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Didier K. Expérience
4 février 2021

Les Paradis Périphériques E.32/34

Paradis Périphériques

J’avais quitté le Banque Club un peu vite, mais seul Federico m’intéressait, et lui voulait profiter du lieu et des gens qui s’y trouvaient. Comme on se revoyait le mardi suivant, ça me suffisait.

Je planais. J’avais l’impression d’être revenu aux fondamentaux de ma vie. Bon, quand je suis dans un état euphorique, j’ai tendance à exagérer un peu, mais je marchais au moins à dix centimètres au-dessus du sol. Federico avait plus que rempli son contrat, j’avais franchi une barrière mentale, abattu un mur, sans qu’aucune culpabilité ne vienne gâcher le bénéfice de cette journée. Je me sentais vraiment bien.

En rentrant chez moi, toujours sur mon petit nuage, je croisai la gardienne, qui visiblement m’attendait, et qui m’arrêta pour me parler. Jérôme avait encore fait des siennes et elle ne savait plus comment faire pour qu’il se calme. Cependant cette fois-ci, c’était plus grave, semblait-il.

-          Votre voisine de palier s’est plainte des bruits de bagarre et des cris, elle a eu peur. Il faudrait que vous alliez voir monsieur Daniel. Ça serait gentil de votre part. Je suis montée pour me rendre compte ; il y a des affaires étalées par terre sur le palier ; il n’a pas voulu m’ouvrir.

-          Pourquoi n’appelez-vous pas la police ? dis-je un peu faux-cul.

Je savais que la gardienne était en délicatesse avec la police, qu’elle était coincée et que ses « ennemis » dans l’immeuble ne manqueraient pas de le lui rappeler le jour de l’AG parce que c’était aussi de son ressort de régler les problèmes de voisinage. Rien qu’à l’évocation du mot « police », elle grimaça plaintivement. La Cruella des Balkans redevenait une vieille bonne femme un peu pitoyable, parfois. Mais c’était une maligne car elle finissait toujours par trouver une solution, et en l’occurrence, la solution du jour, c’était moi !

-          Ok ! J’irai le voir. Je vous tiendrai au courant.

Elle posa sa main sur mon bras, dans un geste de protection que je jugeai franchement ridicule, et surtout hypocrite.

-          Soyez prudent ! On ne sait jamais.

Je grimpai les trois étages comme d’habitude, sans me presser et sans stress particulier. J’étais trop bien pour me gâcher la journée avec ce genre de problèmes. Mais en arrivant à l’étage, je vis l’étendue des dégâts. Des vêtements étaient éparpillés sur le sol ; des morceaux de verre provenant vraisemblablement d’une bouteille, jonchaient le sol. Bref ! des traces de luttes indéniables. Je remarquai que la porte d’entrée de chez Jérôme n’était pas fermée. Je sonnais. Je n’attendis pas d’avoir la permission pour pénétrer à l’intérieur de son appartement. La disposition des pièces était quasi similaire à celle du nôtre. Le silence qui y régnait était troublant. J’avançai lentement dans le couloir qui menait à la salle principale et à la chambre. Je jetai un coup d’œil furtif à la décoration, c’était plutôt sommaire et surprenant. Je m’attendais à trouver une bibliothèque, un bureau ; enfin quelque chose qui me rappellerait le métier de prof de Jérôme : rien de tout ça, et c’était bizarre… Ça sentait le joint et d’autres substances que je ne connaissais pas ; le ménage semblait avoir été fait, c’était plutôt propre. En arrivant dans la salle, je vis les trois occupants assis, torses nus, calmes, en train de fumer un joint. Je notai qu’un pot rempli à ras bord de mégots trônait au centre d’une table basse. Le silence dans la pièce était lourd, très lourd…

-          Ouais, Daniel ! Que puis-je faire pour toi ?

-          Ben, je venais voir si tout allait bien. C’est un peu le bordel sur le palier… Ça va ?

-          Ouais, ça va ! Tu rentres chez les gens sans y être invité, toi ?

-          J’ai sonné, mais…

-          Ok ! Laisse tomber ! On s’est un peu énervés. On va ranger et nettoyer. Ne t’inquiète pas, dit-il d’une voix neutre.

Je vis qu’un des gars avait la joue tuméfiée. Donc, il s’était pris un coup. Ma fascination pour Jérôme commença à tomber en lambeaux à cet instant-là. Je me remémorai la discussion que j’avais eue avec Franck a son propos : « complètement pourri de l’intérieur ». Cette phrase sembla résonner justement maintenant.

Je restai sur mes gardes, j’avais une drôle d’appréhension, comme si ce que je voyais était une mise en scène.

-          Je peux vous laisser, alors !

-          Ouais, tu peux. Tout va bien.

Jérôme se leva et me raccompagna jusqu’au palier, où il commença à ramasser tout ce qui trainait. Je le sentais nerveux, bien moins cool que la fois où il était venu boire un verre chez nous. La tension était palpable partout où Jérôme se trouvait. Je me risquai quand même à proposer mon aide.

-          Si je peux faire quelque chose pour toi. N’hésite pas. Je suis à côté.

-          Ok ! J’y penserais si j’ai besoin.

Je le regardai ramasser ses affaires. Il était torse-nu, en mini short de sport rouge, pieds nus. Il était toujours aussi beau, mais sa beauté ne m’impressionnait plus. De plus, cet incident m’avait fait redescendre de mon nuage plus tôt que prévu : ce qui accentua mon ressentiment envers lui.

Ma séance de sexe, doublée du stress de la visite chez Jérôme me donna une faim de loup. Je fis un petit-déj tardif : café au lait et sandwich jambon-fromage ; j’étais bien calé pour le moment. Je m’aperçus aussi que je ne sentais pas vraiment la rose. La douche que j’avais prise au Banque Club n’avait pas été suffisante pour effacer ces effluves, mélange d’odeurs corporelles, de latex, et du lieu, qui imprégnaient certaines parties de mon corps. Je reconnus le parfum de Federico sur mes mains, j’hésitai à garder ce genre de souvenir, mais mon savon décida de son sort définitivement. Et puis, le fétichisme n’a jamais été mon truc.

Enfin, je me hâtai d’aller dans le Marais, boire le pot du samedi et retrouver quelques amis. En sortant de chez moi, je jetai un coup d’œil rapide à la porte de mon bruyant voisin ; tout était calme et le palier nettoyé… Je dévalai les escaliers jusqu’au lobby, où j’espérais passer tranquillement, mais la gardienne me tomba dessus comme le rhume en hiver : inévitablement. Cependant je n’avais pas envie de lui parler ni de m’attarder. Je passais en coup de vent en lui faisant signe de la main : « tout va bien ! ».

Au Café Cox, je cherchai du regard Federico parmi la foule des clients, dès fois qu’il y serait aussi, mais je ne le vis pas : j’essayai de n’avoir aucune raison d’être déçu, mais je l’étais un peu quand même. Mais Federico était un pote avec qui j’avais eu des relations sexuelles, rien d’autre. Je retrouvai d’autres personnes avec qui passer la soirée ; c’était bien la première fois que je sortais sans Franck en trois ans de vie commune. Franck me manqua ce soir-là, c’était indéniable.

Du coup, mon escapade avec Federico me sembla subitement moins intéressante ; comme si les tenants n'avaient pas d'aboutissants... Le Café Cox paraissait différent sans Franck. D'ailleurs, tout le monde me demanda où il était passé ; comme si on ne pouvait pas se séparer de temps en temps. Ça me rassura et me conforta sur ce que je faisais avec Federico : rien de grave, tout était même normal.

Je ne séjournai que dans un seul bar, puis je décidai de rentrer.

La loge de la gardienne était bien fermée à cette heure-ci. Pas de musique, pas de dîner d’anniversaire, pas de bruit, le silence total. Tout l'immeuble semblait avoir déclaré forfait, et spécialement ce samedi soir-là. On était vraiment loin de l'ambiance dans la tour d’Aubervilliers. Mon palier était tout aussi silencieux, je n'en espérais pas moins. Avant de me coucher, je consultai le répondeur : Franck avait appelé quand j'étais dans le Marais, j'étais content, je le rappellerais le lendemain.

Avant de m'endormir, je me remémorai la journée que j'avais passée et je n'étais pas mécontent du résultat. Une seule chose m’interrogea : devais-je parler de mon aventure à Franck ? Quelque chose me disait qu'il fallait garder ce périple secret. En tout cas, pour le moment. Lui et Federico se connaissaient, ça c'était sûr, en revanche, je n'avais jamais remarqué si ce dernier était intéressé par mon copain. Alors que Federico ne se gênait pas pour essayer de me tripoter, surtout en public. Franck n'avait jamais manifesté la moindre jalousie, mais c'était peut-être bien dissimulé. Je prendrais ma décision après la seconde séance de mardi. Voilà, je pouvais m'endormir tranquille…

Je dormais profondément quand des bruits me réveillèrent : comme si on déménageait des meubles la nuit.... Ou comme si on se battait.

Je me levai pour voir d'où pouvaient bien venir ces bruits. Pas de doute, c'était sur le palier... j'entrouvris la porte doucement, et je vis que Jérôme et son colocataire essayaient de mettre dehors celui qui avait la joue tuméfiée. Sauf que l'autre résistait. Ils essayaient de le faire sans bruit, comme s’ils ne voulaient pas alerter les autres locataires de ce qui se passait ! C’était plutôt raté comme stratégie. Ils réussirent à le flanquer par terre, à éjecter son sac dans les escaliers et à balancer ses affaires qui se dispersèrent un peu partout. J'observai discrètement la scène sans intervenir, caché dans l'embrasure de la porte.

-          Casse-toi, enculé !

-          Putain, les mecs ! Merde quoi !

-          Casse-toi, on te dit !

-          Bande de bâtards. Vous êtes vraiment de belles enflures.

Je ne connaissais pas les raisons de ce pugilat, et dans l’absolu, je ne voulais pas le savoir, mais Jérôme avait vraiment une vie glauque. Je me raccrochais à ce qu’avait dit Franck à son sujet. Je ne voulais pas le condamner, mais une chose était certaine, on ne deviendrait jamais amis. Si je devais le comparer avec Federico, celui-ci avait une vie saine : c’était un dingue de sexe, mais c’était avant tout pour partager le plaisir. Je n’avais jamais baisé avec Jérôme, mais ce que je vis ne me donna vraiment pas envie. Je fus guéri de mon fantasme en très peu de temps.

Ils réussirent à faire partir le troisième, que je vis ramasser ses affaires et quitter l’étage, l’air dépité et haineux… Je retournai au lit, perplexe. Il était 3h du matin, je ne savais pas où il pouvait bien atterrir à cette heure-ci.

J’eus du mal à retrouver le sommeil. Mon cerveau s’était remis en route, il me faudrait du temps pour le calmer. Je repensais à ce beau Federico que je reverrais mardi prochain dans de meilleures conditions. Je baillai à m’en décrocher les mâchoires, c’était bon signe. Mes rêves seraient sûrement peuplés de beaux bruns...

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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