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Didier K. Expérience
2 décembre 2022

Le Retour de Virgule - Les Circumpolaires 2. E.8/35

Le Retour de Virgule

En sortant de l’appart, je croisai notre voisine, la tante de l’effarouché du quatrième, qui rentrait des courses. Étant donné l’étroitesse du palier, impossible de s’éviter malheureusement. Je lui adressai un bonjour du bout des lèvres, histoire de pacifier la zone. Quand on veut faire la paix, il faut bien que quelqu’un fasse le premier pas, sinon comment s’en sortirait-on ? Karl y était bien arrivé, alors pourquoi pas moi, hein ? Grâce à Marie-Micheline, je pus mesurer mon taux de naïveté, qui restait assez élevé ma foi, puisqu’elle ne répondit pas à mes salutations, mais engagea la conversation quand même.

-          Je sais que vous avez reçu machin chose, je ne vous félicite pas. Décidément, vous avez bien tous le même genre. J’espère que le petit Karl va bien, lui au moins, c’est quelqu’un de valable et de gentil. De toute façon, de nos jours, y a plus de vrais hommes, mais que des lavettes !

Elle tourna les talons d’un coup, ouvrit sa porte sans attendre ma réponse et referma. De toute façon, je ne savais que répondre. J’étais dépité, mais sa réaction était une option hautement prévisible. Le genre humain est ainsi fait : rien ne fonctionne avec certains et avec elle, c’était une certitude. Cependant, elle s’était choisie un favori. Qui aurait pu croire ça ? Alors, qui se ressemblait, s’assemblait-il vraiment ? Ou était-ce une tentative pour nous diviser ? Dans un sens, j’étais soulagé que ce ne soit pas moi, c’était quand même un sacré numéro, elle me rappelait la sorcière dans Blanche-Neige. Elle avait dû nous épier par le judas pour savoir que Julien était venu. Elle devait même occuper ses journées à regarder qui venait chez nous. Avec le va et vient des clients de Karl les semaines passées, elle avait dû rester bloquée derrière sa porte, l’œil collé un bon bout de temps. Le syndrome du monocle la guettait, je l’imaginais bien avec un œil plus développé que l’autre à force de nous observer.

Je soupirai quand même, puis verrouillai ma porte et descendis l’escalier, mes sacs sur le dos.

Je remontais le quartier St Roch tranquillement, dépassais le St Roch Café, où les pochetrons finissaient ou commençaient leur journée, un sacrosaint Pastis ou une pinte à la main, déambulant et vociférant dans tous les sens, plus ou moins sur le périmètre de la terrasse, me donnant envie de vomir le jus qui me restait dans l’estomac. Ambiance du samedi matin dans le Sud. Le dimanche, c’était pire. Cependant, ceux-là ne faisaient jamais parti de mes réflexions très longtemps, je les évacuais aussi vite qu’aperçus.

Au Gym-Up, c’était une tout autre ambiance, dès la porte d’entrée franchie, le beat latino de la sono martelait le pas à suivre : zumba pour tous dans la grande salle, le samedi matin. J’allai me changer vite fait dans les vestiaires réservés aux personnels. Joël était au comptoir distribuant ou récupérant des clés, échangeant des banalités, sourire charmeur, qu’importent l’âge et le sexe de ceux qui venaient. Joël était une machine à sourire, ses zygomatiques pouvaient rester bloqués des heures sans débander, toujours d’une amabilité à toute épreuve : de par cet aspect, il m’impressionnait et je copiais ses façons de faire. Gym-Up, c’était une autre planète. Ici, on ne vendait pas que du muscle, mais également une bonne humeur aseptisée qui soulageait les égos même les plus retors, ici les problèmes du monde n’existaient plus. Bon, en fait, si un peu quand même.

-          Salut Alex ! Va falloir que tu me donnes un coup de main. Dès que le cours de zumba est terminé, faudra ranger la salle, coup de balai, et préparer le cours de gym suivant : tapis de sol, sangles, ballons etc. Okay partner ?

Je dodelinai.

-          Ah aussi ! Lucas est dans la salle de muscu. Je ne sais pas si tu as eu le temps de lui parler, mais il est là-bas… Tu te rends compte, il m’a ignoré ce matin, cet enfoiré. Putain, j’ai envie de l’écraser contre le mur. Je ne sais pas ce qui me retient…

-          Je m’en occupe, mais laisse-moi faire surtout. Et ne me suis pas. Ne me mets pas la pression, s’il te plait.

Lui aussi dodelinait, mais plutôt d’énervement. Les plaques tectoniques étaient déjà en mouvement et n’allaient pas tarder à s’entrechoquer si personne ne s’interposait pas ni intercédait. Fallait vraiment qu’il soit amoureux pour qu’il réagisse comme ça, du jamais vu depuis que je le connaissais.

-          Tu termines ton service à quelle heure ?

-          Je suis là jusqu’à 22h.

Je pensais qu’il partirait plus tôt, ce qui ne me laissait pas vraiment le choix pour une intervention pesée et mesurée. Tant pis, j’improviserais, je verrais bien.

Dès que nous eûmes terminé d’organiser la salle pour le cours suivant, Joël retourna au comptoir pour accueillir les clients qui arrivaient ou partaient. Moi je filai en douce jusqu’à la salle de muscu qui était encore pleine à cette heure-ci. J’aperçus Lucas, assis sur un banc, manipulant des poids.

Je papillonnai discrètement de poste en poste, distribuant des conseils à ceux qui en avaient besoin tout en gardant un œil sur celui qui m’intéressait. Il me fallut une bonne dizaine de minutes pour arriver au niveau de Lucas.

-          Hey Lucas ! Comment vas-tu ? Je ne t’avais pas vu, dis-je faussement.

Lucas reposa ses poids, et se leva sans entrain pour me faire la bise, plus par habitude que par envie, dirait-on. Cependant, je ne ressentis pas d’animosité particulière, même s’il se doutait sûrement que j’avais parlé avec son mec et qu’il faisait partie des sujets de conversation du jour. Bref, le petit malin jouait le jeu. Vu comme il manipulait Joël, valait mieux ne pas le sous-estimer… Je trouvai mon angle d’attaque lorsque je le vis se rassoir sur le banc, prêt à reprendre les poids. Un éclair de génie me traversa, sans toutefois me faire trop mal : fallait que j’improvise et sans le vouloir, Lucas me tendait une perche que même un aveugle n’aurait pu rater.

-          Si je peux me permettre un conseil. Tu ne te tiens pas comme il faut pour porter tes poids, et tu es mal installé. Si tu continues comme ça tu risques de te faire mal.

-          Comment ça ? répondit-il intrigué. Je fais pourtant comme d’habitude.

-          Je ne sais pas qui t’a conseillé, mais ce n’est pas bon.

-          Bah, c’est Joël.

Voilà, le piège n’était même pas masqué, pas la peine de renchérir ou j’allais m’enfoncer dans des sables mouvants.

-          Ecarte un peu plus les jambes, ton dos doit être bien droit, le fessier bien à plat pour une meilleure assise. Tu auras plus de force comme ça.

Lucas obtempéra de suite, il m’écoutait donc. Cependant sa posture sur le banc ne convenait toujours pas. Je surjouais un peu pour tenter de l’amadouer car d’ordinaire on ne discutait pas tous les deux, Joël n’étant jamais très loin. Or, cette fois-ci, j’étais dans mon rôle, je pouvais lui donner un vrai conseil qui masquerait sans problème la vraie raison de ma présence.

-          Laisse-moi ta place, s’il te plait, je vais te montrer.

Je me calai bien droit sur le banc, pris un poids et lui montrai comment actionner pour faire gonfler ses biceps. Je savais qu’il était assidu et qu’il s’entrainait sérieusement, il me regarda fixement.

-          Okay ! Je crois que j’ai compris, dit-il

Je lui laissai la place, mais quand il prit le poids en main, il n’était déjà plus dans la posture.

-          Non ! Je vais te remontrer. Redonne-moi la place.

Je m’installai de nouveau, mais cette fois-ci, je lui demandai de venir se caser juste devant moi sur le banc, je guiderais son bras et replacerais Lucas correctement sur le siège. Je le manipulerais comme un automate plusieurs fois. Cependant, en nous mirant dans le miroir mural, je m’aperçus qu’il était aussi entre mes cuisses. Situation délicate. Cette vision me rendit bizarre. Sentir son fessier rebondi contre moi, me donna une suée à laquelle je ne m’attendais pas. Tout d’un coup, son odeur corporelle m’envahit, sa sueur m’enivra, je n’avais plus envie de bouger. Il y avait pourtant du monde dans la salle, mais j’eus la nette impression qu’on n’était plus que tous les deux. La Terre s’était arrêtée de tourner juste pour nous, comme si on était tombés dans une faille spatio-temporelle. Lucas me tournant toujours le dos, je m’approchai doucement, fermai les yeux et reniflai sa nuque et ses cheveux en sueur, ces effluves m’affolèrent aussitôt. Merde, il fallait arrêter ça tout de suite car si Joël se pointait, je serais dans de sales draps. Et si Lucas faisait un scandale, je serais viré sur le champ… Mes jambes flageolèrent légèrement quand je voulus me dégager, mais Lucas se retourna vers moi, les yeux baissés, me mit la main sur le bras droit, m’incitant à continuer la démonstration. Cependant, il fallait que je me lève car dans cette position, avec son fessier et ses deux miches collées à mon paquet, je ne tarderais plus à avoir une érection, ce qui serait alors sans équivoque possible, surtout que je portais un short en nylon.

Lucas se leva finalement, me libérant le passage. Je soufflai, et il me sembla que l’horloge s’était remise à tourner. Cette scène n’avait probablement duré que cinq minutes, mais elle m’avait semblé interminable. Je jetai un œil furtif aux alentours : personne ne paraissait nous observer, tous restaient concentrés sur leurs agrès.

Debout, Lucas me fit face, balbutiant quelques mots rendus presque inaudibles par la musique d’ambiance et le bruit des machines.

-          Merci Alex, c’était très intéressant.

-          Ah, euh, oui ! A ton service, bien sûr.

J’avais envie de m’excuser, mais les mots ne sortirent pas… Merde ! Ça ressemblait furieusement à un coup de foudre ou je n’y connaissais plus rien. Lui me fixait toujours, les joues rougies par un soudain coup de chaud. Moi, la sueur finissait de couler le long de ma colonne vertébrale.

En temps normal, j’aurais foncé pour le draguer, mais là ce n’était pas possible : c’était quand même le petit-copain de mon meilleur ami. Reviens sur Terre, Alex !

-          Moi j’ai terminé, dit-il calmement. Je vais à la douche. C’était très bien ta démo, mais s’il te plait, n’en parle pas à Joël.

-          Oui, bien sûr. Je… je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Ça ne m’arrive jamais. Désolé.

-          Ne sois pas désolé. Il n’y a rien de mal. Je t’assure, c’était très bien.

Lucas me quitta prestement, me laissant ranger ses poids et le banc.

Bon, fallait que je retourne au comptoir retrouver Joël maintenant. Cependant, j’étais encore tout retourné par cette expérience car soit il m’avait envouté, soit il m’avait gravement tapé dans l’œil. En tout cas, j’avais l’air épuisé quand je sortis de la salle, quasiment à deux de tension.

-          Bah, alors ! Qu’est-ce que tu foutais ? Faut que tu ailles à la buanderie, Isabelle t’attend pour plier et ranger les serviettes. Allez, go !

J’acquiesçai sans répondre. Mais Joël me regarda bizarrement. Nous avait-il vus dans la salle de muscu ? Bon, je n’étais coupable de rien, mais c’était tout comme…

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2022

Credit photo : "L'Homme au Chien Nu" - Denis Kister (c) 2022

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