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Didier K. Expérience
3 octobre 2020

Les Locataires-fantômes E.25/30

  

Saucisse Donut

Michel Alesi était en patrouille dans le centre de Montpellier, ce soir-là : Cours Gambetta-Figuerolles, c’était son secteur. Il tournait dans une voiture banalisée avec un collègue. Seule la petite antenne à l’arrière du toit, pouvait les faire repérer, mais seulement des initiés. L’avantage de la nuit, c’était que tous les chats étaient gris, et les poulets aussi… Ils tournaient inlassablement, scrutant les terrasses des cafés ou le marché finissant de Plan Cabane. Ils avaient repéré des dealers qui faisaient leurs trafics discrètement sur le trottoir : certains étant aussi des indics, pas question de les arrêter ni même d’interrompre le business, au grand dam des riverains.

Ils roulaient sans se presser sur le Cours quand Michel Alesi accrocha une silhouette. Chasseur à l’affut, il se concentra quelques instants, la physionomie du type lui rappelant quelqu’un qu’il avait vraisemblablement déjà vu. La voiture longeait le gars qui sur le trottoir avançait rapidement en direction de l’église, quand, Bingo ! Ça lui revint en mémoire ! Il pouvait même relire mentalement son dossier : il s’agissait du cafard à problèmes de Karim Aldi, du Locat Immo France.

Allait-il faire ses emplettes de janvier ? Les deux policiers en civil n’allaient pas tarder à le savoir, les abords de l’église St Denis étant occupée par les dealers albanais toujours vaillant, qu’importaient l’heure et la météo.

La voiture avait commencé à ralentir, gênant la circulation. Du coup, Michel Alesi fut obligé de descendre du véhicule, laissant son collègue trouver une solution pour la garer. De derrière un poteau, les yeux aguerris du policier ne lâchèrent pas sa proie. La silhouette du jeune homme avait sensiblement ralenti, ce qui présageait bien qu’il venait au réapprovisionnement. Cependant, Alesi devait attendre que son collègue revienne, (ne jamais intervenir seul était la procédure), et il fallait qu’il arrive vite, car ils pourraient faire un flag, indubitablement.

Le lieutenant Jérôme Sanchez rejoignit son supérieur, il avait trouvé une place sur le trottoir, pas d’autres choix. Ils attendaient les yeux fixés attentivement sur le jeune homme et sur ses gestes. Gestes qu’il avait rares, d’ailleurs. Il faisait tout pour ne pas susciter d’attention particulière. Il se mit à discuter avec un des gars pendant que les chouffes scrutaient nerveusement les alentours tels des périscopes. Les deux hommes en planque attendaient que les bras s’allongent, que les mains se déploient et attrapent quelque chose. L’obscurité n’arrangeait pas la visibilité, mais leur permettait une relative tranquillité. Les deux chouffes s’étaient placés carrément sous les lampadaires qui illuminaient la rue, rendant leur arrestation aléatoire. De toute façon, ce n’était pas ces deux-là qui intéressaient nos flics, mais le jeune Enzo Galion.

Ce n’était plus qu’une question de secondes, maintenant. Un premier échange avait eu lieu : les deux policiers sortirent de leur cachette pour se mettre en marche, doucement. Le second échange final allait sceller l’avenir d’une des personnes présentes. Tels des guépards, les deux flics s’élancèrent en même temps, et prirent en tenaille le jeune homme qui ne put détaler. Les deux chouffes et le dealer décampèrent eux, à toute vitesse, laissant leur client à la merci des deux keufs.

Michel Alesi se plaça devant Enzo Galion, son collègue derrière lui. Et aussi vite que l’éclair, attrapa le col du blouson du jeune homme d’une main de fer et le força à se baisser. Celui-ci, décontenancé, plia les genoux, se laissant entrainer vers le sol, ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Le flic derrière lui, sortit sa carte de police et lui mit devant les yeux. Enzo, mort de trouille, ne résista pas. Ils le relevèrent et lui passèrent les menottes dans le dos, devant les passants qui s’agglutinaient machinalement face au spectacle offert. Les trois dealers, quant à eux, ne s’arrêteraient de courir que certains d’être en sécurité. De toute façon, le taf, c’était fini pour eux ce soir. Ils reviendraient sur la pointe des pieds le lendemain, comme d’habitude.

Michel et son collègue emmenèrent leur conquête, chacun un bras dessus dessous. La voiture n’était pas loin. Michel ouvrit la portière arrière du véhicule, demandant au jeune homme de s’y assoir, ce qu’il accepta de bon gré. Michel prit place à côté de lui, à l’arrière également, pendant que Jérôme reprenait le volant. Celui-ci installa un gyrophare sur le toit et l’actionna, ce qui obligea les autres voitures à céder le passage. La conduite nerveuse incitait d’ailleurs à les laisser passer sans discuter, créant un bouchon et un bordel sans nom sur le Cours Gambetta.

Enzo Galion, hagard, se sentant dans un de ses mauvais trips, il allait sûrement se réveiller. Pourtant, il n’avait pas l’impression de dormir, ou alors, il planait encore de la veille. Le son strident de la sirène remplissait l’habitacle et lui perçait les tympans, mais ça ne semblait pas gêner outre mesure les deux policiers.

Il entendit un message radio auquel le conducteur répondit de suite :

-          Intervention réussie. Nous rentrons. Terminé.

La radio crachait des termes incompréhensibles pour lui, mais il avait bien entendu le policier parler. Donc, il ne rêvait pas, il était vraiment dans cette voiture de police, les poignets entravés par des menottes. Au bout de dix bonnes minutes de route, une phrase se forma dans sa tête. Dans un sursaut de lucidité, il ouvrit la bouche pour la prononcer, mais la sirène le perturbait toujours autant, aucun son ne sortit. Puis il réussit enfin à parler et à se faire entendre :

-          Mais qu’est-ce que j’ai fait ?

Le fait d’avoir réussi à prononcer ces mots lui rendit sa hardiesse, il se redressa sur son siège, se tint plus droit.

-          Alors ? Vous pouvez me dire ce que j’ai fait ?

-          Taisez-vous ! On ne va pas tarder à arriver au commissariat central. Là, vous pourrez nous dire tout ce que vous voudrez.

-          Mais, vous délirez totalement, ma parole ! Je n’ai rien fait ! Je vous le jure ! Vous n’avez pas le droit !

-          Bon, ça va durer encore longtemps votre cirque ? répondit Michel Alesi. Un conseil, fermez-là !

La voiture s’engagea dans le parking réservé aux véhicules de police, à l’arrière du bâtiment, puis s’immobilisa près d’une porte. Là, le capitaine sortit le premier et attendit que l’interpelé descende à son tour, pour passer son bras sous le sien, et l’emmena à l’intérieur, suivi du collègue.

Dans le hall, ils prirent tous les trois l’ascenseur, Enzo Galion toujours menotté. Arrivés à l’étage, ils s’installèrent dans un bureau. Les néons éclairaient la pièce d’une lumière jaune, assez faiblement. Il faisait complètement nuit dehors.

-          Ça va ? demanda le flic à Enzo.

La question lui sembla incongrue dans une telle situation. Lui qui flottait dans une incertitude totale.

-          Mais, allez-vous me dire ce que vous me reprochez, à la fin !

Toujours sans lui répondre L’autre lui enleva les menottes. Puis lui ordonna :

-          Videz vos poches. Déposez tout sur la table devant vous.

Enzo s’exécuta sans broncher. Il vida ses poches de pantalon, puis de sa veste, déposant tour à tour devant lui : clés, portable, chewing-gums, un préservatif, un paquet de clopes et son briquet, plus un petit rectangle de quelques centimètres de long, emballé dans du papier aluminium.

Jérôme sépara le rectangle du reste, sans le prendre pour autant. Michel fouilla la veste, la palpa, et retourna les poches : il n’y trouva rien de plus.

-          Déchaussez-vous !

-          Quoi ?

-          Enlève tes chaussures !

Enzo obtempéra.

Jérôme inspecta d’abord les pieds en chaussettes, puis les chaussures : tira les semelles intérieures, défit les lacets et les languettes, examina attentivement l’intérieur, puis les posa sur la table.

-          Déboutonnez votre pantalon ! Sans baisser la braguette.

Il déboutonna son pantalon, ensuite le flic passa un doigt dans la jointure entre le caleçon et la peau, et le fit tourner tout autour de la taille. Puis lui palpa les parties d’un geste précis et rapide. Il lui fit lever les bras au plafond et inspecta ses aisselles. Verdict : Enzo Galion ne cachait rien sur lui, manifestement.

-          C’est bon ! Vous pouvez vous rhabiller et vous assoir.

La chaise grinça.

Michel Alesi s’assit lui aussi à son bureau, alluma l’écran et commença à taper.

-          Déclinez votre identité, s’il vous plait !

-          Tout est sur ma carte d’identité.

-          Répondez ! C’est tout ce que je vous demande, pour l’instant.

Enzo s’exécuta. L’officier de police tapait en même temps qu’il posait les questions. Puis, il demanda à son collègue de déballer précautionneusement le rectangle devant Enzo. Pas de doute, c’était du shit, qui sentait très fort.

-          Ben, nous y voilà ! Possession de stupéfiant ! Et gaule en flag, surtout. Qu’est-ce que vous avez à dire ?

Enzo crut qu’il ne s’en sortirait pas, mais les mots jaillirent presque tout naturellement, les uns derrière les autres, donnant des phrases cohérentes, lui rendant l’assurance de sa première fois dans ces locaux quelques temps auparavant.

-          J’ai à dire que vous n’avez rien contre moi, parce que j’ai pris la quantité exacte qui fait de moi un simple consommateur. Je ne nie pas que je l’ai acheté à un dealer dans la rue, comme tout le monde fait. C’est juste pour m’amuser, je ne suis pas un drogué ni un revendeur ! Avec ça, on fait trois ou quatre joints, pas plus !

-          Quatre gros joints, alors ! Bien chargés !

-          C’est pour ma consommation personnelle, rien de plus, bafouilla-t-il. Je vous le jure, monsieur !

-          Ouais ! mais ce n’est pas la première fois qu’on vous chope. Et vous avez déjà fait une garde-à-vue chez nous, non ?

Enzo se tut. Le visage des deux policiers resta impassible.

Il s’était senti fort pendant qu’il parlait, sûr de lui, même. Il réfléchissait vite, ses habitudes d’étudiant lui étaient revenues. C’était aussi un petit malin qui aimait jouer avec ses adversaires, et puis, s’il s’en sortait, il en aurait des choses à raconter à ses potes, avait-il pensé.

Mais le silence soudain des deux hommes ne présageait rien de bon. Dans sa tête se forma alors un gros « Putain ! J’suis dans la merde-là ! ». La détresse se voyait dans ses yeux, son assurance avait fui par tous ses pores : il était en sueur.

-          Okay ! Ramassez vos affaires, conclut l’officier derrière le bureau… Vous allez nous attendre dans le couloir. On vous tiendra au courant de la suite des évènements. A tout de suite.

-          Vous me mettez en garde-à-vue ?

-          Sortez, je vous dis !

Le collègue accompagna Enzo jusque dans un couloir sans fenêtres, où déjà des gens attendaient silencieusement, assis sur des chaises disposées le long des murs, regardant fixement leur portable. Des policiers en uniforme, et d’autres en civil munis de badge, entraient ou sortaient des bureaux, circulant dans le couloir sans se soucier de ceux qui attendaient. Dans la lumière vive et jaunâtre, Enzo s’avachit sur sa chaise, sa colonne vertébrale refusant de le soutenir.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2020

Credit photo : "Saucisse Donut", Didier Kalionian - Instagram (c) 2020

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