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Didier K. Expérience
13 janvier 2023

Entretien Sans Freins (Une vraie fausse interview de Jake E. Lee) 13/20

   

Jake E

Mes points de contrôle confirment tout ce qu’a dit Jake. Cependant, je suis très surpris de la réaction du label Atlantic : Ray Gillen était atteint du sida et la seule considération qu’ils prirent en compte, fut de sauver leur placement. Car Atlantic avait investi dans Badlands, et il ne fait aucun doute qu’ils croyaient dans le potentiel du groupe. Malheureusement, les mauvaises ventes du second album n’avaient pu confirmer ce retour rapide sur investissement qu’ils attendaient de pied ferme. Mais en aucun cas, Atlantic n’a envisagé de faire un geste en faveur de Ray Gillen.

En 1992, être malade du sida vous condamnait à une mort certaine, à plus ou moins brève échéance, étant donné qu’il n’y avait pas encore de traitement. Mais aussi, à un ostracisme qui ne parait pas concevable en 2019… Pour l’instant, je ne sais pas si je peux donner mon avis sur ce sujet car il s’agit de considérations qui étaient en vigueur à cette époque. Je ne peux pas juger la façon de penser des gens de 1992. Faudra que j’y réfléchisse lors de la retranscription.

Pendant le repos forcé du groupe, celui-ci avait enregistré des demos qui auraient dû devenir le troisième album de Badlands. Pour d’autres obscures raisons, Atlantic ne fut pas satisfait des chansons et les rejeta. Donc, il est fort possible que l’éviction du groupe ait été envisagée bien avant la découverte de la maladie incurable de Ray. Ce qui me fait penser que la raison de la séparation du groupe avec le label n’a peut-être rien à voir avec Ray Gillen, mais ça, je ne peux pas le prouver et je ne sais pas encore si je pourrai l’écrire lors de la mise en forme de l’interview.

Pendant ce temps, Ray Gillen participait au nouvel album solo de George Lynch, ex Dokken (Ndr le fameux concurrent de Jake pendant l’audition pour le nouveau groupe d’Ozzy Osbourne en 1982), pour lequel il enregistra les voix sur un seul titre « Flesh & Blood » sur l’album « Sacred Groove » … Malgré son état chancelant, Ray s’associera ensuite avec le guitariste Al B. Romano pour former le groupe Sun Red Sun. Comme un clin d’œil, le nom de ce groupe était aussi un des nouveaux titres de Badlands. Ironie du sort, Ray ne put enregistrer quoi que ce soit avec ce groupe et ce fut John West, qui l’avait déjà remplacé dans Badlands, qui prit sa place.

John West a fait ensuite une brillante carrière au sein du groupe Royal Hunt, entre autres.

Ray Gillen mourut du sida le 1er décembre 1993 dans un hôpital de New York, il avait 34 ans, il était marié et avait une petite fille de 11 ans lors de son décès… Il a probablement contracté la maladie lors d’un échange de seringues. Ray était certainement un utilisateur occasionnel car il n’est mentionné nulle part qu’il était addict a une drogue quelconque. Cette probabilité a été révélée par Jake lui-même lors d’une interview récente. La mort du chanteur condamna définitivement le groupe Badlands puisqu’aucune reformation ne serait désormais possible.

Du coup, les bandes de ce qui devaient être le troisième opus furent oubliées un temps jusqu’à ce qu’un label veuille bien les sortir. Si certains titres provenaient des sessions du premier album, d’autres venaient du second, d’autres encore étaient de vraies nouveautés. En l’état, les chansons devaient être toutes retravaillées et réenregistrées avant de pouvoir devenir un album digne de ce nom. Mais Jake réussit à les faire publier telles quelles et posthumément par un label japonais : Pony Canyon Records, en 1998. L’album s’intitule « Dusk » et est devenu le troisième disque officiel du groupe. Ce qui est frappant, c’est la qualité musicale, le son, et l’orchestration quasi parfaite des titres. On n’ose imaginer ce qu’aurait donné l’album s’il avait été correctement produit : sûrement une vraie bombe. A mi-chemin entre Whitesnake, Led Zeppelin ou The Cult.

Pourtant, « Dusk » ne fut classé nulle part et ne suscita aucun engouement particulier du public : en 1998 Badlands avait déjà sombré, et la carrière de Jake E. Lee avec, malheureusement. Mais je m’égare, revenons plutôt à l’interview.

Jake affiche un regard triste, la déception se lit sur son visage à l’évocation de ce passage de sa carrière. Cette fois-ci, il ressort sa flasque de whisky, s’en prend une gorgée, ne m’en propose pas.

-          Quel gâchis ! Si au moins j’avais su que Ray était malade. On n’aurait pas passé nos derniers temps à s’engueuler.

-          Pourtant Paul O’Neill te l’avait dit. Donc, tu le savais, non ?

-          Ray ne m’a jamais dit qu’il était malade, jamais ! Quand je lui ai posé la question, il m’a affirmé qu’il n’avait pas le sida… On n’était plus des enfants, mec ! Si Ray me dit qu’il n’est pas malade, je le crois. Point !... Quant à Paul O’Neill, je m’en foutais de ce mec.

Je réfléchis à mes prochaines questions, je sens bien qu’une tension souterraine bout en lui. Même si j’ai compris que Jake n’est pas capricieux, j’ai envie de savoir et de finir cet entretien.

-          Quel était ton état d’esprit après la fin de Badlands ?

-          Comme un champ de bataille après la défaite ! C’était un peu mon Waterloo, dit-il en souriant.

Jake se redresse sur son siège, il se ressaisit, manifestement.

-          A la fin de Badlands, Greg Chaisson m’a proposé de le rejoindre dans le groupe Terriff, mais ça n’a pas collé. Personnellement, je crois que j’en avais marre d’être dans un groupe. Je n’y croyais plus. Tout le charme que ça pouvait avoir quand j’étais ado avait disparu. Il n’y avait plus rien de magique, plus rien d’excitant : juste du fric, des ambitions et de la prétention, tout ce que je déteste. Je voyais plus mes avocats que mon producteur…

-          Tu avais envisagé de mettre un terme à ta carrière ?

-          Sincèrement ? Ouais, tout à fait !... Je suis retourné chez moi à Las Vegas, la queue entre les jambes, dégouté de tout ce système. Je ne savais plus ce que je voulais faire. Il m’a fallu du temps pour recommencer à composer.

-          Tu n’habitais plus à Los Angeles ?

-          Fort heureusement, non ! L.A., c’est génial pour travailler, mais pas pour y vivre. Las Vegas est un endroit spécial, mais j’y suis tranquille, j’ai pu me reconnecter avec la réalité. Et puis, la femme de ma vie y habite.

-          Combien de temps t’a-t-il fallu pour retrouver l’envie de refaire de la musique ?

-          Environ deux ans ! Tu sais, j’ai gagné pas mal d’argent avec Ozzy et même avec Badlands, donc, j’avais de quoi tenir un bon moment. Mais, même si j’avais envisagé de ne plus être professionnel, je n’ai jamais arrêté de jouer. Je joue de la guitare et du piano également, depuis mon adolescence : la musique est ma passion. Cet échec n’était pas la fin du monde non plus. Une étape importante, sûrement, mais pas la fin.

-          C’est à ce moment que tu as rencontre Mike Varney ?

-          Oui, dans ces eaux-là.

Mike Varney est un producteur américain et le patron du label Shrapnel Records, spécialisé dans la production de disques de guitaristes de heavy metal, uniquement instrumentaux. C’est aussi un découvreur de talents, notamment le guitariste suédois Yngwie Malmsteen, et Joe Satriani, entre autres.

-          Mike m’a convaincu que je pouvais faire autre chose de mon talent. Je n’avais plus envie de jouer en groupe, donc j’ai accepté sa proposition, mais à condition de m’occuper de tout. C’est-à-dire, de jouer de la guitare bien sûr, mais aussi de la basse, du synthé, et de faire la programmation de la drum machine. Il a accepté et il m’a laissé le temps de créer comme j’en avais envie.

-          Tu as travaillé directement avec lui ?

-          Non ! J’ai commencé chez moi, puis en ’95, j’ai rejoint le studio de « mon ami » Juan Croucier, batteur de Ratt.

Jake mime les guillemets en prononçant les mots « mon ami ». Manifestement, ce n’est plus le cas du tout, même aujourd’hui.

-          Seulement au bout de six mois d’enregistrement, on s’est pris la tête tous les deux et il a fallu que je refasse tout chez Mike Varney, finalement.

-          Et cet album est enfin sorti en 1996. « A Fine Pink Mist », n’est-ce pas ? Donc, toi qui ne te considérais pas comme un guitar-hero, tu as finalement fait un album de guitar-hero, non ?

Jake rit !

-          Les critiques ont été unanimes, mec ! C’était un disque extraordinaire, aussi bon que le « Surfing With The Alien » de Satriani, sauf que le mien n’a pas marché. J’avais fait un disque de musicien pour les musiciens sûrement, mais aussi un peu pour les mélomanes. Je ne suis définitivement pas dans le truc « guitar-hero », je te l’ai dit, ça ne m’intéresse pas. Je n’ai pas le melon assez gros pour ça.

-          Pas aussi gros que celui de Yngwie Malmsteen, peut-être ?

Jake éclate de rire.

-          Ah ! Je vois que tu es aussi au courant de cette fausse polémique, hein ?

-          Tu veux en parler ?

-          Bof !

Jake agite ses grands bras, se gratte la tête, ça ne l’intéresse pas de ressasser, mais ça lui permettra de se justifier encore une fois. Je l’encourage du regard.

-          Je n’ai jamais dit que Yngwie Malmsteen était un guitariste de merde. J’ai juste dit qu’il était arrogant et prétentieux. Je ne me permettrais jamais de juger son travail, mais lui oui, sans problème. C’est sûrement le plus grand guitariste actuellement sur le marché, personne ne lui arrive à la cheville, mais est-ce une raison pour se foutre de la gueule des autres ?

-          Vous vous êtes rencontrés ?

-          Oui, une fois et il m’a pris de haut… Bon, il m’avait vu sur scène avec Ozzy en Suède au tout début en ‘82. C’est-à-dire, lors du deuxième concert de la tournée européenne, où je l’avoue, j’avais été catastrophique.

Oh ! je note qu’au début de l’interview, il avait dit qu’Ozzy était satisfait de ses prestations et que tout se passait bien, alors qu’en fait, les deux premiers shows avaient été un désastre pour Jake, il n’était tout simplement pas encore en place. Sa mémoire lui jouerait-elle des tours volontairement ?

-          Il m’a toisé parce qu’il avait vu un mauvais concert, mais je suppose que lui aussi en fait des mauvais, parfois ! En tout cas, tout le monde fait des erreurs dans ce monde, ça ne veut pas dire qu’on doit être condamné à vie pour un truc qui s’est passé il y a plus de dix ans, quand même.

-          C’est vrai que vous êtes difficilement comparables, ajouté-je.

-          C’est un formidable technicien, mais il manque cruellement de feeling. Pour moi, un guitariste comme Joe Perry (Aerosmith), ou Ace Frehley (Kiss) ou bien évidemment Jimmy Page (Led Zeppelin), sont bourrés de feeling et je me sens plus proche de ces mecs. Tu as ensuite des techniciens hors pair comme Uli Jon Roth ou le génial Johnny Winter, qui sont tous les deux des musiciens d’exception, parce qu’ils ont le feeling et la technique. Malmsteen, lui, n’a que la technique, et le résultat est froid comme la pierre… Je le répète, je n’ai jamais dit qu’il était un guitariste de merde…Je sais qu’il est triste de n’être pas reconnu comme le grand guitariste qu’il pense être, mais il devrait dégonfler son melon, et ça pourrait s’arranger…

Jake rit de sa tirade finale.

-          Ensuite, il semblerait que tu sois entré en hibernation, puisqu’on ne te retrouve qu’en 2005, soit près de dix ans après ton album solo. Que s’est-il passé ?

-          Rien ! Justement ! Je suis resté tranquillement chez moi à essayer des trucs, à enregistrer de la musique pour moi, à jouer avec des potes, juste pour le plaisir, c’est tout. J’étais totalement hors circuit.

-          Des rumeurs disaient que tu étais plus ou moins en dépression. Tu veux en parler ?

-          Ouais, je sais ! Des rumeurs ont dit que je trainais dans les caniveaux, que je passais mon temps à boire, que je faisais la fête avec untel ou untel tous les soirs, etc… Je m’en fous de ces rumeurs. Rien à foutre même !

A priori, on s’en tiendra là pour cette question.

-          Donc, en 2005, tu as sorti un nouvel album sous ton nom, « Retraced », dans un style plutôt hendrixien, toujours chez Shrapnel, le label de Mike Varney. Tu voulais casser cette image de guitar-hero pour ado ?

-          Ouais, peut-être, mec ! C’est un album de reprises de mes chansons favorites, celles qui m’ont fait devenir fan de rock quand j’étais ado. Des reprises de Procol Harum, de Free, de Montrose, Mountain, etc… mais cette fois-ci avec un vrai groupe et un chanteur. J’aime bien cet album, même si celui-là aussi, n’a pas marché, mais c’était plus une recréation qu’autre chose. J’aurais bien ajouté des titres de Santana ou « La Grange » de ZZ Top, mais on n’avait pas eu le temps, dommage !

-          Puis, tu as fait un autre album de reprises en 2007 « Guitar Warrior », qui deviendra « Runnin’ With The Devil » en 2008, mais à part le titre qui change, ce sont les mêmes disques, en fait.

-          Ouais ! J’ai fait ça pour payer le loyer, comme on dit. Ça n’était pas compliqué à faire, c’était bien payé, et puis, je jouais avec des potes : Stephen Pearcy (Ratt), Lemmy (Motörhead), par exemple. Je trouve que notre version de « It’s A Long Way To The Top » d’AC/DC, avec Lemmy au chant est plutôt pas mal.

-          On y retrouve aussi six titres de Ted Nugent. Tu n’avais jamais mentionné que tu étais fan ?

-          Le type est infréquentable aujourd’hui à cause de ses prises de position politiques plutôt extrémistes, mais dans les seventies, c’était excitant comme musique et j’aimais bien ce qu’il faisait, et puis c’est toujours aussi bon à jouer.

-          Mais tu ne composais plus rien alors, pourquoi ?

Si, je composais toujours, mais je n’avais pas envie de le montrer à qui que ce soit. Et puis, passer du temps en studio, n’est jamais du temps de perdu pour moi.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2020

Credit photo : Charvel Guitar US (c) 2020

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