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Didier K. Expérience
21 septembre 2021

Les Circumpolaires E.21/34

Circumpolair

Puisque c’était autorisé aujourd’hui, je ne me gênai pas pour me servir de grands verres de champagne que j’avalai avidement, et en plus c’était du bon. Lorenzo et Roberto parlementaient dans leur coin, les cinq minutes allaient dépasser la demi-heure bientôt. J’espérai ne pas avoir gaffé en révélant que Joël avait fait une petite gardav’, ou alors c’était mon refus potentiel à la petite sauterie du week-end qui les mettrait dans l’embarras ? De tout façon, je n’avais rien d’autre à faire pour le moment, j’étais venu avec ma voiture, je pourrais repartir quand je le voudrais.

Enfin, ils revinrent au salon, l’air toujours aussi grave. Sûr, ils étaient perturbés. C’est Lorenzo qui reprit le cours de la conversation.

-          Hey ! Ça va ? Rien de particulier, on avait besoin de discuter Roberto et moi. Les couples, c’est comme ça, ça discute beaucoup.

Roberto restait sur la défensive, il y avait de l’électricité dans l’air.

-          Bon, tu dis que Joël a fait une gardav’ et qu’il en est ressorti sans problème. On ne va pas te mentir ni te prendre pour une dinde de Noël, mais on n’y croit pas. Joël a déjà fait des gardav’ et il a sûrement un casier, donc il est bien connu des services de police. Toujours pour des conneries, mais suffisantes pour faire de petits séjours à l’ombre. Pourtant, il n’y va jamais. Or, il n’y a pas trente-six moyens d’éviter la taule. Tu vois ce que je veux dire ?

J’étais surpris des révélations de Lorenzo. Joël m’aurait-il pris pour une courge de concours ?

-          Euh non ! Pas du tout, en fait.

-          Nous, on propose des séjours au soleil, et la police des séjours à l’ombre, mais il va toujours à l’un et jamais à l’autre. Pourquoi ? Parce que c’est un indic. Oh ! Pas un indic professionnel, hein ! Non, mais comme ils le tiennent, Joël est obligé de collaborer et de donner des infos de temps en temps.

-          C’est une donneuse ! Précisa Roberto hargneux. Et maintenant, on est obligés de l’éviter pendant un bon moment. Après tout ce qu’on a fait pour lui ! Si ce n’est pas malheureux !

Je faillis tomber de ma chaise. On se serait cru dans un épisode du « Parrain », mais en version gay : ce qui donnerait plutôt La Marraine ! Roberto dans le rôle de Don Corleone en Dona Corleona devrais-je dire, n’était pas vraiment crédible. Tout ça me paraissait un peu surjoué et même un brin ridicule !

-          Vous en êtes sûrs ?

-          C’est un juge qui ordonne la garde-à-vue ou qui la lève, pas le simple flic de commissariat. Donc, Joël a un accord avec eux. Personne ne peut faire carrière dans ce beau métier de dealer sans se faire choper un jour. Et la seule façon de durer, c’est de renseigner la police. J’avais déjà demandé à Lorenzo d’arrêter ses enfantillages, et maintenant ça se resserre un peu trop sur lui et accessoirement sur moi. Donc, Joël est hors circuit pour un bon bout de temps. Et la meilleure façon de ne pas l’appâter est de ne plus rien lui dire, parce que quoi qu’il arrive, il sera obligé de balancer. Qu’il dénonce qui il veut mais pas nous, tu comprends ?

C’était un peu excessif, là ! Joël n’aurait pas fait de mal à une mouche, et puis, on était tous des potes, pas des racailles de cité.

-          Je te rappelle qu’on était tous les trois présents lors de la petite fête chez ton coloc où j’ai vendu des prods à tout le monde. Donc, toi, moi, Karl et les autres. Voilà ce qu’il pourrait balancer pour que les flics puissent remonter jusqu’à mon fournisseur. Capito ? Tu vois dans quelle merde il pourrait nous mettre ? Tu comprends aussi pourquoi on a des pseudos, maintenant ?

Effectivement, ça venait de tilter dans ma tête. Lorenzo avait trouvé le bon argument pour me convaincre. Heureusement, je n’avais jamais rien dit sur ce que je faisais de mon temps libre avec eux.

-          Merde ! Ça craint, non ? glapis-je.

-          Il faut établir une règle entre nous et s’y tenir, argua Roberto. A partir de maintenant, plus un mot à Joël, plus aucune sortie avec lui. On maintient des relations, mais elles devront être les plus neutres possibles jusqu’à ce que ça se tasse.

-          En gros, je continue à fréquenter la salle de sport, mais je ne raconte plus ma vie à Joël, c’est ça ?

-          Exactement ! Tu ne pars pas en vacances avec lui non plus, pour ne pas être tenter de bavasser, me répondit Roberto.

-          T’inquiète ! On connait bien Joël, reprit Lorenzo. Il finira par balancer un couillon pour calmer les flics. Les couillons pullulent, mais il faut les trouver au bon moment. Je n’en vois qu’un dans ton entourage qui risque de poser problème, c’est Karl, ton coloc.

Putain de merde ! Un non-évènement était en train de se transformer en tsunami potentiel. A présent, je mesurais pleinement les risques que cette liberté sous conditions de Joël pouvait nous coûter. Et il avait raison : Karl tomberait les pieds joints dans n’importe quel piège, et si Karl tombait, il nous entrainerait tous dans un sacré merdier. Fallait que je fasse quelque chose rapidement pour circonscrire l’incendie. Rien de tel qu’un contre-feu pour s’en sortir : c’est comme ça qu’ils font dans les films. Sauf qu’on n’était pas dans un film et que je ne maitrisais pas le scénario. Bref, je ne savais pas quoi faire !

-          Moi, c’est sûr ! Je vais devenir invisible un certain temps, dit Lorenzo. Je vais suspendre mon tel dès maintenant, jusqu’à nouvel ordre. Plus personne ne pourra me joindre, mais t’inquiète, on te contactera quand on aura besoin de te voir.

-          Karl est frivole mais pas si stupide, répondis-je.

-          On voit bien que tu n’as jamais eu à subir la pression des flics. Karl ne résistera pas plus de trente secondes, je peux te l’assurer. Faudra que tu trouves une solution pour éviter à ton coloc d’être une victime collatérale, et pour que Joël ne le balance pas pour se débarrasser de son accord avec les flics. Pour moi, Karl est la cible idéale : naïf, prétentieux, aveugle, con comme une bite, quoi !

Merde ! Il avait raison, mais je ne préférais pas le conforter.

-          Karl est quoi pour toi ?

-          Rien ! On est coloc, c’est tout.

-          Alors, laisse pisser. Protège-toi. T’en trouveras un autre si ça tourne mal.

-          C’est facile à dire pour toi. Moi, j’habite avec lui, on se côtoie, ce n’est pas un mauvais gars.

-          Tu connais Bruce Lee ? Il a dit un sacré truc : Sois comme l’eau ! Car l’eau est inodore, incolore, insaisissable, paisible ou féroce, rien ne peut arrêter la force de l’eau, ni l’air ni le feu. Aucune main ne peut la retenir, elle va où elle veut quand elle veut. Pourtant, l’eau est aussi inoffensive, douce et désaltérante. Alors « Be the water, my friend ». Moi, je vais devenir comme l’eau. Pschitt, je me faufilerai par derrière pour disparaitre, ni vu ni connu !

Cette discussion commençait à me saouler. Tout ça n’était que des suppositions. Aucune preuve que Joël était un indic non plus. C’était leur pseudo professionnalisme de bad boys pomponnés au fond de teint qui s’exprimait. La citation de Bruce Lee acheva de me gonfler. Entre ceux qui te citaient du Mylène Farmer dans le texte et ceux qui te citaient du Bruce Lee, on était plus proche du Titanic que de la Grande Librairie, niveau philosophie. Lorenzo pouvait bien couper son tel, moi je ne ferais rien de particulier pour le moment.

Roberto ne nous écoutait plus, il grignotait tout ce qu’il trouvait à portée de main comme une vieille souris. Lorenzo semblait savourer ses dernières paroles comme un grand sage loufoque engoncé dans le sofa, quand les trois hôtes hispaniques revinrent enfin de leur virée, un peu éméchés. La démarche chaloupée de Ruben m’amusa, il dansait plus qu’il ne marchait, j’aimais bien sa nonchalance, genre prince cool et sexy.

-          Hey querido ! Tu m’attendais ?

-          Euh, oui ! dis-je en me levant.

Sa bouche lippue et humide, encore gonflée par l’alcool, se rapprocha dangereusement de la mienne, me mordit tendrement la lèvre inférieure, comme un rare geste de félin. Juan et Ferguson nous regardèrent avec envie, tout le monde étaient chaud et à l’unisson. L’air devint plus lourd, il embaumait la sueur mélangée à leur parfum. Mon dieu que c’était enivrant !

-          On y va, querido ? demanda Ruben suavement.

Lorenzo nous fixa sans un mot, mais Roberto nous souhaita une bonne nuit, affichant un sourire à décrocher la lune. On se dirigea tous les quatre vers l’escalier, en haut se trouvaient les chambres. J’oubliai Karl et Joël, ma patronne et les Parasols. Plus rien n’avait d’importance, semblait-il.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Vincent Desvaux "Circumpolaire" instagram VDESVAUX (c) 2021

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