je suis content de le revoir.

Il vient vers moi, il me tend la main pour me saluer.

-          Alors, ça va ? Pardon, si vous êtes là, c’est que ça ne va pas trop, hein ?

-          Juste un petit souci de rien du tout. J’ai juste besoin d’information plus que de soins, vous voyez.

J’essaie de noyer le poisson comme je peux.

-          Et vous, alors ?

-          Ben, ça ne va pas trop ! J’ai déconné, je me suis remis à fumer, pas beaucoup, une ou deux clopes par-ci par-là, mais j’ai fait un malaise et j’ai failli y rester. Le docteur me suit de près avec un nouveau traitement. J’ai plus le droit à l’erreur, maintenant. Il m’a prévenu : si je recommence je suis mort !

J’enregistre la nouvelle : moi aussi je suis prévenu. J’avale presque mécaniquement une pastille mentholée anti-tabac, comme si ça pouvait me sauver…

-          Si je peux vous donner un conseil : respectez bien les consignes du docteur, parce qu’on a qu’une seule vie. Moi, j’ai déconné, ça va être dur, maintenant. Je ne sais pas comment je vais faire pour arrêter de fumer définitivement. J’suis dans la merde, là.

Jeff me dit ça d’un air triste, mais en même temps, il a toujours ses Ray-Ban sur le nez qui lui donnent l’air d’être une star en représentation, comme s’il m’accordait une interview. J’affiche ma surprise, j’ai de l’empathie mais je ne compatis pas... Je me risque à lui poser discrètement une petite question.

-          Vous avez rendez-vous ?

-          Ah, oui ! Bien sûr ! Pas vous ?

-          Euh ! A vrai dire, je dois passer entre deux, mais je ne sais pas quand !

-          Ben, bon courage, alors !

La porte du cabinet s’ouvre et la secrétaire apparait :

-          Personne suivante ?

Mon « Bidule », je veux dire Jeff se lève, me fait un clin d’œil amical, puis s’en va avec la jeune femme. Je me sens abandonné à mon sort tout d’un coup. J’aurais bien voulu qu’il me laisse passer. Après tout, je suis un ancien camarade de chambrée. Vraiment, les gens n’ont aucune reconnaissance, on est si peu de chose, en fin de compte…

-          Mais non ! Ne vous en faites pas, André. Votre tour viendra, mais je vous avais prévenu que la journée serait longue, n’est-ce pas ?

Je mets instinctivement ma main devant la bouche pour ne pas répondre, je dois avoir l’air d’un fou. C’est Josiane, je l’entends même en plein jour, maintenant. Je me lève, je fais mine de chercher les toilettes, il faut que je sorte quelques instants.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

Crédit photo - Didier Kalionian "Soleil Couchant" Instagram (c) 2020

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