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Didier K. Expérience
26 février 2023

Enfin l'Eden - E.26/35

Enfin L'Eden 2

Suisse : Lugano. Aéroport international de Zurich, juillet 1996.

   Si les choses semblaient bien se passer, le fait de devoir rester une journée de plus dans cette ville ne l’enchantait pas plus que ça, il aurait préféré rejoindre Zurich au plus tôt. A Zurich, il faudrait qu’il contacte la seule personne qu’il connaissait : Jean Berger, son homologue des services suisses qui l’avait « vendu » aux Libyens. Même si l’homme n’était plus digne de confiance, De Klerk avait encore besoin de lui. Cette vérification des numéros de série justifierait la provenance des fonds : il fallait juste espérer que le gouvernement pré-Mandela n’avait pas sorti cet argent d’un quelconque trafic.

La ville de Lugano ne manquait pas d’hôtels, et les touristes argentés y étaient plus que choyés. A priori, comme il n’avait pas de problème de ce côté-là, De Klerk choisit de loger dans l’un des plus chics, l’hôtel Prince Park and Suite.

Cet élégant hôtel possédait également une galerie marchande, parfaite pour se faire une nouvelle garde-robe. Plusieurs costumes, des chaussures, des chemises, la panoplie d’un remarquable gentleman en vacances en Suisse. Lui qui d’ordinaire méprisait la langue anglaise, retrouva un accent british qu’il avait pourtant enfoui sous des tonnes de haine. En Libye, il ne s’était exprimé qu’en anglais, mais il n’avait fait aucun effort pour se faire comprendre. Là, il arrondissait les angles, il gommait son fort accent afrikaner, la métamorphose était en train de s’opérer.

Il n’avait pas l’âme d’un touriste, ni l’envie de découvrir cette ville qui offrait pourtant tout ce qu’un homme pouvait désirer en termes d’amusement : il se contenta de dîner à l’hôtel et d’aller se coucher ensuite. Cet argent qui dormait depuis plus de deux ans était son sésame pour une nouvelle vie, il ne faudrait pas qu’il disparaisse ou qu’un empêchement remette tout en cause. Ce n’était pas encore une obsession, mais ça occupait son esprit plus que de raison. Qui ne serait pas préoccupé par sept millions de dollars US ? C’était un cadeau du ciel, Dieu le suivait et le protégeait, pensa-t-il. Il se coucha, épuisé par cette journée…

Le lendemain matin, toujours désœuvré, et alors qu’il s’apprêtait à déjeuner dans la salle du restaurant, un des réceptionnistes vint le voir.

-          Monsieur De Klerk ? Une personne s’est présentée ce matin et a demandé à vous rencontrer.

-          Qui donc ?

-          Il n’a pas voulu laisser son nom, mais il reviendra dans le courant de la journée.

-          A quoi ressemble-t-il ? Avez-vous vu ses yeux ?

-          Ses yeux ? Ma foi, non ! Il portait des lunettes noires. Sinon, c’est un homme bien bâti, ça c’est sûr. Bien mis, allure sportive.

-          Merci bien.

Voilà qui n’était pas banal. Qui pouvait bien vouloir le rencontrer ? Qui savait, à part ce monsieur Gallo d’UBS, qu’il se trouvait en Suisse et dans cette ville ? Cette personne avait demandé à le voir et avait même dit qu’elle reviendrait ce jour : elle ne se cachait même pas. Curieux.

Donc, non seulement, il était repéré, mais il était suivi à la trace. Ça ne pouvait pas être l’employé d’UBS puisque De Klerk n’avait pas encore communiqué où il était descendu ni le numéro de téléphone de sa chambre. Non, c’était quelqu’un d’autre… Abdulayev avait les yeux bridés, c’était un indice facilement repérable, mais il portait peut-être des lunettes noires pour les camoufler, justement. Cependant, le fait que cet inconnu se montre aussi aisément, ne lui donnait pas beaucoup de choix : soit il le fuirait, soit il le rencontrerait.

Bernaard De Klerk n’avait pas fait tout ce chemin pour s’enfuir, donc il le rencontrerait. Mais avant, il fallait qu’il obtienne des informations sur le travail de vérification. Il appela la banque depuis une cabine téléphonique située à l’entrée de l’hôtel. L’appel s’avéra concluant, la vérification avait été plus rapide que prévue et elle confirmait bien la provenance des fonds, ce n’était pas de l’argent blanchi et les liasses venaient même d’un prêt initial du FMI. Donc, tout allait bien de ce côté-là. Gallo avait fait une demande de carte Visa Gold et d’un chéquier. Malheureusement, tout ne serait à disposition que dans une semaine, mais il pourrait les recevoir à son adresse à Johannesburg s’il le désirait. De Klerk ne statua pas encore pour cette dernière disposition.

Quand l’Afrique du Sud était sous embargo international à l’époque de l’apartheid, le pays en avait durement souffert, et son seul moyen pour survivre avait été d’emprunter de l’argent au FMI. Plusieurs milliards de dollars US avaient transité du FMI vers la banque centrale d’Afrique du Sud pour payer les milliers de fonctionnaires de l’Etat, et accessoirement les programmes militaires. Le nouveau gouvernement de Nelson Mandela avait aussi hérité de la dette colossale créée par les divers gouvernements blancs : les noirs avaient acquis la liberté et l’égalité, mais aussi une dette dont ils n’étaient pas responsables à rembourser. Tel est pris qui croyait prendre.

En attendant de savoir qui était le mystérieux suiveur, il lui fallait se protéger. Puisqu’il était toujours dans la cabine, De Klerk sortit un bottin et y chercha une armurerie. Il ne pouvait pas décemment recevoir ce nouvel invité sans arme. Il nota l’adresse puis se dirigea vers le parking pour y prendre sa voiture…

L’armurerie se trouvait un peu à l’écart de la ville, un bâtiment plutôt banal, très discret : Guns Blockhaus offrait tout ce qu’un chasseur ou un guerrier avait envie de posséder, de la canne à pêche au bazooka. Bernaard De Klerk savait exactement ce qu’il voulait : un Glock 17. Pistolet semi-automatique de fabrication autrichienne, neuf coups, et en polymère, cette matière proche du plastique qui le rendait très léger, maniable, inusable et surtout indétectable. De Klerk connaissait très bien cette arme puisqu’elle équipait les officiers de l’armée sud-africaine. Il acheta le révolver, une boite de cinquante cartouches, et un holster pour l’avoir sous le bras en toute sécurité. Bien entendu, il n’avait pas d’autorisation suisse pour l’acquérir, mais son attestation de détention d’armes de militaire sud-africain fit l’affaire. Le nom sur son passeport et sur l’attestation étaient bien les mêmes, donc pas d’embrouille, il achetait ce revolver officiellement.

Un fois son achat réglé, il décida de rentrer à l’hôtel. Puisqu’un homme le cherchait, pas la peine de le faire attendre, autant l’accueillir dans sa chambre.

De Klerk s’assura que son arme était bien chargée, avant de s’installer sur son lit. Il alluma la télévision, joua plusieurs fois avec la télécommande, faisant défiler les chaines, ne s’arrêtant que sur les talk-shows ou les émissions de variétés. Puis, presque comme prévu, le téléphone sonna :

-          Monsieur De Klerk, une personne est à la réception et désire vous voir.

-          Qu’elle monte ! Merci.

Le suspens ne durerait plus longtemps.

On frappa à la porte de sa chambre.

-          Entrez ! c’est ouvert, annonça-t-il en français.

De Klerk attendait debout, l’arme au poing, prêt à faire feu sur ce suiveur inconnu.

L’homme apparut et ne fut pas plus surpris que ça de cet accueil. Toutefois, il leva les mains en l’air. De Klerk reconnut de suite sa silhouette.

-          Berger ?

-          Je viens en paix. Tranquillise-toi ! Je peux baisser les mains ?

-          Non ! Ecarte ton blouson.

Berger ouvrit les pans de sa veste, laissant apparaitre un holster. De Klerk s’approcha et lui prit son arme, puis recula jusqu’au lit.

-          Maintenant, tu peux baisser les mains. Et tu ne bouges pas de là.

De Klerk le tenait toujours en joue.

-          Que me vaut cette visite impromptue ?

-          Un coup de fil de ton ami Abdulayev. Il est en route pour Lugano, il vient te chercher pour te ramener à la maison à Tripoli.

-          Et comme tu travailles en sous-marin pour l’Isthikbarat, c’est toi qu’il a prévenu.

Berger acquiesça.

-          En fait, je viens te prévenir aussi. C’est pour cette raison que je ne me cache pas. Comme on est amis…

-          Ex-amis !

-          Comme tu voudras… donc, je suis venu te dire que tu avais Abdulayev à tes basques. Je sais très bien que vous avez quitté la Libye tous les deux. Mais al-Senoussi est prêt à pardonner à Abdulayev, si celui-ci te ramène au bercail. J’ai eu la confirmation par al-Senoussi, lui-même.

-          Et tu crois que je vais retourner en Libye ? J’aurais dû écouter Haffner au lieu de te faire confiance.

-          Tu connais des secrets, ils ne te lâcheront pas.

-          Tu parles ! Leurs armes secrètes sont toutes bidons. C’est ça qu’ils ont peur que je révèle ? Que rien ne fonctionne, que leurs ogives sont vides, que ce pays est en ruine, que Kadhafi est fou ? Qu’est-ce que je pourrais bien révéler au monde qu’il ne sache déjà !

De Klerk baissa son arme et se détendit un peu, mais Berger dut rester à une distance raisonnable.

-          Je vais te dire : je comptais te contacter, ajouta De Klerk, mais je ne pensais pas te voir aussi vite. Après tout, tant mieux.

-          Ah oui ?

-          Oui ! Tes amis de l’Isthikbarat m’ont aussi fait des révélations sur toi. Tu ne travailles pas seulement pour les services suisses et libyens, mais aussi pour la CIA. Tes amis à Zurich sont-ils au courant ? S’ils ne le savent pas, je peux arranger ça. Et au niveau fédéral, ils connaissent ton triple jeu ?

Berger fit une moue dubitative, toujours calme. De Klerk embraya :

-          Je t’ai dit que je voulais te contacter, c’est pour une bonne raison. Je veux rentrer chez moi en Afrique du Sud, et le seul moyen d’y parvenir en entier, c’est par l’intermédiaire de la CIA, justement. Donc, je souhaiterais que tu me livres aux Américains plutôt qu’aux Libyens.

Berger serra les mâchoires, ses zygomatiques semblaient contractés au maximum de son énervement.

-          Si je te livre aux Américains, j’aurai les Libyens sur le dos, ça ne m’enchante pas des masses.

-          C’est ton problème. C’est ce que tu me dois pour les deux ans passés avec ces dingues. Après on sera quitte, c’est tout ce que je te demande… Au fait, j’ai découvert le vrai job d’Abdulayev au sein de l’ex KGB, c’était un tueur. Donc, je ne crois pas qu’il me cherche pour me ramener, mais plutôt pour me liquider. C’est logique et largement plus simple, tu ne crois pas ?

-          D’accord, j’ai compris : je m’occuperai d’Abdulayev. Ensuite, je te livrerai à la police suisse, qui se débrouillera pour remonter jusqu’à la CIA.

-          Voilà, tu vois quand tu veux trouver des solutions pérennes, tu y arrives.

De Klerk avait toujours son arme au poing, obligeant Berger à respecter la distance d’éloignement.

-          Quel serait ton plan ?

Berger lui proposa un début de projet. Une chose était sûre, Bernaard De Klerk serait attendu dès le lendemain à l’aéroport de Zurich. Tout se finaliserait là-bas…

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2023

Credit photo : Didier Kalionian (c) 2023

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Didier K. Expérience
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