Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Didier K. Expérience
2 mars 2019

Némésis - E.30/35

IMG_20190619_093509_320

Baptiste est garé à l’autre bout de la place de la Bastille, vers Richard-Lenoir, il m’explique qu’il a eu du mal à trouver une place gratuite dans le secteur.  Se taper quinze minutes de marche dans le froid humide parisien, ça a du charme parfois, mais pas ce matin, là je suis pressée de regagner la chaleur douce de ma couette. Il m’a tenu par la main jusqu’à ce qu’on arrive à l’emplacement. Sa main est tiède, moelleuse, tendre, je pourrais y passer l’hiver. Je n’ai pourtant pas l’impression d’avoir été draguée, ni qu’il emporte sa conquête à la maison. Malgré cela, je me laisse faire, je suis dans une bonne disposition, sûrement.

En voyant sa voiture, j’ai presque envie de rire, mais je me retiens. Jean-Jacques avait une grosse BMW, alors que Baptiste à une Clio, trois portes. Je vois que les super héros peuvent aussi avoir des fins de mois difficile.

-          Ne t’inquiète pas, elle roule ! Elle est d’occase, mais pour faire ce que j’ai à faire, c’est suffisant.

-          Etant donné ton look, je ne m’attendais pas à ce que tu aies une aussi petite voiture. Ou alors, ça a bien changé chez Mad Max, ces derniers temps.

Il rit !

-          En revanche, le chauffage ne fonctionne pas, mais j’ai l’allume-cigare.

On rit derechef, ça me fait du bien cette bonne humeur, même si on se les gèle dans sa caisse. Ça mériterait presque une photo : un punk noir avec un iroquois rouge et une gothique en blond platine, serrés dans une boite d’œufs. Vu de l’extérieur, la scène doit être assez cocasse.

Enfin, on roule dans Paris, direction Belleville. A part les éboueurs, il n’y a pas grand monde à cette heure-ci. Notre respiration fait de la buée, j’ouvre un peu la fenêtre, j’ai envie de fumer, Baptiste me parle, je me laisse bercer par le son de sa voix qu’il a suave, qui me transporte. Il bavarde sans discontinuer tout en conduisant, ses phrases sont ponctuées de rires, je ris en même temps que lui, je n’écoute pas vraiment, mais je suis bien, j’ai presque envie que ce trajet ne finisse jamais.

De Bastille à Belleville, il n’y a pas de quoi tourner pendant des kilomètres non plus, et au bout de quinze minutes, on a fini par arriver, irrémédiablement. Il se gare, coupe le moteur.

-          On y va ?

-          Tu veux vraiment monter chez moi ?

-          Tu m’as promis un dernier verre, c’était le deal, non ?

-          Ok ! Ça roule !

Baptiste me suit jusqu’à mon troisième étage. Là, il se débarrasse de son perfecto blanc et se met à l’aise. Pendant que je fais couler un café, il roule un joint. Je lui propose d’enlever ses rangers et de s’installer mieux sur mon lit. Je sais que je prends un risque car s’il ôte ses chaussures, il va peut-être croire qu’il pourra rester pour la nuit. Or pour l’instant, je ne sais pas ce que je veux ; il me plait, il m’amuse, mais ai-je envie de coucher avec lui ? … Je n’ai en tout cas, pas l’intention de bâcler cette fin de soirée. Je fais attention à tout ce que je fais et à tout ce que je dis, c’est un signe qui ne trompe pas, je veux l’impressionner. J’ai l’air de lui plaire, j’en suis certaine même, cela me paralyse.

Baptiste me fait une place sur le lit, je m’assieds contre son torse, je suis entre ses bras, il me tend le joint qu’on fume à tour de rôle, tout en buvant des gorgées de café. Je me laisse envahir par cette chaleur bienfaisante, je suis comme en apesanteur, sa délicatesse me surprend et me ravit en même temps. Puis, sa main se pose tranquillement sur mon menton, et tourne ma tête vers lui. Je vois sa bouche qui descend vers ma bouche, je l’accueille avec gourmandise, mes yeux le dévorant. Il m’embrasse par petites touches, juste du bout des lèvres qui tamponnent mes lèvres, qui se répondent, j’ai chaud soudainement, de plus en plus chaud. Baptiste me souffle la fumée du joint sur le visage. Il m’enveloppe d’une douce odeur, ses bras m’enserrant un peu plus, refermant leur étreinte, je suis prise au piège.

-          Baptiste ! Non !... Je suis désolée, je ne vais pas pouvoir, pas maintenant.

Je me dégage, je me lève, je descends du lit. Il est tout étonné. En me levant, je renverse ma tasse de café sur le plateau.

-          Désolée, je ne sais pas ce qui m’a pris, d’habitude, je suis plutôt soigneuse comme fille…Excuse-moi.

Je bafouille. Je suis troublée, je perds un peu les pédales.

-          Je te trouve super, ce n’est pas la question, mais je me suis fait larguer un peu trop souvent ces temps-ci. Franchement, je n’ai pas envie d’un coup vite fait bien fait. Non, pas cette fois-ci.

Je ne m’attendais pas à ce que ça sorte aussi facilement, je ne voulais pas autant de franchise.

-          Ok ! Pas de soucis. Tu sais, rien n’indiquait qu’on allait baiser. C’est juste que je me sentais bien avec toi. Je pense que toi aussi, tu étais bien… Excuse-moi si j’ai mal agi ou si j’ai laissé croire quelque chose... Tu veux que je te laisse ?

Maintenant qu’il m’a proposé de partir, j’ai envie d’accepter, mais j’aimerais aussi qu’il reste, je ne veux pas le perdre sur un malentendu. J’essuie le plateau comme une gourde.

-          Ok Eileen ! Ne réponds pas, j’ai compris, je te laisse.

-          Tu peux rester…

-          Je vais te faire une proposition. Je préfère partir. Ce soir je t’appelle et on parlera. On a tous les deux besoin d’une bonne nuit de sommeil, je pense. On aura les idées plus claires tout à l’heure.

Il se lève, chausse ses rangers. Il sort une carte de visite de sa poche, qu’il dépose sur le lit.

-          C’est mon numéro et mon adresse, comme ça, pas de surprise. Tu vois, j’habite à Nation, on est voisins.

Je grifouille sur un bout de papier mon numéro de téléphone. Je suis un peu décontenancée, mais sa proposition me convient.

Il se tient devant moi, il est vraiment très grand. Son iroquois lui donne des allures de chef indien, il ressemble un peu à Magwa, le beau Huron dans « Le Dernier des Mohicans », je le trouve diablement sexy. Moi, je redeviens cette petite fille impressionnée par les géants protecteurs, qui ne sait plus ce qu’elle doit faire.

Il s’approche, ouvre grand ses bras, me plaque contre lui, et m’embrasse tendrement. Je sens son corps chaud, sa sueur, sa peau cuivrée, tout ça m’enivre littéralement. J’ai du mal à me décoller, je passerais ma vie entre ses bras, à le couvrir de baisers. Dès qu’elles se séparent des miennes, ses lèvres reviennent comme des ventouses ou plutôt comme des pôles attirés par leur contraire. En fait, je préfère les pôles aux ventouses, ça nous correspond mieux et ça fait plus mystique, moins mécanique. Enfin il se détache. Mon studio n’étant pas assez grand, je n’ai même pas besoin de le raccompagner à la porte, malheureusement. Je referme délicatement.

Je me jette sur le lit, je ramasse la carte de visite, je suis sous le charme, comme envoutée par ce sorcier vaudou. Ce soir sera notre épreuve du feu, s’il n’appelle pas, c’est foutu… Finalement, je me débarrasse de mes vêtements et je me couche. Je n’ai pourtant pas fait des folies de mon corps mais je suis exténuée.

 

***

 

Je ne sais pas depuis combien de temps je dors, mais je sais que je dors car quelque chose vient de perturber mon rêve : j’entends une sonnerie. Ce n’est quand même pas mon réveil puisque je suis encore en vacances. Non, ce n’est pas ça… C’est insistant, ça ne veut pas s’arrêter, merde ! J’entends une voix, maintenant. Je regarde l’heure, il est 13h.

-          C’est le facteur ! Courrier recommandé, madame !

Là, plus de doute : c’est la sonnerie de la porte. Je me lève en catastrophe, j’ai à peine le temps de passer un peignoir, j’ouvre ou plutôt j’entrebâille. Le facteur me tend la lettre et un stylo pour signer le carton rose de l’AR. Je griffonne un truc, j’attrape la lettre et je referme. Je suis un peu énervée.

Je ne suis pas vraiment d’humeur à lire mon courrier maintenant, mais je suis intriguée. Qui peut bien m’écrire en recommandé ? Je décachette en essayant de ne pas tout déchirer. Il y a plusieurs pages, c’est mon employeur. Je pense à la promotion dont Martine m’avait fait part, c’est peut-être son officialisation ? Mais, la lecture de l’objet m’arrête net.

« Convocation à un entretien préalable en vue d’un licenciement pour raison économique ».

-          Oh !

J’ai horreur de parler toute seule et en règle générale, je m’abstiens de tout commentaire sonore, mais là, je n’ai pas pu retenir une exclamation. Mon service est supprimé et il m’est confirmé que je vais être licenciée, je dois me présenter lundi matin au service du personnel. Je suis masquée, là. Où est donc passée cette fameuse promotion ?

Je ne sais pas comment je dois le prendre. J’attendais ce moment depuis si longtemps, qu’aujourd’hui je suis perplexe. La proposition de ma dingue de chef avait ouvert des perspectives d’avenir séduisantes dans cette boite maudite, j’y avais cru. Ce qui m’étonne, c’est que sur les deux pages de blablas, pas une ligne ne mentionne cette probabilité. Ok ! C’était une probabilité, mais si je ne suis pas retenue, ils pourraient au moins me le dire.

En tout cas, je suis définitivement réveillée. Je réchauffe le café que j’avais fait couler pour Baptiste et je m’allume une clope. Mon cerveau est en surchauffe, cette nouvelle bouscule tout sur son passage. C’est plus dur d’y résister que prévu. Je me verse le café dans le mug dans lequel Baptiste avait bu. Je reconnais la trace de ses lèvres, je place les miennes sur les siennes, le breuvage n’en est pas meilleur mais j’ose le croire. Il me suffit de penser à ce gars pour qu’il chasse les mauvaises nouvelles qui venaient de se loger dans ma tête. C’est donc plus important que cette lettre de malheur. Quoi qu’il arrive, c’est un sujet que je ne pourrai pas lui cacher. En espérant qu’il appelle ce soir, bien entendu.

J’écrase ma clope, j’ouvre la fenêtre pour aérer deux minutes, je termine le café puis je me recouche.

Je suis quand même bouleversée par ce courrier, je ne m’y attendais pas si tôt. Je ne vais pas pouvoir me rendormir, c’est sûr, mais je suis mieux allongée qu’a tourner en rond dans mon studio à me ronger les nerfs.

Didier Kalionian – Le Blog Imaginaire © 2019

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Vous pouvez retrouver la communauté des lecteurs sur Facebook à : DKalionian BlogImaginaire)

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Didier K. Expérience
Publicité
Archives
Newsletter
12 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 21 531
Publicité