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Didier K. Expérience
5 octobre 2021

Les Circumpolaires E.34/34

Circumpolair

Quand je rentrai, une nouveauté signée Karl m’attendait : trois gars que je ne connaissais pas, étaient sagement assis sur le sofa. Que se passait-il encore ? Un plan cul à plusieurs ? J’entendis la voix de Karl provenant de la salle de bain : ben non, fausse alerte ! Il était tranquillement en train de couper les cheveux d’un quatrième.

-          Salut Alex, ça va ? T’es bronzé dis donc, c’était bien Sitges ?

-          Ouais, pas mal… Que font ces gens ici ?

-          Cool, ma biche, ne t’excite pas ! Je leur coupe les cheveux, c’est tout. Je te rassure, ce sont les derniers de la journée.

Je lui tendis la bouteille de Sangria.

-          Tiens ! Je t’ai ramené ça. C’est de la bonne et de la vraie.

-          Merci, ma biche ! C’est gentil d’avoir pensé à moi. On en boira un verre dès que j’aurai terminé.

Une bonne heure lui fut nécessaire pour venir à bout de tous ces clients. D’après ce que je voyais, il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour transformer l’appart en salon de coiffure clandestin.

-          En fait, depuis que tu es parti, j’ai modifié mon profil sur Grindr, j’ai ajouté que je faisais aussi des coupes pour 10€. Et ça a marché. Au lieu de faire des plans cul, je fais des plans coupe, pour le moment bien sûr. Dès que je ne serai plus dans la galère, j’arrêterai. Mais j’suis trop fort d’avoir pensé à ça ! Je dois dire que ça m’a ouvert des perspectives : pourquoi n’aurais-je pas mon propre salon ? Après tout, je suis un bon kuaffeur. En trois jours, je me suis fait grave de la thune.

-          Tu vas pouvoir me rembourser, alors ?

-          Euh… Pas tout de suite, ma biche. En fait, je me suis fait un cadeau. J’en ai profité pour me faire un tatouage. Je n’en avais pas, mais maintenant c’est fait.

Il dénuda son épaule gauche, et exhiba une jolie rose rouge large comme la main et entourée de quelques mots : « Only God Can Judge Me ». Le motif, ça allait, mais la phrase, en anglais, était totalement ridicule. En fait, rien n’avait changé en trois jours d’absence. Karl avait trouvé le moyen de gagner de l’argent et de le dépenser aussi sec. Il n’était pas près de quitter la galère ni ses rames pour sa propre boîte. C’est beau de rêver, parfois !

-          Alors, tu aimes ?

-          Ouais, terrible ! T’as raison, ça te manquait.

Bon, je ne m’attardai pas trop avec Karl, ça ne servait à rien de s’acharner avec lui et puis je n’avais pas envie de lui raconter mon week-end : moins on en dit, mieux c’est, hein ! Les réminiscences du voyage vinrent rappeler à mon corps qu’il fallait que j’aille au dodo, j’étais crevé …

Le lendemain matin, je me levai vers les 9h30, juste ce qu’il fallait pour éviter mon coloc. A cette heure-ci, Karl était déjà parti au boulot. Comme je ne travaillais plus, je pouvais m’offrir cette première grasse-mat’ et ensuite me préparer tranquillement pour aller à la salle me décrasser.

Le lundi, c’est toujours cool, c’est le jour des commerçants. Donc, on peut faire des connaissances et même trouver du travail. J’étais plutôt content de retrouver mes petites habitudes, et Gym-Up en faisait partie… Ce n’était pas Joël qui était au comptoir mais je savais qu’il serait là. Je jetai un œil discrètement à la salle des tapis de courses, des fois que Roberto serait là, mais non. En revanche, le petit Lucas pédalait comme une brute dans son coin, il me fit signe d’approcher.

-          Si tu cherches Joël, il est à la muscu, il discute avec un type super louche. Enfin, c’est bizarre, le mec a une tête de gangster de cité. Va voir, s’il te plait !

Avec qui Joël pouvait-il bien parler pour que ça surprenne à ce point Lucas ? Donc, par l’odeur alléchée - de la curiosité mal placée -, je me dirigeai vers la salle de muscu, où effectivement se trouvai Joël. Le mec avec qui il discutait était assez jeune, mais s’il avait l’air en forme, il ne semblait pas venu pour faire du sport, sauf si le jeans, la chemise et le blouson en cuir étaient la nouvelle norme pour travailler ses abdos. Je me pointai sans cérémonie, les interrompis bien sûr, fis la bise à mon pote, qui sembla un brin gêné, puis tendis ma main à l’autre qui ne la serra pas pour autant.

-          Alex ! me présentai-je. Tu vas bien ?

-          Tu ? Vous, s’il vous plait ! On se connait ? Je ne crois pas ! Moi je suis Jérôme Sanchez, SRPJ de Montpellier, répondit-il en me montrant son insigne.

-          Ah, okay ! Je ne savais pas. Enchanté monsieur !

-          Vous pouvez nous laisser une minute ? Merci, ajouta-t-il en me tournant le dos.

Joël me fit une grimace, me suppliant presque de déguerpir séance tenante. Du coup, je ravalai mes prétentions, j’avais même l’air un peu con, mais en m’éloignant j’eus quand même le temps d’entendre la dernière phrase prononcée par le flic : « je vous attends demain matin dans mon bureau, on sera mieux pour discuter ».

Je retournai voir Lucas, un peu surpris par ce que je venais de capter.

-          Alors, qu’est-ce que tu en penses ? Il est louche ce mec, non ?

-          Non, penses-tu ! Pas de soucis. Tranquillise-toi, tout va bien, répondis-je.

Puis le flic en civil quitta la salle d’un pas décidé sans plus prêter attention à son entourage. Joël revint vers nous. J’avais un million de questions à lui poser, mais valait mieux qu’il nous explique. Il n’y avait pas que Lucas qui avait flairé quelque chose de pas très net, sauf que lui n’y voyait sûrement qu’une banale rivalité entre mecs.

-          Alors, c’est qui ce type ? balança Lucas.

-          Ce n’est rien, mon cœur ! Un futur client.

Oh merde ! Donc, Lorenzo avait eu raison, Joël avait la police sur dos. Pire que tout, Joël n’avait pas été capable de nous dire que c’était juste un flic : pourquoi le cacher puisqu’il s’était présenté ? … Décidément, mon château de cartes continuait de s’écrouler.

Cependant, Lucas sembla loin d’être convaincu, ce qui présageait un futur orage dans leur récent petit couple, la jalousie n’étant jamais très loin du grand amour. Valait mieux les laisser entre eux… J’aimais bien Joël mais il était hors de question que ses problèmes viennent s’ajouter aux miens. Je repensai à ce que Lorenzo m’avait dit : dans notre entourage, Karl était une cible potentielle à balancer aux flics. Cependant, Karl n’était que du menu fretin qui ne risquait pas grand-chose en vérité. Quant à Lorenzo, il avait déjà discrètement disparu des radars. Donc Joël allait devoir lâcher du lourd ou c’est lui qui morflerait. Sale temps pour les mouches comme dirait l’autre !

-          Ah, au fait ! Le patron voudrait te voir dans son bureau. Il va te faire une proposition pour un mi-temps. Je lui ai dit que tu étais libre, et ça l’intéresserait de t’avoir dans l’équipe.

-          Génial ! Merci Joël. J’y vais de ce pas alors. Trop cool !

J’abandonnai le petit couple d’amoureux qui ne tarderait pas à s’engueuler dès que je ne serais plus dans les parages… Joël m’avait fait une bonne surprise, faudrait que je le remercie, mais cela vaudrait-il la crasse qu’il s’apprêtait à faire ? En tout cas, si ce flic s’était déplacé en personne dans le club, c’est que Joël devait se faire tirer l’oreille pour coopérer. Le flic m’avait montré son insigne, se dévoilant du même coup aux yeux de tous les autres clients, et risquant de compromettre son « indic ». C’était si vite fait de colporter des rumeurs tout en les déformant et en les amplifiant, surtout quand on ne connaissait ni les tenants ni les aboutissants. Cependant, ça n’avait pas trop l’air de le contrarier. Espérons qu’il savait ce qu’il faisait.

Mon entrevue avec le patron du Gym-Up se passa fort bien. J’étais embauché à mi-temps pour une durée de six mois, soit jusqu’à la fin de l’année. Je commencerais lundi prochain, ce qui me laisserait une bonne semaine de vacances pour souffler. Seul inconvénient : je ne serais pas en binôme avec Joël, donc on ne se verrait plus beaucoup pendant les six prochains mois. A y réfléchir, ce n’était plus un problème du tout.

Enfin une bonne nouvelle dans ce monde de fous ! Même si j’allais gagner encore moins qu’à la boutique de fringues, ce n’était pas grave, au moins j’aimerais ce que je ferais. Et puis, Pôle emploi complèterait sûrement mon salaire.

Comme je me sentais légèrement euphorique, j’eus envie de relancer Martial, mon prof de philo spécialiste en sucette foireuse : j’aimais toujours ses cent euros, le reste moins. Un petit texto s’imposait : « Cc Martial, suis libre cette semaine, quand tu voudras » …

Je ne dis pas au revoir à Joël qui était resté avec des clients, m’évitant du même coup. Le reste de la journée s’écoula tranquillement entre le sport et l’appart.

A la maison, je savourai ma solitude retrouvée. Karl charbonnait jusqu’à 22h au moins, me permettant de squatter la télé en pacha. Je n’avais envie de rien ni de voir personne, et surtout pas de sexe, j’avais eu ma dose tout le week-end, ça me suffisait. D’ailleurs, je n’avais plus de nouvelles de mes soi-disant nouveaux amis, ni de Roberto ni de Ferguson surtout. Dommage.

Puis vers 20h, Martial m’appela, lui qui d’ordinaire me saoulait avec des textos interminables, voulait me parler en direct cette fois-ci. Hum ! Serait-il en manque à ce point ? Suspens !

-          Allo ! Martial, comment vas-tu ?

-          Oui, c’est Martial ! Je ne te dérange pas au moins, hein ? Fallait que je te parle, c’est mieux de vive voix que par texto.

Ah ! Qu’avait-il donc de si important à me dire ? J’étais tout ouïe.

-          Eh bien ! Je vais être obligé de mettre un terme à notre relation et je voulais le faire en y mettant les formes. Je sais qu’on s’entendait bien et je n’ai pas de raison d’être désobligeant avec toi. Voilà ! Tu ne m’en veux pas, j’espère ?

Incroyable ! Martial me faisait une rupture en bonne et due forme. Sauf que je n’étais pas son petit ami, mais un prestataire. Il était vraiment à la masse celui-là.

-          Euh non, bien sûr ! Je ne t’en veux pas, mais puis-je te demander pourquoi ?

-          Oui ! En fait, j’ai rencontré quelqu’un. On se fréquente depuis plusieurs semaines maintenant, je l’aime et il m’aime, on s’entend très bien.

-          Je suis content pour toi. Bravo. Depuis le temps que tu l’attendais. Et comment s’appelle cet heureux veinard ?

-          Il se prénomme Mohammed, il est marocain et il a vingt ans. Il est merveilleux, je serai son Eraste et lui mon Eromène, je lui apprendrai tout.

Un mec de vingt ans avec la nationalité marocaine, ça commençait mal, et Martial serait son machin chose ? Ça, je n’avais pas compris mais pas la peine de lui faire répéter, c’était sûrement dans son délire de prof.

-          Je vais déjà l’aider à obtenir un titre de séjour, et en attendant, on va se marier. C’est le plus beau jour de ma vie depuis le divorce d’avec ma femme.

-          Martial, tu déconnes, là ! Si je peux me permettre de te donner un conseil, te marie pas avec lui, tu vas te faire arnaquer et tu vas au-devant de graves problèmes avec les flics. Tu vas te fourrer dans une sacrée merde !

-          Je m’en fous, je l’aime, c’est tout… Je vais te laisser, je ne te sens pas réceptif à mon bonheur, tu es même négatif. Adieu !

-          Mais non… Attends !

Martial me raccrocha au nez. Lui qui voulait me quitter sans me blesser, m’avait carrément envoyé sur les roses finalement… Merde ! Le mec tournait déjà en orbite, ce n’était pas croyable. Comment un mec soi-disant aussi intelligent, pouvait-il tomber dans un panneau pareil ? Enfin, c’était son problème. Il se réveillerait peut-être quand son giton disparaitrait une fois qu’il aurait ses papiers en règle. Plus dure serait la chute ! En attendant, c’était moi qui dévalais la pente.

Récapitulons ! Je n’avais plus de plans culs tarifés, plus d’amis, même Martial m’avait viré, plus vraiment de boulot, pas de mec non plus, et mes poches resteraient inexorablement vides. Bref, vivre au soleil du Sud, ce n’était pas une galère mais ça y ressemblait pour moi. Cette fois-ci, j’étais bien dans la merde.

Sur ce, je me pris une bière, m’allumai une clope, branchai Netflix, les pieds en éventail sur le canap’. Je me sentais comme une vieille chaussette abandonnée qui cherchait sa moitié, et qui chercherait sûrement encore longtemps.

Bon, bah ! On n’était pas bien là, tout seul ?

Karl allait-il devenir mon modèle, finalement ? Allez, demain, il fera jour !

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

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Didier K. Expérience
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