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Didier K. Expérience
4 mars 2019

Némésis - E.32/35

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On prend l’apéritif au lit, j’ai l’impression d’être une VIP au pays de Robinson Crusoé. D’habitude, je saute dans la douche après avoir fait l’amour, alors que là, je me laisse vivre, je m’en fous. Tarzan et Jane sont au lit et se foutent de ce qui se passe dans le reste du monde… Cependant, il faut que je sache ce qu’il attend de notre relation. Ma première question me brûle les lèvres, elle va déterminer toutes les autres.

-          T’as quel âge ? Moi, j’ai cinquante ans.

-          Cinquante ? Tu ne les fais carrément pas ! Moi, j’en ai quarante-cinq.

-          Toi non plus. Tu fais vraiment plus jeune…

Oh ! Il est plus vieux qu’il en a l’air. C’est incroyable, ça ! … Sinon, mon annonce est passée comme une lettre à la poste : l’âge n’est pas un problème pour nous deux. Je respire, je me détends.

-          Et tu deales pour vivre ?

-          Si je ne faisais que ça, je ne survivrais pas longtemps. C’est occasionnel mais ça me dépanne bien. Je suis barman, je fais le service de nuit, ça me permet de pouvoir sortir en boite dès que j’ai terminé, c’est pratique. Je peux me looker comme je veux et le bar est à deux pas d’ici… Je ne travaille pas ce soir, par exemple.

-          C’est cool ! Je croyais que tu étais pote avec Chauve-Pourri.

-          Je le connais très bien, depuis plus de vingt ans même. Je l’ai rencontré au Boucanier, tu vois ça date ! Mais je te parle sûrement d’un temps où même Jésus était jeune homme. Tu n’as peut-être pas connu cette boite ?

-          Je n’ai pas connu la jeunesse de Jésus, mais j’ai connu les grandes heures du Boucanier, dis-je en riant.

On rit. Tout se passe bien, c’est génial mais ça m’inquiète un peu, c’est trop bien. Chatte échaudée craint l’eau froide et etc…

-          Et moi, je suis télévendeuse, je réponds au téléphone toute la journée. Mais je vais peut-être devenir chômeuse à partir de lundi, mon service met la clé sous la porte : j’ai reçu une convocation pour me présenter à un entretien. Bon, je m’en fous un peu, j’en avais marre, ça tombe bien, et puis c’est la vie, non ?

-          Bah ouais, tu feras autre chose. Le boulot n’est pas une fin en soi, c’est juste un moyen ! L’argent, on s’en fout de savoir d’où il vient, du moment que tu en as pour payer tes factures et t’éclater. Au pire, tu vas avoir droit aux allocations chômage pendant au moins deux ans. No stress !

Il prend un air sérieux tout d’un coup.

-          Tu sais, je ne suis ni directeur artistique, ni ingénieur informaticien, ni docteur en sciences physiques, ni chanteur dans un groupe. Je vis au jour le jour, je m’éclate autant que je peux, je ne fais de mal à personne, je porte un kilt mais je ne suis pas Jean-Paul Gaultier. Je fais plus ou moins ce que je veux et je suis libre.

-          Tu dois attirer les filles comme un aimant, non ? Un beau mec comme toi, intelligent en plus…

-          Pour tirer un coup, ouais, j’ai du monde, mais je n’ai personne pour partager mon idéal de liberté. Elles veulent toutes que je les emmène aux Antilles, ou à Berlin ou à Londres ou je ne sais où ! Or avec moi, on dépasse rarement la Porte d’Orléans : tu vois, ça casse le rêve, non ? J’ai les moyens de vivre comme un punk, pas comme une rockstar, et ça ne sert à rien de faire semblant parce que ça te retombe tout le temps dans le coin de la gueule.

Je bois ses paroles, elles sont directes, sans fioritures. J’adore ! C’est ce mec qu’il me faut.

Là, il mime une fille un peu nunuche.

-          Tu sais la question qu’elles me posent le plus : « tu es noir et tu es vraiment gothique ? Ce n’est pas banal, ça ! » Je ne tombe que sur ce genre de connes. Tu te rends compte ?

Voilà une mise en garde bien utile. Il est noir métisse, et c’est vrai qu’on s’en fout, donc je ravale ma langue.

Mon Dieu qu’il me plait ! Je prends le plateau et je le dépose par terre. Je me tourne vers Baptiste et je l’embrasse goulument, j’ai furieusement envie de lui. Il se débarrasse du joint, on s’enfonce dans le lit et c’est reparti pour un tour de grand huit, sans limitation de vitesse.

Une bonne quinzaine de minutes sans temps mort. On ne se découvre plus, nos corps s’écoutent comme s’ils étaient autonomes, c’est presque magique. Cette fois-ci j’ai juste titillé les anges mais c’était bien, je suis tellement contente d’être dans ses bras que je n’ai plus envie de me décoller de lui. Je reste contre son corps, lovée, emboitée, encastrée dans un noir et blanc évident, dans un yin et yang improbable, on ne forme plus qu’un.

Il est bouillant, c’est une étuve, je sens sa sueur couler entre nous deux, il suffoque, il a joui comme si sa vie en dépendait, comme si les fluides que son corps étaient capables de créer, étaient sortis d’un seul coup, le vidant totalement, le laissant sans substance, presque sans vie. Je me sens achevée par cette scène. Je ne pourrais pas recommencer de suite, mais j’en ai envie.

J’ai toujours envie de caresser son corps, je lui propose de continuer dans la douche. Je me rappelle que Morituri avait voulu jouer après nos ébats ratés, mais je ne pouvais plus supporter qu’il me touche. Là, j’ai envie d’une cascade d’eau chaude, de le savonner, de le frotter et de nous rincer, je veux vivre le moindre instant avec lui, je ne veux plus le lâcher. Je suis très souvent dans cet état, je l’avoue, mais là, je vois que je le regarde avec les yeux de l’amour : je suis une incorrigible amoureuse. Je ne peux pas encore prononcer les mots fatidiques, mais ils se forment déjà dans ma tête, ils clignotent comme des néons dans mon cerveau, c’est la nouvelle enseigne de ma petite entreprise, c’est le salopard que j’attendais.

Lui se laisse faire. Il me sourit, il a l’air bien mais je n’arrive pas à savoir ce qu’il pense. Je ne veux pas lui poser des questions, c’est une évidence que tout va bien… On se sèche mutuellement, on s’habille sommairement, histoire de ne pas attraper froid, il m’allume une clope.

-          Tu as faim ? On peut se faire des pâtes, j’en mangerais tous les jours tellement j’aime ça.

Des pâtes ou n’importe quoi, du moment qu’on reste ensemble, je mangerais du sable si ça pouvait m’aider à le garder… Pendant qu’il prépare les ingrédients, je formule des phrases dans ma tête, je pèse chaque mot plusieurs fois, mais j’ai une question qui ne peut pas attendre, il faut que je sache.

-          Au fait, tu as déjà vécu en couple ?

-          Oh, ça oui ! Plusieurs fois, même ! la dernière fois, c’était il y a déjà deux ans. On est resté cinq ans ensemble. Une fille sympa, on s’entendait bien, mais elle voulait vivre à Marseille, pas moi. Tu me vois à Marseille, moi ? Donc, elle est partie réaliser son projet, je ne pouvais pas l’en empêcher, on est toujours amis, on se voit de temps en temps. C’est la seule avec qui j’ai gardé un contact, les autres ont plutôt été des ruptures chaotiques, mais je n’ai pas envie d’en parler, ça me fait chier de revivre ça !

Il remue les pâtes, la cuisson avance bien. Je me sens un peu dans ses pattes, également.

-          Pourquoi me poses-tu toutes ces questions ? Que cherches-tu ?

-          J’aime bien savoir. Tu m’intrigues et tu me plais beaucoup.

-          Tu te demandes si tu pourrais être ma meuf, hein ?

Je manque de m’étrangler. Merde ! Ça se voit tant que ça ? Je réagis aussi vite que je peux, je bafouille une réponse qui manque sûrement de sincérité.

-          Ben, on n’en est pas encore là, mais on peut essayer de se voir pour se connaitre mieux.

-          Et dans le cas où on collerait bien ? Que devrait-il se passer ?

Je suis contre le mur, là. Je suis acculée. Je sais que je rougis, c’est plus fort que moi.

-          Je ne sais pas. Si on se plait, c’est qu’il y a quelque chose et qu’il faudra envisager une suite.

Il sourit, il sait qu’il me tient.

-          Je ne dis pas non, mais c’est encore trop tôt. Ce n’est pas parce qu’on a baisé ce soir, qu’on s’aime, non ? Je ne sais pas si je suis fait pour l’amour. Mes différentes expériences m’ont montré que j’ai certaines aptitudes, mais aussi des déficiences. Par exemple, je ne suis pas fidèle et je ne le serai jamais.

Il devient très sérieux, la conversation prend un tournant que je n’imaginais pas.

-          Je ne passe pas ma vie à chasser la femelle, mais quand j’ai une occasion, eh bien, je me laisse tenter. C’est souvent sans lendemain, mais c’est comme ça. Mais ce qui est valable pour moi, l’est aussi pour toi. Tu es aussi libre que moi !

Baptiste me sert une bière. Je vois que désormais, on a une discussion de pote à pote, je me contente d’acquiescer, je suis un peu décontenancée par ces révélations.

-          A part ça ! Je sors beaucoup. Grâce à mon boulot, je suis libre à minuit, c’est idéal pour aller en soirée. Tu sais aussi ce que je fais pour arrondir mes fins de mois, je deale mais je n’y touche pas, sauf le joint, bien sûr. Donc, j’ai besoin de ma liberté de mouvement, ce qui veut dire que je ne peux pas partager d’appartement. Chacun chez soi et Dieu pour tous !

Les pâtes sont prêtes, il les égoutte dans une passoire qu’il avait disposée préalablement dans l’évier. Puis, il les remet dans la casserole, il ajoute un filet d’huile d’olive, des herbes de Provence, du poivre, il remue le tout. Il me tend des assiettes, on va s’installer sur le lit. Je m’exécute mais je ne dis toujours rien, je pensais savoir où il voulait en venir, mais là, je suis un peu perdue. Pendant que je sers, il apporte des bières et du fromage râpé. C’est frugal, c’est simple, mais nos parties de jambes en l’air m’ont tellement donné faim que je pourrais avaler un bœuf. Il me sourit puis se penche pour m’embrasser.

-          Tu sais pourquoi je te dis ça ? Parce que tu as été déçue par ton dernier mec, parce que tu es une grande déçue, ça se voit. Morituri n’est pas un mauvais type, mais il faut savoir où on met les pieds, avec lui. Je le connais très bien, comme beaucoup de monde dans ce milieu… Peut-être qu’il y aura une suite après ce festin, c’est toi qui décideras. Mais quoi que tu décides, tu ne pourras pas dire que je ne t’aurai pas prévenue avant. C’est important pour moi parce que je dis ce que je fais et que je fais ce que je dis.

-          Tu dis que c’est à moi de décider, parce que tu serais d’accord pour être mon mec ?

-          Pourquoi pas ! on se plait, c’est aussi évident que le nez au milieu de la figure. Et puis, on n’a pas quatorze ans, ni même vingt et un, on n’est pas obligé de faire des serments ou de signer un contrat, donc on peut faire des concessions, avoir une façon de vivre un peu atypique, qui nous ressemble en fait, non ?

Ces paroles me remettent d’aplomb tout d’un coup. Je sais qu’il a raison, qu’il faut que je fasse évoluer ma façon de penser. En tout cas, il m’interpelle, c’est encore un bon point pour lui.

-          Tu sais ce qui m’a toujours plu dans le milieu gothique, c’est que tout le monde a des casseroles, on est tous des inadaptés. Plus on est bizarres ou différents et plus on se respecte pour ça. Bien sûr, on n’est plus dans les eighties où tout était sympa et novateur, d’ailleurs l’évolution du mouvement n’est pas très satisfaisante actuellement. Entre les satanistes et les supporters du FN, on n’est pas dans la merde ! Mais la musique reste, c’est notre kiffe et c’est le principal. J’ai eu du mal à m’intégrer au début à cause de ma couleur de peau, mais maintenant tout le monde s’en fout. Tu vois, je déteste le zouk et je préfère Rammstein et c’est très bien comme ça… Tu reveux des pâtes ?

Je tends mon assiette, j’adore être là, partager ce moment, maintenant. Je suis redevenue une adolescente, ou peut-être n’ai-je jamais cessé de l’être ? Je l’écoute, je bois ses paroles, c’est mon Jésus.

-          Tu ne dis rien. Qu’en penses-tu ?

-          Je veux bien faire un bout d’essai avec toi, avec tes conditions. Je te dirai les miennes quand je les aurai réunies. J’aurai une petite liste à te soumettre, dis-je en riant.

Didier Kalionian – Le Blog Imaginaire © 2019

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