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Didier K. Expérience
3 mars 2019

Némésis - E.31/35

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Finalement, j’ai dû dormir un peu, je me réveille ensuquée, j’ai la marque de l’oreiller sur la joue, j’ai le visage tout fripé. Il n’est pas loin de 17h, la journée de jeudi est bien entamée, mais elle n’est pas terminée pour autant. Elle a déjà été riche en rebondissements, mais ça peut encore rebondir et puis j’attends des nouvelles de mon prince charmant. … Je me lève, je m’habille sommairement. Je consulte mon portable, pas de message : tout va bien. Je fais couler un café, j’ai faim, j’opte pour un petit déjeuner. Il me reste du pain pour faire des tartines, j’ai du beurre et de la confiture, avec des œufs au plat et du bacon, ça sera parfait. Dans le cendrier, j’aperçois le mégot du joint de ce matin, je le rallume, je tire quelques lattes, la fumée de l’herbe se mélange à l’odeur de friture des œufs, j’aime ce mélange des genres, ça m’enracine instinctivement mon quartier, mon Belleville.

J’apporte mon frichti, je me mets en face de la télé, je zappe jusqu’à ce que je tombe sur un documentaire sur F5, un voyage au Pérou, c’est idéal pour hypnotiser l’esprit sans que ça me coûte en réflexion : c’est beau et positif, c’est parfait. J’adorerais partir en voyage dans ces pays-là et en même temps, l’exotisme me fait peur. Belleville est déjà une destination du bout du monde pour beaucoup de gens. Je n’ai jamais vu un endroit où autant d’ethnies étaient représentées, je crois qu’on avoisine les soixante-dix. Rien que dans mon immeuble, je ne connais pas la moitié des langues parlées, entre le serbe et le bambara, le vietnamien et l’arabe, il n’y a que le français que j’arrive encore à reconnaitre, parfois. Pour moi qui ne vis qu’en version originale, c’est-à-dire en anglais, le rêve exotique est un peu en version illimitée ici. Donc, tout bien réfléchi, je suis bien où je suis, pas la peine d’aller au Pérou chercher de l’insolite. Et puis, je suis sûre que des Péruviens habitent dans ce quartier, il y a bien des gothiques, alors pourquoi n’y aurait-il pas des Péruviens ? Et s’il n’y en a pas, on en fera venir, ils sont les bienvenus, on fera de la place pour les accueillir. Une seule condition tout de même : qu’ils me foutent la paix.

Ces documentaires sont tellement policés, sans aspérités, qu’on passerait sa vie à les regarder. C’était agréable de manger en ne pensant à rien… Bon, ce n’est pas tout, mon téléphone me démange maintenant. J’ai envie de lui envoyer un petit message, histoire de lui dire que je suis réveillée. Mais voilà, j’ai un peu peur de la réponse ou pire, qu’il ne réponde pas. En plus, je ne sais pas quoi lui écrire. J’hésite, je suis paralysée une fois encore. C’est un signe qui ne trompe pas, je tiens à ce mec. Je n’ai pas l’impression d’être amoureuse, mais j’ai envie de l’être, ça c’est sûr.

Le téléphone en main, je compose un premier texto, que j’efface finalement. Même lui dire bonjour, je n’y arrive pas. Mon second essai n’est pas mieux, je le trouve gnangnan, j’ai l’impression d’avoir douze ans. Alors que je tente en vain d’écrire ce foutu message, voilà que j’en reçois un.

« Coucou Eileen, t’es réveillée ? C’est Baptiste »

Oh putain ! C’est lui. Ben voilà, on ne pouvait pas faire plus simple et plus direct. Je réponds dans la foulée, mais sûre de moi, cette fois-ci.

« Oh oui, bien sûr ! On s’appelle ? »

Je viens à peine de lui envoyer ma réponse, que le téléphone sonne. C’est du rapide et c’est bon signe. Je décroche et je le laisse parler en premier, histoire de voir ce qu’il veut et d’appréhender le ton de sa voix, qui m’en dira beaucoup plus que les mots. Je ne suis pas télévendeuse pour rien, il faut bien que mon expérience professionnelle serve encore un peu à quelque chose.

-          Eileen ! Comment vas-tu depuis ce matin ?

-          Très bien et toi ? Tu as bien dormi ?

-          Comme un bébé loir, dit-il en riant.

Le ton est enjoué et sympathique, mais ne trahit pas beaucoup d’information sur ces intentions.

-          Voilà, je me disais qu’on pouvait peut-être terminer la soirée ensemble. Qu’en penses-tu ?

Oh ! Je le vois venir, lui !

-          Ok ! Mais que veux-tu faire ?

-          Ben, tu pourrais venir chez moi, à Nation. Comme ça tu verrais mon appart’.

-          Tu veux me faire visiter ta propriété. C’est sympa !

-          On peut boire un verre aussi, bien sûr !

-          Mais, tu veux boire un verre ou plus si affinités ?

-          Ben, les deux, ça serait mieux !

-          Ok ! J’arrive. J’ai ton adresse. Dans trente minutes, je suis chez toi.

Je raccroche, je suis trop contente.

Je me jette dans la douche. Je crois que je suis en train de battre le record du monde de vitesse de lavage, habillage, et crépage. J’enfile un leggin, un sweat-shirt, mes docs et mon perfecto, et hop me voilà dehors. Je cours en direction du métro, je dévale les escaliers, je passe mon Navigo, puis le tourniquet, je bondis jusqu’au quai. Le métro arrive juste à temps, je monte, je me faufile parmi les gens : perfect timing ! De Belleville à Nation, une dizaine de minutes suffisent, il faudra juste que je trouve la bonne sortie, les couloirs de cette station sont un vrai labyrinthe et je n’ai pas envie de m’y perdre aujourd’hui.

La rame est bondée, j’ai envie de pousser tout le monde pour sortir la première. Rien à faire, la foule s’écoule tranquillement comme si mon rendez-vous n’était pas le plus important… Merde ! Je me retrouve devant quatre sorties différentes, je ne sais plus laquelle est la bonne, il faut que je me calme, que je reprenne mes esprits, c’est le cas de le dire. J’aurais bien convoqué la Pythie, ce serait le bon moment pour m’orienter. Jamais là quand on en a besoin celle-là ! C’est aussi le bon moment pour transformer mes fantasmes en réalités agréable. Une autre réalité, non plus sonnantes mais trébuchantes, sera incarnée dès lundi matin par la DRH de mon boulot. En attendant le couperet final, je cours vers la sortie comme si ma vie en dépendait… Je monte les escaliers deux par deux, je n’ai plus de souffle. Je m’arrête deux secondes pour reprendre ma respiration et me calmer. Je suis dans les temps, plus besoin de me presser, je me repère par rapport à la statue qui est au centre. J’aime bien cette place avec ces deux colonnes du Trône qui lui donnent un air spécial, un peu gothique, surtout la nuit, comme en ce moment d’ailleurs. Cette place circulaire en forme d’étoile est à l’exacte opposé de la place Charles De Gaulle Etoile, parfaite pour les défilés militaires, malheureusement. C’est bon, j’ai trouvé la rue, Baptiste n’habite pas loin du métro : encore un bon point pour lui.

Son immeuble est un vieux bâtiment parisien pas très classe qui ressemble au mien. Je sonne à l’interphone.

-           3ème étage, porte droite.

La porte s’ouvre, je rentre. Là, il est temps de faire une petite pause, quelques secondes suffisent pour me refagoter. J’ai couru comme une folle, mais tout a l’air en place, je n’ai pas beaucoup transpiré, c’est déjà ça… Et maintenant, il faut que je me tape l’escalier : trois étages sans ascenseur. J’arrive enfin, en ayant eu l’impression d’escalader l’Annapurna. Baptiste est là qui m’accueille, les bras grands ouverts, mais l’iroquois affaissé.

-          J’ai oublié de te prévenir : il n’y a pas d’ascenseur ! dit-il en riant.

Je tire la langue en guise de réponse, je suis exténuée d’avoir couru puis d’avoir affronté ses marches. Il me serre dans ses bras, je me laisse faire, on s’embrasse gentiment (on est encore sur le palier).

Baptiste me fait visiter son studio, qui à l’air plus grand que le mien, une trentaine de m², ses fenêtres ne donnent pas sur la rue mais sur une cour intérieure, ce qui le rend très calme. Une kitchenette dans un coin et une petite salle de bain dans un autre, complètent son royaume. Je remarque les moulures qui bordent le haut des murs, c’est un vieil appartement bourgeois mais il est plus sympa que son immeuble ne le laissait supposer. Pas de mobilier mais une cantine, une table basse et un lit à même le sol : c’est sommaire mais pratique, confortable. Aucun symbole religieux n’est visible, c’est un bon point. Un lecteur CD diffuse de la musique, je reconnais un morceau de Rammstein, ça me plait bien. Un poster géant de Marilyn Manson est fixé au-dessus du lit. Baptiste a fait brûler de l’encens et ça sent bon. L’ambiance est juste ce que j’espérais.

-          Tu veux une bière ?

-          Après !

Je l’entoure de mes bras et je l’embrasse ; je lui mords les lèvres, j’ai envie d’être dévorée, qu’il me mange, qu’il ne reste plus rien de moi. Je le veux tout de suite.

On se déshabille rapidement, il a un bel équipement, il passe aussi ce test haut la main. On se roule dans les draps, les préliminaires ne durent pas longtemps, je lui indique de passer aux choses sérieuses quasiment tout de suite. Les préservatifs étaient sous l’oreiller, il en enfile un, c’est parti... Il est d’une douceur incroyable, je ne peux pas m’empêcher de le comparer à Cheval Fou et à Morituri, qui eux m’avaient bourrinée comme à la parade. Je compare mais j’oublie aussi vite, ces deux-là ne méritent plus que je me souvienne encore d’eux… Sa peau est soyeuse, imberbe, mate, chocolatée, alors que je suis couleur aspirine, le contraste est saisissant. Ma fatigue a disparu, je me sens bien, je suis transportée dans un autre monde, mon Dieu qu’il me plait.

Notre premier tête-à-tête ne dure qu’une trentaine de minutes mais je suis pleinement satisfaite, j’aime la qualité avant tout. On reste au lit, Baptiste sort un joint qu’il avait préparé avant mon arrivée, on le partage tranquillement. Fumer dans ces moments-là est toujours une grande délectation, un plaisir rare… On se regarde sans parler, on s’observe, on se sourit, on se plait sans aucun doute. Je sens quand même qu’il a envie de dire quelque chose, ce silence l’angoisse peut-être ?

-          Alors ! Ça t’a plu ?

J’éclate de rire. C’était juste pour me demander ça. C’est tellement prévisible des mecs.

-          Tu n’es pas sûr de toi ?

-          Si ! Bien sûr ! Moi ça m’a plu. C’est que… Voilà, quoi !

Je vois que je l’ai un peu déstabilisé. Je rattrape le truc tout de suite par un sourire de connivence.

-          Je suis montée au ciel, je me suis bien éclatée. Tu en doutais ? Ben, je te rassure, c’était classe.

J’évite de trop en faire pour ne pas déséquilibrer la relation et pour ne pas en faire un coq de plus dans la basse-cour.

Là, il se lève mais me demande de ne pas bouger du lit. Il revient avec un plateau chargé avec des bières et des amuse-gueules, je le regarde se mouvoir avec la grâce d’un félin, il est svelte, aérien, on dirait un homme de la savane. Bon, ça je le pense mais je ne le dis pas, parce que même s’il est métisse noir, c’est aussi un vrai Parisien et un pur citadin, je ne veux pas risquer d’incident diplomatique à cause d’une remarque qu’il pourrait mal interpréter. Je me rends compte que je prends des pincettes avant de parler, y compris quand je pense à lui, c’est signe que je tiens à lui. C’est encore trop tôt pour le dire, mais je meurs d’envie de prononcer « les » trois mots.

Didier Kalionian – Le Blog Imaginaire © 2019

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