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Didier K. Expérience
29 avril 2023

Promène-moi Dans Les Bois - E.29/32

Promène-moi

J’entends une voix de femme, mais ce n’est pas Josiane, je ne la connais que trop celle-là pour ne pas la reconnaitre du premier coup. J’ai déjà entendu cette voix quelque part, mais je n’arrive pas à mettre un nom dessus. J’ai l’impression d’être dans du coton, je suis balloté, allongé sur le dos ; je crois que j’avance, la tête la première. La lumière est revenue, je distingue les néons au plafond qui défilent tout le temps de ma progression, sans savoir où je vais. J’essaie de parler, mais je n’y arrive pas, les mots ne veulent pas sortir de ma bouche. Ils s’y bousculent pourtant, mais rien ne sort. J’entends une autre voix, maintenant.

-          Bonjour Bertrand. On le met en salle de réveil. Dès que l’infirmier anesthésiste te l’autorise, tu le remontes en chambre. Il va arriver dans quelques secondes avec le docteur Rossi-Langlois.

Je crois que je fais un drôle de rêve, je ne suis plus sûr de rien, sauf que je m’endors.

Les deux hommes en blouse bleue qui sortent de la salle d’opération arrivent quelques minutes plus tard et se penchent sur le brancard.

-          Il dort. Faut le laisser se reposer, maintenant… Vous le surveillez encore quelques minutes, le temps de voir si tout va bien, puis vous pourrez le remonter. Merci Bertrand.

-          Ok, docteur !

Les deux hommes et la femme qui accompagnaient le brancard, s’en vont et laissent Bertrand avec André. L’ASH s’approche doucement et murmure à l’oreille d’André :

-          Eh bien ! Vous voilà de retour parmi nous ! Vous verrez, rien n’a changé depuis votre dernier séjour.

André semble vouloir répondre, il tourne la tête, souffle, il babillerait presque. Bertrand se penche pour essayer de l’entendre, mais rien d’audible. Cependant c’est plutôt bon signe : André n’est pas dans le coma, il dort, et il réagit bien. Quelques minutes plus tard, l’infirmier anesthésiste revient voir si son patient est prêt pour aller en chambre. Il constate que la situation est satisfaisante et autorise Bertrand à le remonter.

Sans se faire prier, l’ASH retire les freins et embarque le brancard, direction l’ascenseur. Comme lors de son premier séjour, la chambre d’André se trouve au cinquième étage de l’hôpital. Après quelques secondes de voyage, ils arrivent à destination. Là, une jeune femme en blouse blanche les prend en charge et les dirigent vers le lieu de repos… Bertrand place le brancard le long du lit, défait les ridelles sur les côtés. Il se place à l’avant et la jeune femme se tient à l’arrière, puis ils le soulèvent par les draps d’un coup et le posent aussi rapidement. André est dans un lit douillet maintenant. Il ne se rend compte de rien, il dort quasiment comme un bébé.

-          Merci Bertrand, vous pouvez y aller, on va s’occuper de lui.

-          Ok, Bérangère ! A plus tard.

Désormais, André fera partie de sa ronde et des personnes à surveiller. Bérangère est à la fois contente de retrouver son patient et triste de le revoir si tôt à l’hôpital, mais on ne choisit pas toujours les circonstances pour des retrouvailles. Pour le moment, André est paisible, il reste en observation, son état est stable, pas d’inquiétude. La chambre est plongée dans le noir, cependant une loupiotte est allumée sur la table de chevet ; le silence est total. Il est prêt pour traverser la nuit. Il est seul.

L’infirmière de nuit passe de temps en temps voir si tout va bien. André peut dormir à poings fermés, il ne lui arrivera plus rien, il est entre de bonnes mains.

André ne s’est rendu compte de rien, mais l’heure a tourné sur la pendule jusqu’au matin, et pendant qu’il dormait, le monde s’est reconstitué en même temps qu’il reprenait vie.

-          Où suis-je donc ?

Bérangère se penche au-dessus de lui, son visage à quelques centimètres du sien, elle pourrait presque l’embrasser. Le hasard fait parfois bien les choses, André s’est réveillé au moment où elle passait le voir.

-          Bonjour André ! Comment vous sentez vous ?

-          Bérangère ? Mais qu’est-ce que vous faites là ?

-          C’est plutôt à moi de vous poser cette question, non ?

-          Ah ?

-          Vous êtes à l’hôpital. Vous avez fait un malaise.

-          Ah bon ? J’ai cru que vous étiez chez moi… Ah ça, alors, j’ai fait un malaise ! Mais comment suis-je arrivé ici ?

-          Par chance, votre voisin vous a vu tomber dans votre jardin, il a prévenu les pompiers, et vous êtes arrivé comme une star, avec tambours et trompettes, sirènes et gyrophares. Vous n’êtes pas passé inaperçu, je peux vous l’assurer.

Elle rit de sa tirade.

J’essaie de me redresser dans le lit, mais je n’y arrive pas, je suis encore très engourdi. Le cathéter fiché dans le creux de mon avant-bras me gêne pour remuer. Ma chemise en papier manque de se déchirer au contact du drap.

-          Ne bougez pas pour le moment.

-          Vous savez, je ne me souviens de rien. Black-out complet.

-          Le contraire m’eût étonnée.

Bérangère me remet en forme mon oreiller, tout en faisant attention de ne pas heurter son malade qui reste très fragile.

-          Ainsi, j’ai fait un infarctus ?

-          Oui, mais vous avez été bien pris en charge, c’est le principal.

-          Je suis dans la même chambre ?

-          Non, du tout. La semaine dernière vous aviez vue sur le parking et le bois, cette fois-ci, vous avez vue sur l’entrée et la route. Il n’y avait rien d’autre, malheureusement. Nous sommes complets. Fallait réserver plus tôt ! dit-elle en souriant.

La bonne humeur de l’infirmière ne me réconforte pas plus que ça. Je crois que j’affiche ma tête des mauvais jours, j’ai l’air inquiet, non ?

-          Combien de temps vais-je rester ?

-          Si tout se passe bien, je dirais, le temps qu’il faudra, pas plus… Le docteur Rossi-Langlois va venir vous voir cet après-midi.

-          C’est assez vague comme durée… Merci Bérangère.

Elle ne se mouille pas beaucoup, toujours cette façon de ne pas s’engager, de ne pas se prononcer, comme ils disent, de peur que ça leur retombe dessus. Bon, je comprends… De toute façon, je n’ai pas le choix.

On dira que je suis rassuré, mais seul le médecin peut décider de ma sortie. Maintenant, je comprends mieux les réticences de ce dernier sur mon état de santé lors de son premier séjour.

-          Vous savez, je ne m’attendais pas à vous revoir aussi vite ! On s’est quittés, il y a à peine une semaine, et hop, vous revoilà. C’est gentil de revenir parmi nous. On vous manquait tant que ça ? … Notre hôtel cinq étoiles vous a plu en fin de compte. Et puis, la cantine est si bonne, ça serait dommage de ne pas profiter d’une cuisine si raffinée.

Bérangère a toujours le sourire, c’est déjà ça. Elle semble se délecter de son ironie, je ne la savais pas si taquine. Moi, je ne sais pas quoi répondre, je me sens un peu ridicule. Ce retour à la case départ est si étrange, je ne m’y attendais pas du tout, j’étais persuadé d’être tiré d’affaire, Josiane me l’avait même confirmé. Enfin, la Josiane qui trainait dans les arcanes de mon crâne, bien évidemment…

-          Je vais relever le volet et le laisser à mi-fenêtre, puis vous pourrez vous reposer, vous avez quartier libre… Si vous avez le moindre souci, vous savez comment faire, hein ? Vous appuyez sur le bouton qui est juste à portée de main. Un petit coup quand vous voulez quelque chose ! Trois petits coups quand c’est urgent !

J’acquiesce d’un signe de tête plutôt lent : bien sûr, je m’en rappelle parfaitement, je me suis déjà servi de ce bouton magique qui fait apparaitre les infirmières en un temps record. Je ne risque pas de l’oublier celui-là.

Bérangère quitte la chambre d’un bond en me souhaitant une bonne journée. J’ai juste le temps de voir la porte se refermer doucement… Le gros oreiller qui me maintient le dos est parfait pour amorcer la sieste qui commence à m’appesantir. Je pense que je vais beaucoup dormir durant ce nouveau séjour. De toute façon, je n’ai plus que ça à faire… Je me sens las, j'ai envie de rien, soit les médicaments font leur effet, soit l'anesthésie qui s'estompait peu à peu, continue son travail de sape. En tout cas, je suis vaseux, carrément engourdi. Je n'ai rien dans le ventre non plus, ça doit bien faire 24 heures au moins que je n'ai rien mangé, ce qui doit augmenter mon état de lassitude et de désespoir. Comme j'aimerais être englouti au fond du lit, enfoui définitivement, ne plus être là, disparaitre...

Je sais bien que le monde des vivants est peuplé de maladies, de problèmes, et de contradictions diverses auxquelles on ne peut faire face en permanence, mais dont on ne se sort quasiment jamais. Dès mon réveil, un profond désespoir m’assaille, comme accroché par un grappin qui me tirerait en arrière et qui ne me lâcherait plus. Je sais que je suis sauvé, même si je n'en ai pas encore la confirmation du médecin, cependant ce sauvetage était peut-être inopportun, c'est ce qui est paradoxal. Allons ! La nostalgie qui me submerge m’empêche sûrement de réfléchir convenablement. Je préfère fermer les yeux et attendre que le sommeil me délivre de cette réalité crue qui ne me plait plus. Je n’arrive pas à me réjouir d’être toujours en vie : cette redite ne me dit rien qui vaille car je ne veux pas que ça recommence. La vie de bien portant n’était déjà pas facile, alors celle de malade ne m’intéresse pas du tout : je ne tiens pas à passer le restant de mes jours à faire des aller retours entre ma maison et l’hôpital, ça c’est une certitude.

Je suis quand même content de savoir que Bérangère veille sur moi, c’est une brave femme, dévouée et méritante. Firmine ne devrait pas être très loin non plus : sûrement que je la verrai demain matin. En attendant, va falloir affronter le patron cet après-midi, j’espère être suffisamment présentable, car même si je sors du coma, je n’aime pas ne pas être à mon avantage.

Bon, mes paupières pèsent des tonnes, je n’ai plus de vigueur, il faut que je dorme, je n’ai plus le choix.

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

Crédit photo - Didier Kalionian "Soleil Couchant" Instagram (c) 2020

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