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Didier K. Expérience
28 avril 2023

Promène-moi Dans Les Bois - E.28/32

Promène-moi

Je suis rentré à la maison en ayant le sentiment d’avoir accompli quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas, néanmoins je me sens libéré d’un poids. A la fois content et épuisé, je me jette négligemment dans le canapé du salon. Il n’y a pas si longtemps de ça, après une telle journée, je me serais naturellement servi un whisky ou un bon verre de vin, mais je n’en ai même pas envie, je crois que tout ça c’est fini. Ce sera une simple tasse de tisane camomille chlorophylle, ou un pisse-mémé comme dit mon ex-femme, et ça fera très bien l’affaire.

Mais avant tout, il me faut une petite séance de debriefing pour tenter de comprendre tout ça. Cette balade en forêt m’a vraiment fait du bien. Je suis ravi de constater que cet évènement a aussi rempli ma journée et me comble totalement : comme quoi, il n’est pas nécessaire d’accomplir de grandes choses sur cette Terre pour être heureux. Ce positivisme à tout crin ne me sied pas, d’habitude j’arrive toujours à trouver quelque chose qui ne va pas dans ce que je viens d’encenser, et je finis par retourner à un négativisme de bon aloi, mais là non ! Josiane avait raison : avant mon infarctus, je devais être sacrément chiant. D’ailleurs, mon opération ne m’aura pas que sauvé la vie car vivre à côté de soi ne sert à rien ; en fait, sans le savoir je produisais ma propre ombre et je m’y complaisais. Je n’étais que la version officieuse de moi-même, un assemblage préfabriqué, un ersatz d’être humain. Désormais, je suis obligé de changer radicalement ma façon de vivre, ou je passerai l’arme à gauche pour de bon. D’avoir revu Jeff, mon « Bidule », dans la salle d’attente de l’hôpital, m’aura permis de redresser la barre. Comme lui, je peux rechuter, mais je peux aussi l’éviter, ça ne tient qu’à moi. Il n’est jamais trop tard pour changer de cap. Encore une fois, Josiane avait raison : si elle avait les questions, j’avais bien toutes les réponses.

Et puis maintenant, j’en ai la certitude, si je suis seul et désormais solitaire, il y a pourtant des centaines de gens tout autour de moi avec qui je pourrais parler, échanger quelques mots et/ou une expérience, et qu’importent ces gens et la longueur du moment, et même si je dois me contenter de superficialité, ça sera suffisant : comme avec ce joggeur qui m’aura bien amusé pendant quelques minutes. Je n’ai pas l’intention d’avoir une vie contemplative, je veux pleinement être l’acteur de mes choix. Mais si je dois faire de la contemplation une partie de ma vie, c’est que je l’aurai décidé.

Je commence à m’habituer à cette nouvelle situation d’invalide, on dirait. Je n’ai même pas envie de sucer une énième pastille mentholée antitabac, c’est dire si je suis détendu… Je me rends compte que je parle tout seul, Josiane ne m’a toujours pas interrompu ni contredit, ni n’a validé mes nouvelles idées.

-          Josiane, vous êtes là ? On peut discuter, si vous voulez ? Je vous attends… Josiane ?

Voilà que je me mets à la réclamer, maintenant. Ce silence est assourdissant tout d’un coup ; je n’entends plus rien. Jusqu’à présent, elle réagissait dès que je la convoquais. Je ne comprends pas ce qui se passe. Je ne prends pourtant plus les antipsychotiques, et ces hallucinations ne peuvent pas s’évanouir toutes seules comme par magie. Cette sérénité soudaine m’inquiète tout autant. Ce n’est peut-être plus son heure ? Après tout, elle a peut-être d’autres personnes à enquiquiner ?

Tous ces changements de situation me mettent dans des positions inconfortables et déboulonnent mes convictions une par une. Mais je n’ai plus d’appréhension, je crois que je n’ai plus peur de changer… Josiane est apparue au plus mauvais moment de ma vie et maintenant qu’elle ne donne plus signe de vie, elle me manque… Tiens ! C’est marrant ça ! « Plus de signe de vie ». Alors que Josiane avait quitté le monde depuis quelques semaines, elle était toujours présente, voire vivante pour moi. Je devrais dire qu’elle vivait en moi, qu’elle partageait mon enveloppe charnelle, à deux dans le même corps, c’est bien plus pratique pour régler les problèmes en fin de compte. Occupant une partie de mon cerveau pour répondre à l’autre partie, celle restée libre car Josiane m’occupait, me colonisait, me hantait parfois ; tantôt comme une créature bienfaisante, tantôt comme un parasite coriace. Voilà que je délire, maintenant. Je ne sais plus ce que je dis, faut vraiment que je j’arrête ce monologue.

D’ailleurs, malgré son décès, j’utilisais encore le présent avec elle, alors que maintenant, je suis passé à l’imparfait en l’évoquant, et ça c’est un signe qui ne trompe pas. C’est un indicateur significatif du changement qui s’est opéré ce jour-ci… Enfin, je ne sais plus où j’en suis en réalité. Je débite mes phrases pour me rassurer, mais je sais que sa perspicacité me manque. On n’était pas si proches que ça, mais ses paroles me plaisaient. On peut rester des années avec des gens qui ne vous connaissent pas en réalité, qui ne s’intéressent qu’à eux et qui vous pompent toute votre énergie. La solitude m’effrayait et je pensais que j’avais besoin de ces gens ; maintenant, c’est fini.

J’ai failli mourir de cet infarctus, mais je m’en suis sorti, finalement. Et plutôt mieux que mal. J’ai pris conscience de l’inéluctabilité de ma mort il y a longtemps déjà. Mais en prendre conscience quand tout va bien, c’est une chose, alors que savoir que ça va arriver parce qu’on est au bord du gouffre, en est une autre.

Je me lève du canapé, j’en ai assez de parler tout seul. Cette fois-ci, je dois mettre un terme à ce monologue qui m’épuise. Que je puisse le penser, c’est possible, mais que je doive l’exprimer pour me rassurer n’est plus d’actualité, désormais.

Josiane ne daigne pas me répondre, malgré ma sincère autocritique. Enfin, à mes yeux, elle a l’air sincère ! J’ai quand même fait un effort pour admettre ma nouvelle réalité. C’est dingue ça, je réalise que j’ai encore besoin de son approbation ou de sa reconnaissance pour me réconforter… En fait, j’en parlerai à mon médecin quand je le verrai, c’est quand même lui le plus qualifié pour m’expliquer les phénomènes du corps et de l’esprit.

En attendant d’avoir de nouvelles et fracassantes révélations par voies cérébrales, allons donc nous sustenter : j’ai faim, j’ai soif, je pourrais engloutir tout ce qu’il y a dans le frigo. Et puis, comme vérité intangible, on ne fait pas mieux. La faim est un vrai révélateur, puisqu’on peut même espérer toucher le firmament de la zenitude en diminuant et en rationnant son alimentation. Mais ce n’est plus le sujet : j’ai faim et il faut que je mange, le nirvana attendra.

Malheureusement, j’avais anticipé un peu trop rapidement ma transformation quasi irréversible, du monde des humains vers celui des légumes, donc, je n’ai que des tomates, des concombres, du fromage de feta, du lait et des oignons. Eh bien ! Ça vient comme une évidence, ça me fera une excellente salade grecque, c’est déjà ça. Mon grand retour dans le monde des humains passera inéluctablement par celui du supermarché. C’est le résultat d’une grande bataille entre la spiritualité et la matérialité, et je crois que je suis un indécrottable matérialiste. Josiane sera sûrement déçue que je ne fasse pas un pèlerinage à la bibliothèque ou au musée de l’Homme, mais c’est comme ça.

Je m’installe dans ma cuisine pour préparer ma salade qui sera très généreuse, une salade grecque d’avant leur crise financière. Des tomates, des dés de concombre, des olives vertes et noires, des câpres, un oignon finement ciselé en tranches, une gousse d’ail délicatement écrasée, un filet de vinaigre, une lampée d’huile d’olive, sel et poivre. Un gros morceau de feta que je nappe généreusement d’herbes de Provence, noyé sous une rivière d’huile d’olive… Je n’ai jamais été aussi content de couper des légumes sur mon plan de travail, je crois que rien n’avait servi depuis des lustres, enfin pas consciemment, en tout cas. Aujourd’hui, je redécouvre ma cuisine comme autant de mondes nouveaux et je m’en émerveille. Dire que j’ai failli perdre tout ça en un claquement de doigts. Il peut s’en passer des choses dans un laps de temps très court : tout un monde peut vaciller à tout jamais. Une seconde suffit.

Je me sers un grand verre d’eau du robinet bien fraiche ; qu’est-ce qu’elle est bonne ! Je savoure cette nouvelle simplicité, là est le vrai bonheur.

Pendant que je laisse reposer ma salade quelques minutes, je vais dans le jardin dresser la table. L’après-midi est en phase terminale, le soleil décline lentement, la lumière du jour est presque blafarde, mais il fait encore chaud. Le parasol est ouvert, à côté le saule pleureur remue légèrement, ses branches trainantes semblent frétiller, il est content de me revoir sain et sauf. Je m’arrête un instant pour contempler mon arbre préféré, je vois des peluches de pollen voler tout autour de moi qui proviennent plus sûrement du peuplier. Ou peut-être est-ce des phytohormones qui communiquent avec moi ? Qui sait ? En tout cas, c’est un drôle de spectacle qu’il me plait de contempler. Je laisse également les insectes m’envahir, eux aussi ont l’air contents de ma présence. Ils m’assailliraient presque. Je n’aurais jamais imaginé qu’une abeille puisse japper comme un chien, mais l’image me séduit. Faudra que je pense à semer du trèfle et à installer une ruche quelque part, elles méritent que je m’occupe d’elles plus sérieusement…

Puis, je remarque que quelque chose ne va pas. Je ne sais pas quoi, mais soudain ça ne va pas du tout. J’ai des fourmis dans les mains, je ne sens plus mon bras gauche…

Comme c’est étrange, mais on dirait que le temps change. Je sens un air froid m’envelopper, alors qu’il fait si chaud, j’ai le front en sueur, mais j’ai froid. La lumière du jour est passée du clair au sombre d’un seul coup, comme s’il y avait une éclipse. Le soleil tourne autour de la lune maintenant. J’observe qu’il n’y a plus un seul bruit, ou plutôt, il n’y a plus de son. Oui c’est ça ! L’image qui défile devant moi n’est plus sonorisée ou alors c’est moi qui ne capte plus rien. J’ai de plus en plus froid et je transpire à grosses gouttes, je ne me sens pas bien, j’ai envie de vomir. La suée est de plus en plus forte et à cela, vient s’ajouter la nausée. Je ne comprends pas ce qui se passe, tout allait pourtant bien. J’ai l’impression de vivre une scène de l’Apocalypse dans mon jardin. Ma maison vacille, la terre tremble, mes jambes flagellent, je ne contrôle plus rien. Vais-je recevoir la foudre divine ? Ou je ne sais quoi d’autre ? Ou alors, serait-ce la nature qui reprend ses droits chez moi ? Mais qu’ai-je fait pour mériter un tel châtiment ? Et Josiane qui ne répond plus. On ne peut vraiment pas compter sur elle, c’est incroyable ça !

Maintenant, je me retrouve dans le noir le plus complet, comme si la lumière était coupée. Oui, c’est ça ! Il fait plus que nuit, il fait noir. Mon Dieu, où suis-je donc ? Voilà que je parle à Dieu, maintenant ! Ça doit vraiment être grave ! Il a dû se passer quelque chose dans le monde et je ne suis pas au courant… Était-ce le dernier jour avant la fin du monde ? J’aurais dû écouter les infos au lieu d’aller me promener dans les bois ; ils l’ont sûrement annoncé ce matin et j’ai raté l’immanquable. Si ça se trouve, il fallait se diriger vers les abris ? Mais alors ? Le joggeur aussi ne devait pas le savoir, sinon je ne l’aurais pas croisé, il avait l’air si innocent, si naïf aussi, le pauvre garçon… La nausée monte de plus en plus, je ne tiens plus sur mes jambes, je m’assieds sur le sol. J’ai raté la chaise, pourtant je me suis baissé tout doucement, comme si j’étais au ralenti. Oui, c’est ça ! L’image est au ralenti maintenant et malgré l’obscurité, je me vois clairement tomber, étape par étape, mes genoux fléchissent, mon fessier se cambre, je descends jusqu’à toucher sol, mais j’y vais seconde par seconde comme dans un vieux film des Frères Lumière. Mes gestes sont décuplés, je bouge par à-coup, comme un robot dans l’espace. C’est ça, je flotte comme les cosmonautes dans la station orbitale. Je n’éprouve pas de choc particulier, je n’éprouve plus rien, d’ailleurs. C’est une drôle de sensation.

Ah ! J’entends quelque chose ! Je me redresse, je cherche du regard d’où vient ce son. Un bip lointain. Ou plutôt, un toot ! Oui, c’est un toot, et il se rapproche, je l’entends de plus en plus nettement, toot, toot, toot, toot… ça me fait plaisir d’entendre ce son, c’est la preuve que je ne suis pas seul. Quelqu’un vient à ma rescousse. Je ne vais pas tarder à voir mon sauveur.

-          André ? Vous m’entendez ? André ! Vous êtes là ?

Cette voix connait mon prénom, c’est extraordinaire ça.

-          Je crois qu’il revient à lui, docteur !

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

Crédit photo - Didier Kalionian "Soleil Couchant" Instagram (c) 2020

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