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Didier K. Expérience
29 juillet 2021

Bouche-à-nœuds E.18/35

Bouche-à-noeuds

Elles étaient dans un état d’excitation, pire que si elles avaient gagné au Loto, sauf qu’elles n’en avaient pas vraiment le sourire de circonstance. Jenny attendait sagement qu’elles aient toutes fini de jacter en même temps, moi j’étais déjà plus sur l’expectative. Perla se mit à vomir de tout son saoul. On se dégagea de justesse pour ne pas recevoir le vomito…

-          Oh là là ! J’ai la tête qui tourne, j’crois que je vais tomber dans la pomme ! ajouta-t-elle.

Coquillette se frappait la poitrine, pleurait, tout en baragouinant dans une langue que cette fois-ci, personne ne comprenait.

-          Bon ! Vous allez vous calmer, oui ? Qu’est-ce qui se passe ?

-          Viens ! Viens avec moi, je t’emmène. Il est arrivé un malheur, un grand malheur.

Coquillette me prit par la main et me tira, me forçant à marcher vite. Jenny suivait sans se presser, tout en roulant un joint. On repassa devant l’église, où tout semblait calme : en tout cas, pour le moment… Plus aucune voiture ne circulait sur l’avenue, c’était l’heure creuse. De toute façon, les allées et venues de la police avaient fini par dissuader tous les candidats, on n’allait pas tarder à remballer la marchandise.

Lorsqu’on arriva en vue de l’abribus du collège Camille Claudel, on distingua une forme oblongue gisant par terre, comme un grand rouleau.

Coquillette ralentit le pas et porta une main au niveau de sa bouche comme pour s’empêcher de crier, puis des larmes perlèrent instantanément. Si c’était une mise en scène, j’avouai qu’elle était bien faite. Jenny nous suivait toujours tranquillement tout en pompant sur son joint.

Coquillette me montra du doigt une des extrémités du tapis.

-          Regarde ! Là !

Le tapis était ficelé par du scotch comme un saucisson. Je me baissai et vis que des cheveux blonds sortait d’un des bords. Je n’osai pas les toucher, mais Coquillette m’enjoignit d’écarter les rebords, ce que je fis précautionneusement. Ces cheveux appartenaient bien à une tête !

Coquillette alluma son portable pour m’éclairer et je vis que cette tête était masquée par de longues mèches. En essayant de dégager le visage, les cheveux me restèrent dans les mains, c’était une perruque. Coquillette hurla presque.

Il n’y avait pas de doute, le visage tuméfié de Gina ou de Gino sans sa perruque, nous apparut clairement à la lueur de la lumière du portable.

-          Il est mort ? chuchota Jenny.

Instinctivement, j’ai mis un doigt sur l’artère jugulaire. Je retins mon souffle en espérant ressentir quelque chose, mais rien ne pulsait. Je répétai mon geste plusieurs fois pour être sûre de moi, mais rien n’y faisait, je ne sentis aucun flux. Le sang ne circulait plus parce que le cœur ne pompait plus.

Jenny tchipa doucement, elle avait compris.

-          Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Putain de bordel de merde, quoi !

-          On ne peut pas rester là. Moi, je me casse, argua Coquillette.

-          Pas de panique les filles, c’est assez compliqué comme ça. Laissez-moi une seconde pour réfléchir. Et fermez-la un peu !

Coquillette trépignait d’impatience de rejoindre les petites Roms. Jenny attendait ma réponse comme si j’avais réponse à tout, mais finalement, c’est elle qui embraya :

-          On ne peut pas la laisser comme ça, quoi ! Ça ne se fait pas. Moi, je ne laisserai pas ma copine comme ça. Il faut appeler les flics ou une ambulance, faut faire quelque chose quoi !

-          Calme-toi Jenny, on va faire quelque chose… Coquillette, va ramasser les filles, et partez d’ici le plus vite possible… et surtout, dis-leur bien de fermer leur putain de tronche.

-          Ne t’inquiète pas, elles ne diront rien, elles sont trop flippées, mais c’est sûr qu’elles en parleront chez elles avec leur mec.

Je me doutais bien qu’elles ne pourraient pas facilement se taire, mais comme elles étaient coupables de rien, ça serait plus facile. Et puis, ça ferait un bon motif à donner à leur mari pour ne plus faire le tapin pendant un moment. En revanche, si elles étaient interrogées par la police, elles pourraient nous dénoncer comme témoins, Coquillette, Jenny et moi, et ça deviendrait sûrement problématique… Je me relevai, lâchant la perruque par terre, j’avais pris ma décision.

-          D’accord les filles ! J’appellerai le SAMU.

Finalement, ça pourrait bien servir de diversion, car après le corps de Gina, il y aurait le cadavre du Père Arnaud à ramasser dans l’église. Mais les deux ne seraient pas découverts en même temps, ce qui laisserait aux enquêteurs le soin de se perdre sur les pistes pour essayer de les recouper car ils ne manqueraient pas de le faire : deux crimes aux mêmes endroits et la même nuit, c’était trop rare pour que ça ne débouche pas sur l’enquête du siècle avec BFMTV comme coanalyste, voire des chaines étrangères... Ça me donnerait tout le temps nécessaire pour me fondre dans le décor et me refaire une virginité, si je peux dire. Cependant, nul doute que l’avenue d’Assas nous serait interdite pour très longtemps.

-          Jenny, va chercher le sac avec les papiers de Gina et ramène-le ici. Comme ça, ils connaitront tout de suite son identité.

Les deux filles partirent ensemble en courant, trop contentes de quitter cette scène de crime. Pendant ce temps, j’appelai le 15 et laissais mes coordonnées, de cette façon, j’étais identifiée sur cette scène-ci, et non sur la future de l’église. Un mal nécessaire qui me servirait de prétexte, voire d’alibi. Quoi qu’il arrive, j’avais déjà été ramassée par la flicaille et j’avais fait des gardes-à-vue. Bref, j’étais déjà une affranchie dans la Grande Maison.

Jenny revint avec le sac. Elle avait fait l’aller-retour, soit deux cents mètres, aussi vite qu’elle avait pu, et elle était exténuée. Dans le noir de la nuit, courir sur le trottoir s’apparentait à une vraie course d’obstacles, surtout pour quelqu’un qui n’avait jamais fait de sport de sa vie, sauf à battre des records pour avaler le plus de kebabs en une soirée ou pour tailler des pipes à la chaine.

Elle transpirait comme un phoque.

-          C’est fait, nénette, dis-je. J’ai appelé le SAMU, ils seront là dans quinze minutes. Faut plus rester là, nous… Et les filles ?

-          Tu parles ! Elles s’étaient déjà toutes barrées. Du coup, Coquillette rentre à pied jusqu’à Millénaire.

La solidarité balkanique n’était plus ce qu’elle n’avait jamais été ou inversement, on dirait.

-          Tu … ?

-          Ne t’inquiète pas, nénette, je te ramène chez toi. Si c’est ce que tu voulais me demander… Allez, on ne peut plus rester. Nous aussi, faut qu’on se barre !

-          Attends !

Jenny se tourna vers Gina, fit un signe de croix et murmura une courte prière : la réincarnation de Marie-Madeleine, sûrement. Cette solennité soudaine me laissa pantoise, surtout que maintenant ça devait lui faire une belle jambe de pouvoir accéder à une vie meilleure dans l’au-delà. Gino ou Gina avait eu une vie de merde ici-bas et ça c’était bien la seule certitude qu’on pouvait croire sans douter… En ce qui me concernait, la sidération n’avait pas duré longtemps. Quelqu’un lui avait réglé son compte avant moi. J’en étais quitte. Non que je fusse devenue froide comme un glaçon, mais d’autres paramètres étaient venus s’intercaler. Cependant, la reine des questions existentielles me taraudait depuis la découverte du corps : pourquoi ?

Je remis à plus tard mes réflexions, pris Jenny par la main et l’embarquai, direction le parking des Arceaux. A peine étions nous parties que les gyrophares bleu blanc rouge du SAMU éclairèrent tout le secteur. Jenny était rassurée, Gina serait entre de bonnes mains désormais.

Il ne fallait plus qu’on traine, le jour n’allait pas tarder à se lever, et les gens qui s’occupaient de l’église non plus : plus vite on serait partis, mieux ça serait.

Dans la voiture, un silence de mort régnait, j’avais l’impression d’être déjà à l’enterrement de Gina, je n’osais pas mettre de la musique. Jenny gardait la tête baissée, elle flippait gravement. On roulait sur l’avenue de Toulouse quand elle daigna revenir à la réalité.

-          Qu’est-ce qu’on fait la nuit prochaine ?

-          La nuit prochaine ? C’est simple, on retourne sur l’avenue de Toulouse retrouver nos copines de galère. Pas le choix. On sera mieux là-bas pour se faire oublier, crois-moi. Et puis, personne n’osera nous emmerder si on est toutes ensemble.

-          Ouais ! T’as peut-être raison, ma belle.

Jenny restait préoccupée.

-          Tu crois qu’il y a un rodeur ? Ou c’est quelqu’un d’autre ?

-          Le fameux « rodeur de Montpellier » ? Je n’en sais rien. Tu sais, Gina avait peut-être des ennemis. Ou alors, c’est cette fameuse « bande rivale » ! Va savoir…

Jenny fouilla dans ses poches.

-          Au fait, je n’ai pas gagné grand-chose cette nuit. Je n’ai pas assez pour acheter une barrette de chichon. Tu pourrais m’avancer un peu de thunes ? Je te les rendrais la prochaine fois, je te le jure.

-          Regarde dans mon sac à main, dans mon porte-monnaie, prends cinquante euros. Tu me les rendras quand tu pourras.

Elle remua le sac.

-          Hey ! Mais tu as un schlass super classe, toi. Je ne savais pas.

-          C’est pour couper les pommes, répondis-je gênée.

-          T’as pas vraiment une tête à manger des pommes, toi, s’esclaffa-t-elle.

Et voilà, je venais de commettre une erreur de débutante, qui je l’espérais, ne me coûterait pas trop. Heureusement que je m’étais débarrassée des kleenex tachés de sang avant de reprendre la voiture…  Je gardais mes mains sur le volant et les yeux sur la route, mais il fallait que je trouve une parade tout de suite.

-          Tu sais, si tu en as vraiment besoin, je te les offre, ces cinquante euros. Prends-toi une bouteille de vodka-orange en plus, ça te fera du bien.

-          T’es trop gentille, je te kiffe comme meuf ! Je suis un peu raide en ce moment. C’est cool Marly, merci mille fois. Je te revaudrai ça.

Jenny reposa le sac à ses pieds. J’avais le sourire coincé, mais il valait mieux déplacer son esprit de mon cran d’arrêt vers ses addictions pathologiques… Je la déposais vers les halles de la Paillade, désertes à cette heure-ci de la matinée. La mère des batailles allait se jouer bientôt…

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Didier Kalionian "Abribus" instagram (c) 2021

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