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Didier K. Expérience
30 novembre 2022

Le Retour de Virgule - Les Circumpolaires 2. E.6/35

Le Retour de Virgule

J’étais rentré sur les coups de 20h comme prévu, et avais déposé mon sac de sport dans ma chambre. Je m’avançais lentement dans l’appartement. Karl s’affairait dans le salon pour dresser la table basse : bols de chips, saucissons, olives vertes et noires, etc. Impeccablement coiffé, (sa mèche gominée comme James Dean lui allait à merveille), jeans et débardeur moulant, allure élancée, on aurait dit un twink* dans un porno américain. Karl avait fait un effort pour être le plus séduisant possible même après sa journée de boulot : c’était réussi, il m’impressionnerait presque.

Novembre à Montpellier ne ressemblait pas à la Sibérie, mais ce n’était plus les grandes chaleurs ; l’automne était doux ici, mais c’était aussi l’automne et le soir il faisait carrément froid. Enfin, moi j’avais froid ! Mais le débardeur moulant rendait visibles ses tatouages et le mettait en valeur, bien sûr. Je n’aurais pas fait comme ça, mais je n’avais aucun conseil à lui prodiguer : ce soir, c’était Karl le MC**.

Moi je restais en tenue de sport, décontracté : c’était un apéro, pas encore une cérémonie de mariage, et je n’avais rien à gagner ni à perdre, donc cool. Je m’assis tranquillement dans le sofa, attendant la suite des évènements, pendant que Karl faisait des allers et retours en mode pressé de la cuisine au salon.

En observant plus attentivement le look de mon coloc, je m’aperçus qu’il avait le paquet au niveau de la braguette un peu trop proéminent.

-          Il est trop serré ton pantalon ou quoi ? T’as le canon moulé. Ça se voit, ce n’est pas très élégant.

-          Ah ! Laisse tomber, ce n’est rien !

Karl continuait d’installer son décor en passant et repassant devant moi, la braguette gonflée.

-          Karl ! Franchement, c’est gênant. T’as pris du Viagra ou quoi ?

-          Mais nan ! J’ai mis un cockring, c’est tout.

-          Tu portes un cockring sous ton pantalon pour faire un apéro ? T’as craqué ou quoi ?

-          Mais nan, Alex ! C’est pour impressionner l’autre, tout à l’heure. Peut-être qu’il y aura moyen de moyenner, tu vois ! T’inquiète, j’ai l’habitude.

Ouais, je voyais surtout qu’il tirait déjà des plans sur la comète. Ça commençait mal. Okay, il n’avait plus le temps de draguer, mais là on frôlait le vulgaire ou le ridicule, voire les deux à la fois. C’était tellement gros, (au sens propre comme au figuré), que l’autre ne mettrait sûrement pas longtemps pour s’apercevoir qu’il y avait un problème. Cependant, je ne voulais pas intervenir plus que ça, c’était sa stratégie.

Même si Karl n’avait jamais besoin de forcer son talent sur les applis, car les mecs tombaient comme des mouches, je n’avais encore jamais pu constater de visu ses talents de dragueur invétéré. Décidément, il avait engagé les grandes manœuvres, et quelle mise en scène !

Enfin, on frappa à la porte. Pas de doute, c’était notre hôte, qui arrivait à l’heure en plus. Mais Karl ne bougea pas, me lançant un regard. D’accord ! Je me dévouai pour aller ouvrir.

Un jeune homme assez frêle me fit face, sourire aux lèvres, tenant une bouteille dans les mains, mais toujours en survêtement. Je le laissai rentrer en m’écartant du chambranle. Je le suivis, Karl se tenait debout dans le salon, prêt à l’accueillir comme il se doit. Claquage de bises rituel, échange d’amabilités.

-          Moi, c’est Karl !

-          Alex !

On attendait avec impatience qu’il décline enfin son identité.

-          Moi, c’est Julien.

Sa voix était encore bien jeune et bien claire. Pas beaucoup de testostérones dans ce corps, dirait-on. Ce Julien était sans équivoque un « client » pour Karl. Je servirais de chaperon, mais pas de porteur de bougies, fallait pas exagérer.

On s’asseya tous les trois en même temps, dans un mimétisme presque religieux.

-          Merci pour la bouteille de rosé. On va la goûter, enchaina Karl.

Du coup, je me levai pour récupérer les glaçons, Karl jouant au pacha, maintenant. J’en profitai pour ramener le Pastis ainsi que les verres-tubes.

-          Et les verres à vin ? Merci Alex !

-          Hey ! Je te rappelle que je suis ton coloc, pas ta boniche, mon chéri, dis-je tout souriant.

Julien s’esclaffa, ce qui fit rire Karl, même si ses pommettes trahissaient un léger rougissement.

-          C’est cool votre coloc ! je vois que ça se passe bien.

-          Et toi avec ta mère, ça va ? coupa Karl.

-          Oui très bien. Je m’entends très bien avec ma mère. Ce n’est pas tout à fait la même chose avec ma tante qui habite votre palier.

Karl et moi, nous nous regardâmes en même temps, étonnés.

-          Tu veux dire que Marie-Micheline, c’est ta tante ? dis-je.

-          Je vois que vous avez fait les présentations. Ça se passe bien avec vous ?

-          Karl est son coiffeur, dis-je triomphalement.

-          Ah okay ! Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais il n’y a pas plus homophobe qu’elle. Elle ne m’adresse plus la parole depuis que… Depuis que j’ai fait mon coming-out.

Quelle tristesse ! Ça existe encore des gens comme ça ? pensai-je. Evidemment, qu’on avait remarqué, mais pas la peine de s’étendre sur le sujet. On avait sûrement tous vécu ce genre de chose dans nos familles respectives.

-          Ma mère, qui est aussi sa sœur, ne s’entend pas non plus avec elle. On dirait qu’elles n’ont jamais vécu ensemble tellement elles sont différentes, dit-il gravement.

Tout d’un coup, l’air devint lourd, poisseux ; il fallait sortir tout de suite de cette conversation au risque de plomber la soirée. J’embrayai.

-          Et que fais-tu dans la vie ?

-          Je suis en train de passer un diplôme de psychologie dans une école spécialisée à Nîmes.

Je vis clairement Karl ravaler sa langue. Le terrain semblait se dérober sous ses pieds. Lui qui avait autant de culture qu’un brontosaure, allait sûrement se surpasser. Moi je souriais de la difficulté soudaine. Comment allait-il s’en sortir ? J’avais hâte de la suite.

Karl remua sur son siège, comme s’il n’était plus à son aise.

-          Tu as mal quelque part ? dis-je goguenard.

-          Faut que j’aille aux toilettes, je reviens.

Son cockring devait vraiment lui serrer les couilles (là aussi, au sens propre comme au figuré). Il n’avait pas pensé qu’un psychologue en goguette allait débarquer chez lui. Tout son plan était en train de foirer…

Julien et moi restâmes silencieux le temps de l’absence de Karl. J’en profitai pour le servir en vin, l’alcool déliant les langues, du moins je l’espérais.

Karl revint dans le salon quelques minutes plus tard, soulagé. J’avais envie de rire, mais je me retins. Je ne pouvais pas me moquer, alors qu’on frôlait la cata.

Julien nous délivra de l’impasse.

-          Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas passer la soirée à vous analyser. Je sais me détendre aussi. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai accepté votre invitation, pour me changer les idées. Et puis j’ai envie de vous connaitre. Ce n’est pas tous les jours qu’on découvre qu’on a des voisins gays. Et qui en plus, ont su apprivoiser la mégère du cinquième car il faut bien le dire, ma folle de tante est une mégère.

Karl attrapa son tel, le mit en Bluetooth et la musique jaillit de la station sonore posée sur ce qui avait été la cheminée. Voilà qui allait combler les trous, quoique…

-          Tu es sûr pour Mylène Farmer ? dis-je surpris.

-          Moi je l’adore. C’est cool, répondit Julien.

Karl sembla se remplumer subitement : tout n’était pas perdu. Je le vis se détendre comme le petit macho qu’il était en train de redevenir. La princesse barbue montrait ses muscles. Parfois, il m’épatait.

-          Et vous deux, vous êtes juste colocataires ou il y a plus entre vous ?

-          Euh ! On est coloc et c’est déjà pas mal, survins-je, coupant l’herbe sous le pied de Karl.

-          Mais on s’entend super bien. On est des potes, c’est trop cool, tu vois.

-          Ouais, c’est ça, des potes, murmurai-je.

Mylène Farmer nous assenait ses meilleurs titres dance pendant que Julien nous racontait sa vie. Moi j’avais envie de m’envoler sur une autre planète. Ils dialogueraient tous les deux comme s’ils se connaissaient, mais Julien en mode posé et Karl en mode coincé. Moi je remplirais les verres et viderais la poubelle de table de temps en temps.

Cependant, sa question sur notre complicité supposée m’intriguait ; Julien était rentré dans le vif du sujet sans détour : déformation professionnelle sans aucun doute, il nous analysait. Mais comme je ne ressentis rien de mal, je supposai qu’il s’assurait qu’on n’était pas des fakes et bien des amis potentiels. Et puis, s’il avait des vues sur Karl, il avait besoin de savoir si la place était libre. Cette franchise arrangeait bien mes affaires finalement.

Julien avait vécu à Paris jusqu’à ce qu’il trouve une école spécialisée à Nîmes. Il était récemment revenu vivre à Montpellier chez sa mère parce que c’était gratuit et pratique, faisant l’aller et retour en TER, car seules trente petites minutes de transport séparaient les deux villes…

Karl écoutait, avait l’air sous le charme, mais prenait des poses de mec concerné qui n’avaient rien de naturel chez lui. Il ne répondait que succinctement, il se contrôlait, n’était pas sûr de lui quand même. Julien était peut-être timide, mais il m’ignorait totalement, ne me calculait pas, sauf pour me tendre son verre qu’il vidait plus souvent qu’à son tour. Sa gestuelle était très appuyée, ses mains virevoltaient en même temps que ses propos, il avait quelque chose de très féminin, surtout quand il remettait sa mèche en place. Karl semblait pétrifié mais suivait attentivement, je savais qu’il aimait ce genre-là, le gender fluid***.

J’observais nos deux protagonistes sans qu’ils se soucient vraiment de moi, je me sentais de trop. Karl en tirerait-il le bénéfice ? Cependant, si on était arrivé à rentrer en contact plus facilement que prévu, Karl n’avait franchi qu’une partie du chemin : il restait la partie qui les mènerait dans sa chambre. Et ces quelques mètres se transformaient souvent en un très long parcours du combattant.

*littéralement, un minet en anglais américain, mais là il s’agit du genre pour les films pornos.

**MC = Maître de cérémonie.

***Dont le genre oscille entre masculinité et féminité.

 

Didier Kalionian - DK Expérience (c) 2022

Credit photo : "L'Homme au Chien Nu" - Denis Kister (c) 2022

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