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Didier K. Expérience
28 juillet 2021

Bouche-à-nœuds E.17/35

Bouche-à-noeuds

Ainsi, j’avais eu un témoin ! Malheureusement, je ne pouvais pas me permettre d’en avoir un, fusse-t-il le curé du quartier : son élimination était inévitable. Comment pouvait-il croire que j’irais me dénoncer ? Il avait vraiment dû voir la Vierge, lui !

Il avait bien manigancé son coup, le vilain cureton. L’appât du gain m’avait attirée tel un aimant. En y réfléchissant, j’aurais pu me faire piéger facilement car si ça avait été la police, j’étais cuite. Cependant, le plus naïf des deux, ce fut lui ! Il aurait dû me balancer aux condés et l’affaire était réglée : tant pis pour lui, s’il a voulu jouer, il a perdu… Je me posais quand même une question existentielle : comment savait-il que j’utilisais une application et sous quel pseudo me trouver ? Il y avait un mystère qu’il me faudrait résoudre tôt ou tard, mais le nombre de personnes au courant se comptait sur les doigts de la main. D’ailleurs, j’eus une soudaine révélation, sûrement inspirée par le maitre des lieux ou le Saint-Esprit, concernant Jenny : étant donné qu’elle le fréquentait pour lui raconter sa vie, il avait dû lui tirer les vers du nez sans qu’elle ne s’en rende compte. Un cli que j’inspirais, m’avait dit un truc du genre : « Si tu ne veux pas que tes ennemis connaissent tes secrets, ne les dis pas à tes amis* ». A l’époque je n’avais pas compris où il voulait en venir, mais maintenant, je sais qu’on n’est jamais mieux trahi que par les siens. Faudra que je supprime mon compte et que je désinstalle cette appli. Ainsi, si le curé entretenait des conversations salaces avec ses ouailles, on ne m’y associerait pas.

Qu’on ne s’y trompe pas : le vice et la vertu sont deux faces d’une même pièce ! Nous étions donc intimement liés, malgré tout.

Je refermai la porte d’entrée et je quittai les lieux le plus calmement possible, en mesurant tous mes gestes. Dehors, la nuit avait envahi tout l’espace, seulement perturbée par le chant des cigales et une lune faiblarde. Heureusement, il faisait moins chaud aussi. Je dévalai les escaliers et me retrouvai devant la grille, par chance notre bon curé ne l’avait pas reverrouillée… Mon premier réflexe fut de chercher Jenny, je l’aperçus gigotant sous notre abribus, un joint au bec : de ce côté-ci, tout était normal.

Je m’approchai de ma partenaire tranquillement, elle n’avait pas l’air d’être tellement fâchée. Jenny était ma seule alliée sur le terrain, il fallait que je la ménage, mais aussi que je m’en méfie désormais.

-          Alors ? demanda-t-elle.

-          Gina n’est pas là ?

-          Qu’est-ce que tu me parles de l’autre, là ! Je m’en fous de cette baltringue. Comment ça s’est passé avec le Père Arnaud ?

-          Ben rien ! Il ne s’est rien passé. C’était juste pour me parler, me remettre dans le droit chemin. Ce genre de conneries, quoi !

-          Ça a duré quand même ! Et il t’a payée ?

-          Que dalle !

-          Bizarre !

-          Quoi ?

-          Non, rien ma belle.

Jenny était loin d’être une cruche, mais elle n’avait pas inventé l’eau tiède non plus. Et puis, je ne pouvais pas lui dire que je l’avais transpercé de ma lame à la fin et qu’il fuyait de toutes parts… Demain matin, quelques heures après notre départ, le corps serait découvert, et l’endroit grouillerait de flics, Jenny ne serait pas près de remettre les pieds, ni à l’église ni sur l’avenue d’Assas.

-          Bon alors ! Elle est où, l’autre ?

-          Je ne sais pas. Pas vu, pas pris ! dit-elle, toujours en dansant plus ou moins lascivement, les écouteurs dans les oreilles.

Bon, le Père La Morale, c’était réglé. Mais maintenant, fallait s’occuper de l’autre problème : Gina.

-          Et les autres demoiselles d’honneur ?

-          Tu veux dire, Coquillette et les petites Roms ? Elles sont par là-bas, je ne sais où, me montrant de la main, la direction du collège Camille Claudel.

-          Et les flics ?

-          Eux ? Ils passent et repassent. Passent et repassent. Et pas un seul client à se mettre sous la langue.

-          As-tu remarqué si c’était des nationaux ou des municipaux ?

-          Est-ce que je sais, moi ! C’est des flics, c’est tout.

Malgré ses accointances avec la religion, il ne fallait pas non plus s’attendre à des miracles avec Jenny. 1+1, ça faisait toujours 1+1, rarement 2.

-          Bon, faut que je te dise. Il s’est passé quelque chose de bizarre avec Gina la nuit dernière. Je crois qu’elle a disparu. Ses affaires sont toujours là, elle n’est pas revenue les chercher après son dernier client.

Jenny fit le plus long et le plus fort tchip qu’il m’ait été donné d’entendre venant d’une bouche.

-          T’es sûre ? … Mon Dieu ! Tu crois qu’elle est tombée sur le rodeur ? dit-elle en faisant son signe de croix.

-          Je n’en sais rien, mais la dernière voiture à s’être arrêtée, était de la police. C’est pour ça que je t’ai demandé si c’était des nationaux ou des municipaux. Elle avait l’air louche cette voiture. Je n’ai pas bien vu, j’étais cachée.

-          Boudi** ! s’exclama-t-elle

Cette fois-ci, elle n’avait pas mis longtemps à piger. S’il y avait un rodeur, il se déplaçait peut-être en voiture de police. En tout cas, il fallait ouvrir l’œil et le bon. Si on avait peu d’amis, on avait beaucoup d’ennemis. On ne savait jamais d’où le coup pouvait partir, et il fallait toujours rester sur nos gardes. Une de mes copines de chantier ne se déplaçait pas sans son rottweiler qu’elle n’attachait jamais : un molosse impressionnant. La bête bien dressée obéissait au doigt et à l’œil, elle dissuadait parfois les candidats potentiels, mais aucune agression à ce jour. Ma mère avait un chat avec qui je ne m’entendais pas, alors je me voyais mal vivre avec un chien, même pour me protéger… Moi, j’avais mon cran, mais ça m’obligeait à faire du corps à corps, et ce genre de combat rapproché devait rester exceptionnel, même si j’en avais fait sourire plusieurs en quelques jours.

La folle demi-heure passée avec le curé était presque oubliée : comme quoi, le cœur a ses raisons que le cerveau ignore… Maintenant, j’essayais de me concentrer sur mon business dont le chiffre d’affaires était en chute libre et ne s’améliorerait pas cette nuit non plus.

Le véhicule de la police avait moins tourné que les fois précédentes, nous semblait-il. La preuve en était que des voitures osaient s’arrêter et nous aborder. En face, l’abribus vide de concurrence nous permettait de récupérer tous les clients qui remontaient vers le jardin du Peyrou. Jenny, qui n’était pas trop regardante sur la qualité, n’hésita pas une seconde à embarquer avec un vieux rebeu, trop contente de se faire enfin un peu d’argent… Je profitai de ce quart d’heure de solitude pour désinstaller l’appli : quelques secondes suffirent. Pas vu, pas prise ! comme dirait Jenny.

Puis ce fut mon tour de conclure une transaction. Ce n’était pas trop tôt ! Après trois nuits de cauchemars sans gagner une thune, je renouais avec le succès. Un type en costume plutôt charmant, en Mercedes, s’était arrêté et m’avait graissé la patte correctement. On alla faire ça sur le parking du Monceau Fleurs à quelques mètres de la boulangerie Paul, juste derrière l’abribus, quoi. Bon, ce n’est vraiment jamais très pratique de se mettre à cheval sur les genoux d’un type assis sur le siège conducteur, surtout quand il faut lui enfiler un préservatif avant, mais la Mercedes a un habitacle spacieux et c’est plutôt appréciable, je pouvais monter et descendre sur lui facilement : une sacrée séance de yoga ou de contorsionniste, quand on y pense. Si tous les clients pouvaient venir avec des grosses voitures, ça m’arrangerait. En plus, ce qui ne gâtait rien, niveau hygiène c’était acceptable et le mec sentait bon. Seule faute de goût, il machait sans discontinuer un chewing-gum mentholé ou à l’eucalyptus et il dégageait une de ces haleines, on se serait cru dans ses toilettes, avec ce parfum qui me rappelait le St Marc Ménage « spécial pins des Landes ». Il essaya de m’embrasser plusieurs fois, mais je le repoussai gentiment. Si je n’embrassai pas, je gloussai pour stimuler le mâle et le faire venir plus vite. Le face à face dura une bonne dizaine de minutes, j’ai cru qu’il n’arriverait pas à lâcher la purée tellement il tenait. Je m’ôtai de son manche qui commençait à ramollir, puis je le laissai se débrouiller avec le préservatif rempli. Pendant ce temps-là, je remis ma culotte avant de sortir de la voiture. Le type était souriant, il était content : moi aussi, mais pas pour les mêmes raisons.

Je ne sais pas si c’était parce que je m’étais débarrassée de mon témoin, mais je me sentais légère, libre et divinement sexy, j’aurais presque fait l’amour avec le cli. En tout cas, j’en avais envie, il me plaisait bien celui-là.

Le type faisait rugir le moteur de sa Mercos avant de partir, lorsqu’un dingue dans une grosse voiture déboula à fond sur l’avenue, grillant même les feux, faisant crisser ses pneus… Quelques minutes plus tard, quelqu’un cria mon prénom. Je quittai le parking, un peu inquiète, m’avançant sur l’avenue pour voir qui m’appelait, quand j’aperçus une grosse masse qui peinait dans le noir. En fait, c’était Coquillette qui courait dans ma direction avec les autres filles à ses trousses, comme si elles avaient le diable au cul. Jenny qui revenait de son escapade tarifée vint me rejoindre.

-          Marly ! Marly ! haletait Coquillette. C’est horrible ! Il faut que tu viennes voir ça, tout de suite.

-          Mais, t’es pas un peu cinglée de crier mon nom comme ça ? Tu ne veux pas leur donner mon numéro de sécu pendant que tu y es ? Tu vas réveiller tout le quartier. Qu’est-ce qui se passe ?

Je vis que la petite Perla était revenue parmi nous, et qu’elle était décorée d’un bel œil au beurre noir. Cadeau de son amoureux, paraitrait-il. Les six Roms trépignaient, deux d’entre elles, pleuraient. Moi et Jenny, on comprenait bien qu’elles étaient choquées, mais par quoi ?

*Arthur Schopenhauer.

** Variante de boudiou, Bon Dieu, en occitan.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Didier Kalionian "Abribus" instagram (c) 2021

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