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Didier K. Expérience
30 janvier 2021

Les Paradis Périphériques E.27/34

Paradis Périphériques

En attendant de pouvoir vérifier la véracité des états de service de Jérôme dans l’Education Nationale, nous avions arrondi les angles et aplani les surfaces de notre désaccord. Bref ! On oublia gentiment… Le restant de la semaine fut plutôt calme pour tout le monde ; l’immeuble somnolait tranquillement et Jérôme mettait ses frasques en sourdine. D’ailleurs, dans la semaine, on ne le croisait jamais sur le palier, ni dans la rue, ni dans le quartier : un vrai fantôme... Ce samedi soir-là, nous allions pouvoir tester la qualité du service de notre gardienne, Mme Bregovic. Elle, si prompte à faire respecter le règlement intérieur, allait-elle se permettre ce qu’elle reprochait aux autres ?

Lorsqu’on passa devant la loge sur les coups de 20h, le calme habituel régnait dans le lobby. De toute façon, nous sortions sans aucune appréhension faire la tournée des bars et voir nos amis dans le Marais ; on verrait bien en rentrant.

Ce soir-là, on préféra rester dans les bars plutôt que d’aller manger, et on opta pour notre circuit préféré : Café Cox, Quetzal, Central et Amnésia. Environ deux litres de bière par personne plus tard, on était fin saouls… Heureusement que la ligne 11 de métro ne comportait que huit stations car nous ne tenions plus debout. On avait ri, raconté notre vie des dizaines de fois, fait des centaines de bises, renversé des verres, les nôtres et ceux des autres, et dépensé l’argent qu’on gagnait péniblement, mais on était bien, on appréciait cette nouvelle routine.

Nous avons poussé la porte de l’immeuble vers 23h. Devant la loge : une dizaine de personnes dansaient et chantaient à tue-tête, tapant dans leurs mains, sur une musique indéfinissable : un genre de mélodie traditionnelle avec flute stridente, sur un rythme techno à décoller les murs, le tout supporté par un chant en slave repris en chœur par tous les invités. On avait l’impression qu’ils avaient installé la sono de Bercy dans la loge tellement c’était fort. Bon, d’accord, c’était une fête d’anniversaire, mais étions-nous obligés d’y participer tous ? En montant chez nous, on croisa Jérôme qui descendait, guilleret, le cœur léger.

-          Salut les gars ! Bonne soirée et bon anniversaire, surtout !

Lui sortait et ne passerait pas la nuit dans l’immeuble, c’était sûr, mais nous oui. Son ironie nous fit rire, mais lui savait le calvaire qu’on allait endurer, bien plus difficile à supporter que ses râles de plaisir qui ne duraient pas si longtemps, et qui étaient bien plus agréables finalement.

La sauterie de la gardienne s’éternisa jusqu’à environ 2h du matin, jusqu’à ce que la police intervienne et fasse cesser le tapage. Donc, quelqu’un les avait appelés et on soupçonna toute de suite notre ami Jérôme. Œil pour œil et dent pour dent, sûrement ; pour certains, la vengeance se rend coup pour coup et dans la foulée… Le silence tomba sur nous d’un seul coup comme une bénédiction et nous permit de nous endormir, enfin.

Nous ne rencontrions pas les mêmes problèmes qu’à Aubervilliers, mais il y en avait aussi ; la différence, c’est que nous n’étions pas au centre de ces problèmes. Nous n’étions concernés en rien, nous subissions plus ou moins, c’était tout.

Nous nous sommes levés très tard ce dimanche-là. L’alcool nous avait bien cassés, tous les deux avec le mal au crâne du siècle, et d’une langue pâteuse prête à coller des timbres. Cependant, nous étions plus que motivés pour finir le week-end au GTD du Palace : on n’aurait raté ça pour rien au monde.

La loge était fermée le dimanche, il semblait y régner un calme olympien. D’ailleurs, le dimanche, tout l’immeuble semblait dormir toute la journée ; même les mouches volaient en silence.

Quand on rentra du GTD, rien n’avait changé, tout était comme figé.

C’est le lundi soir que les choses se mirent en mouvement, si on peut dire. Un vieux monsieur très élégant en costume cravate vint sonner à notre porte ; Franck n’étant pas là, c’est moi qui le reçu, mais on resta sur le palier.

-          Bonsoir monsieur. Je suis le président du syndic de l’immeuble, je viens recueillir des informations concernant les problèmes de bruit de ce week-end. J’ai reçu une dizaine d’appels ce matin et je suis obligé de mener mon enquête pour me rendre compte. Avez-vous entendu quelque chose ?

Décidément, la vie en communauté s’avérait plus compliquée que je ne l’aurais pensé. Ici aussi, le syndic s’immisçait dans la vie des habitants. Ici aussi, les jalousies occupaient certaines personnes. Cette réminiscence me déplut fortement.

-          Euh ! Vous voulez parler de la fête d’anniversaire de la gardienne ? Oui, c’était un peu bruyant, mais ça allait.

-          Donc, vous me confirmez que Mme Bregovic a bien fait du tapage samedi soir ?

-          Dire que c’était du tapage est sûrement excessif, mais c’était animé, quoi !

-          D’accord ! je vous remercie.

Notre entretien ne dépassa pas les quelques minutes, il alla ensuite faire les autres appartements, y compris celui de Jérôme, qui ne répondit pas, du reste… Isa nous expliqua le soir-même qu’en fait, la gardienne passait son temps à dénoncer tout et n’importe quoi pour faire oublier ses propres dérives. L’anniversaire du samedi précédent n’en était pas un, seulement un prétexte pour faire la fête. Elle trouvait toujours une bonne raison pour faire ce qu’elle voulait, au grand dam du syndic. Sauf que les copropriétaires avaient bien plus de pouvoir que les locataires de la tour, et eux avaient plus d’une fois demandés son renvoi. Lors de la dernière assemblée générale, Isa avait voté pour son licenciement. La gardienne y avait échappé de justesse. Mais cette fois ci, le syndic était décidé à agir car sinon, son propre mandat allait sauter. Ce monsieur récoltait des témoignages à charge, qui devraient peser lourd dans la balance le jour de la prochaine assemblée.

Une fois mis au courant de cette histoire, je fis tout mon possible pour l’évacuer de mon esprit. J’étais bien content de ne pas avoir de pouvoir, non que le sort de la gardienne m’indifférait, mais parce que je ne souhaitais à aucun prix revivre les problèmes passés. Une chose me conforta également : j’étais quasiment certain que ce n’était pas Jérôme qui avait appelé la police. Lui se foutait plus que tout de ce genre de tracasseries, du moment qu’il menait sa petite vie. Cette histoire aurait pu me donner raison contre Franck concernant notre différend quant à ce qu’on pensait de Jérôme. Cependant, je décidai de ne pas m’en servir, je ne voulais pas ranimer une zone de conflit inutile entre nous.

A part ces petites histoires, il ne se passait rien d’important dans cet immeuble ; on vivait dans un havre de paix incroyable. Il faut dire qu’il n’y avait que trois appartements par étage, et qu’il n’y avait que cinq étages. On n’avait vu aucun enfant ni aucun chien, donc seuls des adultes vivaient là ; une bonne partie travaillait, mais il y avait beaucoup de retraités. Notre étage cumulait le fait d’être le plus gay et le plus jeune. Le troisième appartement était occupé par un jeune couple hétéro qu’on ne voyait quasiment jamais. Si Jérôme ne s’était pas signalé par sa frénésie sexuelle, on ne l’aurait jamais rencontré non plus, car a part le moment où on savait qu’il baisait, on ne le voyait pas et ses colocataires ou amis étaient tout autant invisibles.

Comme nous n’étions pas parasités par notre quotidien, nous pouvions nous consacrer à ce qu’on aimait le plus : trainer dans le Marais. Les beaux jours arrivant, on y allait même en semaine le soir. Bien entendu, nous n’y restions que le temps d’y boire un verre, mais nous y retrouvions tous nos amis aussi, les uns entrainant les autres…

La météo changeait bizarrement dans notre couple. Il faisait chaud, l’orage grondait. Nous passions toujours de bons moments, mais Franck devenait de plus en plus agacé par tout ce que nous partagions. Plus on approchait de la date de la gaypride parisienne, qui avait lieu traditionnellement fin juin, et plus il était stressé. Je précise cette date car elle fut le déclencheur d’une engueulade avec un des clients du Café Cox, Franck refusant de prendre un tract pour une soirée d’après marche. Il n’y avait pourtant rien d’extraordinaire sur ce tract, mais il le jeta violemment par terre, provoquant la colère du gars qui le distribuait.

Je connaissais assez bien Franck maintenant, pour savoir que ses énervements étaient toujours fondés. Mais là, je ne compris pas du tout. Surpris, je lui demandai de se calmer et de m’expliquer ; mais il m’envoya balader et quitta le bar rageusement.

Je pensais qu’il avait juste une saute d’humeur passagère et qu’il reviendrait de suite, mais non, je le vis qui descendait la rue des Archives en direction du métro : donc, il partait vraiment. Du coup, je quittai également le bar pour le rattraper. Je l’appelai mais rien n’y fit, il redoubla même de vitesse. Je courus après lui comme un petit chien, dépité par son attitude incompréhensible.

Je le retrouvai dans le métro, la tête baissée, les yeux dans le vague, abattu. J’essayai de parler mais son mutisme força le mien. Peut-être valait-il mieux se taire pour le moment, nous règlerions ça à la maison ?

Je suis d’un caractère calme et conciliant, mais anxieux aussi, et ne pas savoir me ronge rapidement. Son comportement risquait de provoquer des énervements qui ne feraient qu’empirer.

A la maison, il me demanda de le laisser tranquille un moment ; il fallait qu’il se calme. Il me confirma que je n’étais responsable en rien de ce changement d’humeur, ce qui me rassura. Cependant, dès qu’il serait calmé, il tenait à me parler. Je compris tout de suite la nuance entre me parler et m’expliquer. Cela annonçait sûrement une mauvaise nouvelle, en tout cas quelque chose qui me concernait, sinon il n’aurait qu’à me dire ce qui avait vraiment provoqué cette colère. Franck n’était pas du genre à parler à la légère ; pour lui, les mots avaient un sens, un poids et une valeur ; donc, il allait m’annoncer quelque chose, et vu sa réaction au Café Cox, j’imaginais quelque chose de négatif. Mais quoi ? Mystère !

Nous avons passé le restant de la soirée chacun dans son coin, il préféra même dormir dans le salon, juste pour cette nuit, me précisa-t-il.

Je ne l’avais jamais vu dans cet état et j’espérais que tout rentrerait dans l’ordre dès le lendemain. Une bonne journée de boulot nous ferait oublier cette désagréable soirée… Habituellement, on se réveillait quasiment en même temps, sauf ce jeudi matin-là ; à mon réveil, Franck était déjà dans la douche. Je pouvais comprendre les sautes d’humeur, mais il y a un moment où il faut s’imposer, pour ne pas se laisser avaler par les humeurs de l’autre…

Le café coulait dans la machine, donc, Franck n’avait pas encore pris son petit déjeuner : on le prendrait ensemble. Tant pis, je serais en retard, mais ça en valait sûrement la peine.

Effectivement, nous avons bu le café tous les deux. Je remarquai qu’il avait retrouvé le sourire, sans pour autant m’en dire plus que les petites phrases d’usage que peuvent échanger un groom-service et un client d’hôtel.

-          Ne m’attends pas pour dîner ce soir, Daniel. Je vais rentrer tard. J’ai des épreuves à corriger au boulot.

-          Franck ! On habite encore ensemble ou tu comptes t’installer chez des collègues, pendant que tu y es ?

-          Ne le prends pas mal ! Je te dirai tout vendredi soir… Allez ! A ce soir ! Je t’aime ! dit-il en m’embrassant sur la bouche.

Ce petit échange me remit en selle. Si c’était une manigance pour que je cesse de m’inquiéter, ça marchait formidablement bien. Franck me connaissait mieux que moi-même et savait comment me diriger, pour ne pas dire me manipuler. Je n’aimais pas ce dernier terme, car je le jugeais négatif, mais il nous permettait de vivre ensemble sans trop de heurt. Je faisais moi-même attention à tout ce que je disais pour ne pas nourrir l’hydre. Car la mauvaise humeur aussi, est un animal à plusieurs têtes, qui se régénère et qui s’auto-alimente. Une vie de couple, ce n’est jamais facile, il faut du doigté pour ne pas tout cramer.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2021

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