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Didier K. Expérience
1 février 2021

Les Paradis Périphériques E.29/34

Paradis Périphériques

Ce week-end ne fut pas aussi enjoué que les autres. On était sortis dans le Marais le vendredi soir, après l’annonce de Franck, mais c’était plus pour conjurer le sort qu’autre chose. On s’était contentés d’un seul bar ce soir-là : le Café Cox. On avait fait des efforts pour être aussi souriants que d’ordinaire, mais on n’y arriva pas. On voyait la vérité crue, sans fard, et tout devenait insupportable, pas seulement la musique mais aussi les gens. Pourtant, je persistais à croire que c’était là qu’il nous fallait être. Noyés parmi les nôtres.

Quand on est en mouvement, on reste en vie, et il fallait qu’on se bouge et qu’on arrête de réfléchir. Jusqu’à présent, je suivais Franck sans barguigner car son avis était souvent juste, mais maintenant, c’était à moi de lui montrer la voie.

On avait besoin de divertissement et le meilleur endroit pour se divertir fut d’aller au cinéma. On se força à voir ce qu’il y avait à l’affiche, même les films qu’on n’aurait jamais vus sinon. Être dans le noir pendant deux heures, à suivre une histoire parfois sans intérêt nous allait bien, nous ennuyait mais nous reposait surtout. Nous nous retrouvions l’espace d’un moment, hors du temps et hors de ce monde. Inatteignables. Dématérialisés.

Le samedi et le dimanche, nous avons donc zappé le Marais, les bars, le GTD, et nos amis. Cette épreuve resserrait nos liens, c’était visible. Nous nous embrassions à tout bout de champ, n’importe où et pour n’importe quoi, c’était marrant. Je crois que nous avions peur de ce qu’on allait peut-être devoir faire. En attendant de prendre une décision, nous nous repliions sur nous-mêmes, dans notre cocon.

On se leva à l’heure habituelle le lundi matin. Franck m’avait dit que le service des dépistages n’ouvrait pas avant 9h, mais il valait mieux qu’on y soit en avance. « On » ? Oui, Franck tenait à m’accompagner, car ce service était selon lui, pas facile à trouver dans les dédales de ce gigantesque hôpital de banlieue.

Avant de partir, je prévins par téléphone mon chef de service que j’aurais du retard ce matin. Franck fit de même, et de cette façon, on se sentit plus libre de nos mouvements, débarrassés d’un premier poids.

Nous sommes arrivés vers 8h30 à Avicenne. Nous avons suivi le parcours fléché jusqu’à la salle d’attente du centre, quelques personnes patientaient déjà. A ce jour, je n’avais jamais fait de test, ni jamais mis les pieds dans un centre de dépistage ; j’étais un peu angoissé. Comme Franck avait déjà fait le sien, il pouvait m’expliquer les procédures. En premier lieu, j’allais passer au secrétariat pour m’enregistrer dès l’ouverture. J’irais seul, sans lui.

Effectivement, à 9h pile, le secrétariat ouvrit ses portes, et les premières personnes s’y engouffrèrent. Je les suivis mollement. Comme c’était la première fois, il fallait que j’ouvre un dossier ; je savais que Franck avait préféré l’anonymat, mais je décidai de donner mon nom, de cette façon, je recevrais les résultats par courrier.

A peine ai-je été enregistré, qu’un médecin vint me chercher, mon dossier à la main, et me demanda de m’installer dans le fauteuil pour faire ma prise de sang. Il me posa des questions sur ma sexualité.

-          Je suis gay et je vis en couple.

-          Vous avez des relations non protégées dans votre couple ?

-          Oui !

-          Avez-vous des relations sexuelles en dehors de votre couple ?

-          Jusqu’à présent, non ! Mais ça peut changer.

-          Et votre ami ? A-t-il des relations autres qu’avec vous ?

-          Voilà, c’est la raison pour laquelle je fais ce test.

-          Ok, je vois.

Je m’en tins à ce questionnaire, je n’avais pas envie d’en dire plus, pour le moment en tout cas.

Une infirmière vint avec une seringue emballée en sachet sous vide, me posa un garrot :

-          Serrez le poing, s’il vous plait !

Elle me piqua et remplit la seringue, puis me posa un pansement et ce fut tout.

-          Voilà, c’est fait. Vous recevrez les résultats sous trois semaines, des fois moins.

Cela avait duré cinq minutes, j’étais satisfait de cette rapidité… Je retrouvai Franck qui m’attendait, toujours aussi anxieux. Curieusement, la façon dont s’était déroulé le test me rassura, je me sentais mieux, il n’y avait plus qu’à patienter. Je fus surpris et charmé par la courtoisie et l’amabilité du personnel. Tout comme Franck, j’avais trois semaines de sursis, maintenant.

On pouvait aller travailler. Franck me prévint qu’il passerait ce soir voir Ludovic pour prendre de ses nouvelles. J’acquiesçai sans dire un mot. De toute façon, je ne pouvais pas l’en empêcher ni lui faire une crise de jalousie. Ce serait déplacé et un peu tard.

Et puis, on rentrait dans une zone de turbulence désormais. Le statu quo mettait tout à plat jusqu’à ce qu’on sache ce qu’on allait faire de ces cinq ou six prochaines années, si c’était un minimum ou le maximum du temps qui nous restait à vivre.

J’arrivai au boulot avec une heure de retard seulement. Je proposai de la ratrapper le jour même. Je n’avais plus besoin de sortir tôt car il n’y avait plus aucune urgence concernant notre couple. De plus, Franck rentrerait tard, donc, je pouvais aussi faire autre chose sans l’avertir.

Soudain, je vivais avec un détachement zen que n’auraient pas renié les bouddhistes. En fait, j’étais sous le choc du test ; ça m’affectait bien plus que je ne le pensais. Je masquais ma peur sous une fausse quiétude et je ne voulais pas que ça puisse transparaitre. Toute la journée, je fis ce qu’on me demandait sans rechigner.

Le soir à la maison, je voulus préparer un semblant de repas, mais je n’avais pas faim, j’attendais que Franck soit là… Il arriva vers 20h30 avec une tête de chien battu comme ce n’était pas possible. Il était triste, ça se voyait. Son ex, Ludovic, n’allait pas bien, et donc, potentiellement nous non plus. On ne dîna pas ce soir-là.

Ensuite, les jours de la semaine s’enquillèrent rapidement. Franck travaillait beaucoup, puis il passait voir Ludovic, un soir sur deux, puis on dînait tous les deux. On avait retrouvé l’appétit ; il le fallait, du reste. On ne pouvait pas continuer à se condamner, ni à s’infliger des restrictions avant d’avoir les résultats du test. On devenait paranos. Dès que l’un éternuait, on se posait tout un tas de questions.

On s’embrassait toujours autant, mais c’était moins fort ; on s’était un peu lassés de ce genre de câlins. En revanche, il me fut impossible de reprendre une activité sexuelle normale. On ne baisait plus parce que je ne pouvais pas, j’étais bloqué. Mais je ne savais pas si c’était dû au test ou à la tromperie. Franck décréta qu’une période d’abstinence nous ferait du bien. De cette façon, mon blocage passerait inaperçu car ça faisait partie du statu quo. Il avait toujours cette façon de tirer parti de toute situation, fût-elle même mauvaise.

Ludovic nous inquiétait plus que notre propre santé. Je ne le connaissais pas encore, mais je ne refusais plus de le rencontrer. Après tout, nous faisions partie de la même famille désormais, nous étions lié par un destin commun.

Franck passait toujours un soir sur deux pour le voir, mais sa santé se dégrada de plus en plus et rapidement. Nous étions au bout de la seconde semaine d’attente des résultats quand Ludovic fut admis à l’hôpital. Cette nouvelle nous procura une secousse dont l’onde de choc se répercuta dans tous les domaines. Nos amis s’inquiétaient de ne plus nous voir et nous harcelaient de questions quand ils arrivaient à nous avoir. Ce n’était rien de dire qu’on avait peur. Ludovic avait été diagnostiqué positif seulement un mois avant que nous nous décidions à nous faire dépister. Et voilà qu’il devait être hospitalisé, maintenant ! Franck était dans tous ses états : sous une apparente tranquillité, il bouillait.

Nous nous étions recroquevillés sur nous-même, nous faisions un blocus, ne voyions plus personne, ne répondions plus au téléphone non plus. Le téléphone fixe porta bien son nom, il ne bougeait plus de sa place. Sauf qu’un soir, je décrochai, imaginant que mes parents voulaient aussi de nos nouvelles. C’était un de mes amis ; ce fut un interrogatoire en règle et je lâchai le morceau, un peu contrarié.

-          Franck et moi avons fait un test de dépistage du SIDA. Voilà, c’est tout, rien de grave. On attend les résultats, dis-je en riant.

J’essayais de relativiser, mais je savais que ce genre de nouvelle pouvait être interprétée de n’importe quelle façon. Dont la pire.

-          Mais, vous pensez que vous avez choppé un truc ?

-          Non, mais il faut bien connaitre un jour ou l’autre son statut sérologique, pas vrai ?

-          Ouais, peut-être ! Mais moi je suis avec Nadia, on a aucune raison de faire ce test. D’ailleurs, je n’ai pas besoin de le faire, je vais bien. Nadia va bien, donc tout est cool… Vous avez merdé, c’est ça ?

-          Non ! Pas du tout….

-          Ah merde, les mecs ! Faites gaffe, bordel ! C’est mortel ce truc !

-          Je te dis que tout va bien. Alors, pas la peine de psychoter.

-          Ok, je te crois… Allez ! On vous embrasse. Surtout pas de bêtises, hein ? Vous nous tenez au courant. Ça m’a fait plaisir de te parler, mais ça serait mieux de te voir, tu ne crois pas ? Allez ! Ciao !

J’avais envie de tuer ce mec. Je savais qu’il ne pourrait pas tenir sa langue, tout comme moi je n’avais pas réussi à tenir la mienne. Des fois, je me fouetterais jusqu’au sang pour m’obliger à la fermer… En plus, c’était un de mes amis. Franck me le reprocherait plus tard, j’en étais certain.

Et ce qui devait arriver, arriva ! D’autres nous appelèrent pour avoir des nouvelles. Tout le monde compatissait alors qu’il ne se passait encore rien. Tant qu’on ne savait pas, tout allait bien.

Du coup, devant cette avalanche téléphonique et sympathique, Franck décida de mettre au courant ses amis, dont Isa. Il utilisa le même mode cool pour l’annoncer, comme s’il avait été faire des courses à la FNAC et qu’il en avait profité pour faire un test en passant. Ni lui ni moi ne révélions l’origine des raisons du test, bien sûr. Isa ne fut pas plus surprise que ça, car avant de se mettre en ménage, elle et son fiancé en avaient fait un. Elle connaissait Ludovic, mais elle ne relia pas sa maladie et nos deux dépistages.

Notre quarantaine volontaire se révéla totalement contreproductive ; et Franck en avait marre de cette mascarade et ne tenait plus en place. Il voulait savoir et nous étions proches du dénouement : ça ne servait plus à rien d’attendre comme ça… Un midi, il m’appela au boulot pour me dire qu’il passerait à Avicenne avant de rentrer, pour voir si ses résultats ne seraient pas arrivés. Lui devait y passer de toute façon car il avait choisi l’anonymat, alors que moi non, mais ça m’obligeait à attendre le courrier puisque j’avais opté pour cette solution.

Il se présenta au secrétariat de l’hôpital avec la peur au ventre, les abdos contractés par la contrariété comme jamais. Il remit à la secrétaire son numéro d’appel.

-          Un instant, je vous prie.

Puis elle se tourna pour consulter une boite aux lettres d’où elle tira une enveloppe.

-          Vous avez de la chance, vos résultats sont arrivés ce matin. Je vais prévenir le médecin qui vous les remettra avec les explications.

-          Des explications ? Pourquoi ?

-          Je ne sais pas, monsieur. Je suis secrétaire, pas médecin.

Quelques minutes plus tard, qui furent sûrement les plus longues de sa vie. Franck fut reçu par le médecin qui, en premier lieu, l’invita à s’assoir.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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