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Didier K. Expérience
28 septembre 2020

Les Locataires-fantômes E.20/30

Saucisse Donut

Le lendemain matin à son bureau, les choses n’avaient pas l’air d’avoir changé, mis à part le sapin qui était bien enguirlandé. Parmi tous les mails qui tombèrent toute la journée, il avait enfin reçu la facture du plombier qui était intervenu chez Enzo Galion pour circonscrire le dégât des eaux. Bien évidemment, l’intervention était salée et elle devrait être réglée par le propriétaire, malheureusement. Matthieu retint son souffle, mais il renvoya le mail au bouillant Georges Robert. Dès que l’assureur aurait rendu son verdict, cette facture lui serait sûrement remboursée, précisa-t-il, mais en attendant, il devait la payer rubis sur ongle.

Matthieu avait lu en détail cette facture, la sentence était irrévocable : « fuite due à l’usure normale du matériel ». Voilà qui ne manquerait pas d’énerver le propriétaire. Enzo Galion avait laissé fuir et il était responsable de la conséquence, mais il n’était pas à l’origine de la cause. Ce je m’enfoutiste intégral allait encore s’en sortir, mettant Matthieu encore plus en porte-à-faux avec le propriétaire et Karim, son boss. C’était le comble, tout de même.

Le calme dura jusqu’à ce que Lydie, sa secrétaire, entre dans son bocal, une liasse de lettres à la main.

-          Devine, beau gosse ?

Matthieu resta coi, s’attendant à tout.

-          Il y a une lettre de madame Galion, la maman du petit ange ! Et en AR, s’il te plait ! Je te parie que c’est son congé, dit-elle surexcitée.

Lydie lui tendit la lettre, qu’il se fit un réel plaisir d’ouvrir. Une seule page, lettre tapuscrite, juste signée et datée par la mère au stylo à encre. La lettre était claire : Enzo Galion donnait son congé et partirait fin janvier.

-          Waouh ! Champagne ! Ils ont fait vite pour réagir. Je n’ai envoyé mes relances qu’hier.

-          Vos courriers et vos pensées ont dû se croiser. La pression a fonctionné, c’est ce qu’il faut que tu te dises.

-          Ouais ! Sauf qu’il n’a toujours pas accepté la visite de l’assureur !

-          Tu n’as qu’à la programmer pour le jour de l’état des lieux sortant. Comme ça, tu fais d’une pierre deux coup. Maintenant, on n’a plus besoin de son autorisation.

-          Exact !

Tout devenait plus simple pour tout le monde. Cette nouvelle donna des ailes à Matthieu qui pouvait échafauder une nouvelle stratégie. Il scanna le courrier qu’il envoya par mail à Georges Robert, en lui expliquant que l’assureur viendrait fin janvier, désormais. Trois nouvelles reçues d’un seul coup, c’était presque Noël avant Noël, pensa-t-il.

Un message pour l’assureur qui accepta le rendez-vous dans la foulée, sans problème. Et une synthèse de tout ça pour Karim, histoire de le mettre dans sa poche.

La réponse de M. Robert ne se fit pas attendre. Il fustigeait le locataire qu’il accusait de vouloir fuir ses responsabilités et menaçait de le poursuivre en justice. Bien entendu, il ne paierait pas non plus la facture du plombier et serait présent lors de l’état des lieux sortant quoi qu’il arrive. Eh bien, ça promettait d’être tendu, cette sortie ! En fait, le locataire, l’assureur, le propriétaire et lui dans une même pièce au même moment, cela risquait de fournir des étincelles pour enflammer les esprits. La probabilité était grande qu’ils en viennent aux mains, car lorsque les mots ne suffisaient plus pour s’expliquer, les coups pleuvaient.

En attendant ce fatidique 31 janvier prochain, Matthieu envoya un petit message à Enzo Galion, lui enjoignant de déménager dans les meilleurs délais, de nettoyer l’appartement, et que tout soit prêt pour que cet état des lieux sortant se passe le mieux possible.

Les mails continuaient de se croiser sans se heurter dans l’univers parallèle du net quand Matthieu reçut une demande de rendez-vous de Georges Robert. Karim, son boss, était en copie. Ce qui voulait dire qu’il avait quelque chose à leur annoncer, et cette menace d’aller en justice ne lui disait rien qui vaille. Bien entendu, Matthieu accepta et fixa la rencontre pour le lendemain après-midi. Quelques secondes plus tard, Karim accepta aussi, et le rendez-vous se cala dans le Rocketbook. Donc, le boss ne perdrait pas une miette du bras de fer que le propriétaire voulait leur imposer.

Les menaces de trainer l’agence en justice étaient pléthores, mais elles arrivaient rarement à leurs termes. Tout simplement parce que les démarches étaient longues et fastidieuses et quelles nécessitaient obligatoirement un avocat, et donc des frais supplémentaires à charge pour le plaignant, et la chandelle n’en valait pas souvent la peine.

Matthieu était capable de manager n’importe quelle situation dans le cadre de son travail et il n’avait pas besoin d’un chaperon. La présence de Karim pouvait même limiter son champ d’action, car il serait là en tant que témoin et ne se positionnerait qu’en toute fin. Il allait donc devoir gérer son impulsivité face aux débordements incessants du propriétaire qui passait de la rage aux intimidations, et gérer ses réactions face à Karim qui se servirait du résultat contre lui si ça tournait en défaveur de l’agence.

En attendant le rendez-vous du lendemain, Matthieu eut la grande surprise de recevoir une réponse d’Enzo Galion, celui-ci daignait enfin lever quelques doigts pour taper sur son clavier. Bien évidemment, tout n’allait pas dans le bon sens, puisqu’il réclamait déjà sa caution, c’est-à-dire, en langage immobilier, son dépôt de garantie, et ça il n’en était pas question tant que l’état des lieux n’était pas passé. D’ailleurs, Matthieu se garda bien de lui dire. Au contraire, avec le bordel qu’il avait mis, il était fort probable que ce dépôt ne serait pas suffisant pour couvrir les frais. Il demanda à son locataire récalcitrant sa nouvelle adresse pour pouvoir ensuite lui envoyer le chèque. Et comme par magie, l’échange s’arrêta.

Pour Karim, un pan du problème venait de tomber. Il ne restait plus qu’à convaincre Georges Robert de garder la gestion de sa SCI dans cette agence et ça serait dans la poche. Il avait préparé un dossier avec des propositions qu’il ne dévoilerait qu’en toute dernière seconde, sans en référer à Matthieu. Ce genre de tractation, il les dirigeait lui-même sans interférences extérieures : ce qui laisserait un goût amer dans la bouche de son subalterne, mais ça il n’en avait cure.

Il tenait à annoncer la bonne nouvelle à son ami policier, Michel Alesi. Et puis, c’est toujours bien d’entretenir l’amitié d’une façon ou d’une autre, surtout quand ils sont aussi clients.

-          Allo, Michel ? C’est Karim ! … Karim de Locat Immo France. Tu ne te rappelles plus de moi ?

-          Ah oui ! Excuse-moi. Un moment d’égarement… Que puis-je pour toi ?

Décidément, ces gens avaient la mémoire courte surtout quand le prénom ne sonnait pas catholique, un vieux réflexe, sûrement. Parfois, Karim maudissait ses parents de ne pas l’avoir appelé Jean-Claude ou Christophe, par exemple : ça lui aurait évité ce genre d’échange, d’être à chaque fois obligé de préciser.

-          Je ne te dérangerai pas longtemps. Juste une petite info : tu te souviens de mon locataire qui fume du shit, qui se réapprovisionne au Cour Gambetta, et qui me donne du fil à retordre. Eh bien, figure-toi qu’il vient de nous donner son congé. Il s’en va. Donc, plus de soucis pour nous.

Michel soupira légèrement, mais il se douta que son interlocuteur l’avait entendu. Il ne pouvait pas lui dire qu’il n’avait jamais rien entrepris d’officiel contre son locataire fumeur, il était officier de police, pas shérif. Cependant, il avait envie de le rassurer sans se mouiller.

-          Très bien ! C’est une bonne nouvelle pour vous… Tu sais qu’on l’a vu à proximité du Cour Gambetta ? Je pense que dans très peu de temps, il tombera dans notre escarcelle. C’est inévitable avec ce genre de loustic.

-          Parfait ! Je te dis à bientôt !

Karim ne s’attarda pas plus longtemps. Désormais, ce qui pouvait advenir de son ex-locataire ne l’intéressait plus du tout. Matthieu allait gérer sa sortie, et lui gérerait la suite des évènements en toute sérénité. Si Michel coinçait Enzo Galion dans une transaction louche, ça n’avait plus aucune importance car légalement, le fils Galion n’existait que jusqu’au 31 janvier prochain sur ses tablettes.

D’ailleurs, Karim demanda à Matthieu d’ouvrir immédiatement une page extranet sur le site de l’agence au nom de Georges Robert et de commencer la recherche active d’un nouveau locataire : ce qui fut fait séance tenante. Le propriétaire reçut par mail dans la foulée un lien informatique lui permettant de se connecter sur la page et de voir la progression des actions mises en place. Ça lui permettait de suivre sans s’inquiéter de ce qu’allait devenir son bien, Georges Robert étant du genre à tout contrôler, en long, en large et surtout en travers.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2020

Credit photo : "Saucisse Donut", Didier Kalionian - Instagram (c) 2020

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Commentaires
D
Merci beaucoup, ça me fait plaisir.
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B
bsr, passionnant...
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Didier K. Expérience
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