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Didier K. Expérience
6 octobre 2020

Les Locataires-fantômes E.28/30

  

Saucisse Donut

Au fil des jours suivants, Matthieu entra dans une paix armée avec son boss : statu quo, une trêve des confiseurs, hibernation. Les qualificatifs ne manquaient pas pour nommer ce qu’il vivait. Cependant, il le vivrait seul, parce que Karim et le reste de l’agence n’y prêtaient absolument pas attention. Des commerciaux énervés, il y en avait à la pelle dans toutes les agences : au mieux, ils se calmaient ; au pire, ils portaient plainte aux Prudhommes. Mais dans tous les cas, personne ne se laissait entrainer par leurs problèmes, de peur d’en pâtir d’une façon ou d’une autre. 

Matthieu avait des actions en cours, il se devait de les clôturer avant de prendre une décision, sinon Karim ne se gênerait pas pour lui casser du sucre sur le dos... Le 31 janvier approchait enfin ! Son locataire récalcitrant qui lui avait coûté une prime de plusieurs centaines d’euros, allait enfin prendre le large. Cependant, c’était son autre problème qui l’interpelait : toujours aucune nouvelle de Kevin Floran. Pire ! Les cartons roses des AR n’étaient toujours pas revenus.

Mais lorsqu’il retrouva son propre courrier dans sa corbeille, il sut qu’il y avait un autre problème. La lettre portait la mention tamponnée « retour à l’envoyeur ». Ça arrivait parfois, mais c’était toujours le prélude à de nouveaux problèmes.

-          Lydie ? T’as vu, la lettre de relance de Kevin Floran est revenue !

-          Aïe ! Non seulement, le locataire n’était pas là le jour de la distribution du courrier, mais il n’est pas venu le récupérer à la poste, ensuite. Ça sent mauvais !

Matthieu connaissait la suite par cœur : ça ressemblait trop à des scenarii maintes fois éprouvés… Il appela son locataire au téléphone, mais il tomba sur un bip : impossible de laisser un message, comme si le numéro n’existait plus.

Bon ! Ça se confirmait ! L’horizon allait se hérisser de problèmes… Matthieu envoya un mail au président du CS du Palm Beach, M. Janson, pour lui demander si M. Floran était toujours dans l’appartement du rez de chaussée. Il ne lui répondit que tard dans l’après-midi, par une phrase étrange : « Je ne sais pas, mais il faudra que vous veniez voir ».

Comme Matthieu n’avait plus envie de faire d’effort pour Locat Immo France, il enregistra immédiatement un rendez-vous dans son agenda électronique, pour tout l’après-midi, mais il ne verrait M. Janson que vers 18h. De cette façon, il pouvait fuir cette ambiance qu’il jugeait malsaine, désormais toutes les excuses étaient bonnes pour s’absenter. Le Palm Beach était à deux pas de chez lui. Comme la première fois, il se gara dans son immeuble et rejoignit ensuite celui de son locataire à pied. Plus rien ne pressait, et ça n’était pas l’étrange message de M. Janson qui allait le faire changer d’avis. A peine était-il en vue de l’entrée, qu’il aperçut la silhouette du président du CS, qui l’attendait manifestement. Matthieu remonta le col de son manteau.

-          Je me suis permis de vous attendre parce que je crois qu’il se passe des choses pas très nettes. On verra ça ensemble, c’est mieux ! dit légèrement paniqué, M. Janson.

-          Ah ? C’est-à-dire ?

Le président du CS ouvrit le passage jusqu’à l’appartement, Matthieu le suivant tranquillement, lui. Il nota sa nervosité excessive qui n’augurait rien de bon. Celui-ci, marchait vite, haletait, comme si quelque chose de grave était arrivé, mettant Matthieu dans l’embarras.

-          Voilà ! C’est là ! Regardez ça ! dit-il en pointant sa lampe torche vers le bas.

Matthieu vit que des copeaux de bois jonchaient le sol, mais avaient été repoussés vers le mur. Puis, en levant les yeux, il s’aperçut que la porte avait été forcée : le verrou du haut ainsi que celui du bas étaient défoncés, et la serrure centrale avait littéralement disparu. La porte ne tenait plus que par l’opération du saint esprit… Il la poussa d’un doigt et M. Janson braqua sa lampe droit devant : le couloir qui était si plein de valises et de meubles lors de sa visite le mois dernier, était entièrement vide. Matthieu essaya de remettre l’électricité, mais le tableau resta disjoncté : ce qui voulait dire que EDF avait coupé le courant. Les volets électriques étant baissés, on n’y voyait rien du tout. M. Janson passa devant lui avec sa lampe, ils commencèrent à inspecter toutes les pièces, et ils arrivèrent à la même conclusion : plus rien ni personne n’habitait ce T2. Etant donné la poussière et la saleté qu’il y avait partout, plus les traces du déménagement, ça s’était sûrement fait dans l’urgence. Mais, la rapidité excluait le calme et le silence : donc, quelqu’un avait sûrement entendu quelque chose.

-          Vous vous êtes aperçu de ça, quand ?

-          Cet après-midi ! Je voulais voir s’ils étaient là avant de vous répondre et je suis tombé sur la porte grande ouverte.

-          Vous n’aviez rien vu avant ?

-          Eh non !

-          Donc, ça s’est fait cette nuit ou ce matin. C’est tout frais, quoi !

Eh bien ! Voilà un mystère de plus. Cependant, Matthieu pensait qu’on n’avait pas pu évacuer les lieux en une seule fois, étant donné tout ce qui était entassé dans l’appartement. Ce qui lui posait question, c’était la porte fracassée.

-          Faut-il appeler la police ?

-          Non ! C’est au propriétaire de le faire. Je vais l’avertir de ce qui s’est passé. Mais ce n’est ni à Locat Immo France, ni au Syndic, ni au CS, de prévenir la police : ça ne nous regarde pas… En revanche, ce qui serait bien, serait de savoir si quelqu’un a vu ou entendu quelque chose ?

-          Je m’en occupe, je vous tiendrais au courant, vous pouvez compter sur moi.

Matthieu n’avait aucun doute sur la collaboration zélée de M. Janson : il finirait sûrement par savoir ce qui s’était réellement passé. Il aurait pu pousser ses investigations, mais il ne voulait plus se mêler du business de Locat Immo France. De plus, cette histoire mettait un terme au problème « Kevin Floran » et réglait une de ses affaires, définitivement.

Cependant, il avait déjà vécu ce genre de situation auparavant. Tout indiquait qu’il y avait deux affaires liées à la disparition de son locataire. La porte fracassée en était la preuve flagrante. Il voyait mal Kevin Floran déménager en secret et casser la porte d’entrée ensuite : ça n’avait pas de sens. Donc, c’était deux personnes différentes, et il mettait sa main à couper que le casseur de porte n’était autre que le propriétaire de l’appartement. Le locataire, même s’il ne payait pas le loyer, était inexpulsable avant le 15 mars, mais la procédure était longue et aurait pu durer encore plusieurs mois. Et si le locataire versait, ne serait-ce qu’un seul mois, alors la procédure s’en serait trouvée rallongée : ce qui mettait les nerfs des propriétaires à rude épreuve, ces derniers ne pouvant pas récupérer leur bien, y compris par la force.

Kevin Floran avait dû organiser son déménagement après avoir reçu le second courrier de relance et avait quitté les lieux sans laisser d’adresse. Le propriétaire l’avait appris d’une façon ou d’une autre, et s’était transformé en un furtif casseur de porte. De ce fait, il aurait une raison de la changer et d’y installer ses verrous : à ses frais bien sûr, mais ce serait à un moindre coût compte tenu des problèmes évités. D’ailleurs, Matthieu mettait sa seconde main à couper que le président du CS était bien au courant et que c’était lui qui avait dû avertir le propriétaire du départ inopiné du locataire, voire qu’il était complice. De cette façon, il récupérait son bien, et il avait le président du CS et le bailleur comme témoins. C’était bien joué et de bonne guerre.

Mais Matthieu s’en moquait désormais. Il avait compris la manip’ mais il laisserait faire. Après tout, le locataire s’était enfui comme un voleur, pourrait-on dire, et c’est ce qu’il retiendrait pour son rapport... Le propriétaire n’avait eu que cette opportunité et c’était une bonne façon de rester dans le cadre de la loi. Ça lui coûterait une nouvelle porte et de nouveaux verrous, mais il redevenait propriétaire de plein droit de son appartement et pourrait le relouer dans la foulée. Donc, l’opération était intéressante pour tout le monde, y compris pour son agence.

D’ailleurs, Matthieu était persuadé que la porte d’entrée serait changée dès le lendemain, car il ne fallait pas tarder à réparer, sous peine que quelqu’un d’autre s’y installe illégalement, et il serait alors indélogeable avant plusieurs mois.

Matthieu en était là de ses réflexions, pendant que M. Janson restait planté les bras ballant devant lui, à attendre de savoir quoi faire. Il devait reprendre l’initiative, juste de quoi lui montrer qu’il avait la situation bien en main.

-          Je n’ai pas le numéro du propriétaire sur moi. Si vous, vous l’avez ! Vous pourrez lui dire de changer la porte le plus rapidement possible ?

-          Je dois avoir ça chez moi. Je vais le prévenir de tout ce qui s’est passé. Ne vous en faites pas, je m’en charge. En attendant, je vais la barricader. J’ai ce qu’il faut. Personne ne pourra rentrer.

-          Parfait ! Dans ce cas, vous me tiendrez au courant de la suite des évènements ? Je dois vous laisser, maintenant.

-          Bien sûr ! Merci Matthieu. A bientôt !

Bien évidemment, Matthieu n’était pas sûr de ce qu’il pensait, mais l’empressement de M. Janson lui indiquait clairement qu’il avait vu juste. Comme c’était le président du CS qui officialiserait le fracassement de la porte, il n’avait pas à s’inquiéter de la suite des évènements. Après les travaux qui s’imposeraient, l’appartement serait de nouveau sur le marché de la location dans moins de deux semaines en toute légalité : il était prêt à en prendre le pari.

Il n’avait pas encore pris de décisions concernant son avenir dans l’agence, mais il se comportait déjà comme s’il n’y était plus. Ou alors, tout doucement, s’était-il laissé envahir par le j’menfoutisme ambiant ?

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2020

Credit photo : "Saucisse Donut", Didier Kalionian - Instagram (c) 2020

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