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Didier K. Expérience
15 août 2021

Bouche-à-nœuds E.35/35

  

Bouche-à-noeuds

Je ne saurais pas dire combien de temps je suis restée dans les vapes, mais je repris connaissance au son tonitruant d’une sirène d’ambulance. J’avais l’impression de faire le Paris-Dakar tellement j’étais brinqueballée dans tous les sens, sans savoir où j’allais non plus. Un infirmier assis à côté du brancard me dit que tout allait bien, on arriverait dans quelques minutes. Je sombrai de nouveau.

Je suppose que l’ambulance s’engouffra silencieusement dans les allées de l’hôpital-usine de Lapeyronie, se dirigea vers les urgences où une équipe prit en charge le nouvel arrivant…

Plus tard, je me réveillai dans un lit au matelas raide. Donc, je n’étais pas dans le mien. Seule dans une chambre toute blanche aseptisée, dans une pénombre apaisante. Quelle heure pouvait-il bien être ? J’avais l’impression d’être hors du temps, pas un bruit ne filtrait, ni de l’intérieur ni de l’extérieur, comme un avant-goût du paradis, peut-être ? La clim fonctionnait, il faisait bon, presque frais. Je n’avais pas dormi comme ça, aussi paisiblement, depuis bien longtemps.

La porte de la chambre s’ouvrit soudainement, une blouse blanche entra :

-          Bonjour mademoiselle ! Je vois que vous êtes réveillée. Je vais prévenir, je reviens de suite.

Effectivement, elle revint quelques minutes plus tard, suivie par ma mère. Les vacances étaient finies à peine commencées, soupirai-je.

-          Mon Dieu comme j’ai eu peur ! Par la sainte Vierge, tu es vivante. Merci Seigneur, dit-elle en regardant le plafond amoureusement, répétant son signe de croix ostensiblement, comme si le faire plusieurs fois pouvait servir à notre rédemption collective.

-          Maman ! Je me sens bien. S’il te plait, ce n’est pas le moment de te donner en spectacle.

-          Même sur ton lit de mort, tu auras une parole désobligeante pour ta pauvre mère. Moi qui aie souffert le martyr toute la nuit pour toi. Moi qui t’aurais donné un rein si tu en avais eu besoin.

-          N’exagère pas ! Je ne suis ni morte ni mourante. Constate par toi-même ! Je vais bien je t’ai dit.

-          Tant mieux parce que la télévision est là aussi, m’annonça-t-elle ravie. Tu ne vas pas le croire, mais BFMTV s’est déplacée pour t’interviewer. J’ai même parlé avec Rachid M’Barki, il est charmant. N’est-ce pas formidable ?

J’avais failli mourir cette nuit et ma mère ne pensait qu’aux retombées médiatiques et à ma starisation potentielle. De mère maquerelle, elle passerait bien à impresario sans vergogne celle-là. Sauf que je n’avais envie de parler à personne, moi. C’est vrai que j’avais vécu une nuit infernale, mais de là à passer à la télé, c’était trop. Et puis j’étais moche, rafistolée de partout, je ressemblais plus à la momie de Toutankhamon qu’à Madonna…

La porte s’ouvrit de nouveau et un homme assez nerveux, en bras de chemise s’avança vers le lit d’un pas décidé.

-          Ça va, mademoiselle Magnol ? Vous vous souvenez de moi ? Michel Alesi de la SRPJ de Montpellier.

-          Ah oui ! le capitaine de la télé. Euh oui, bien sûr. Pardon !

L’officier de police sourit à ma maladresse, l’air plutôt satisfait de ma naïve flatterie.

-          Je tenais à vous dire que vous aviez été très courageuse cette nuit. J’espère que vous ne garderez pas de séquelles psychologiques de cette sombre affaire ! Les deux suspects que nous avons arrêtés, sont passés aux aveux : les rôdeurs de Montpellier, c’était bien ces deux-là. En tout cas, vous avez échappé par miracle à une fin peu enviable. Enfin, je ne vais pas vous répéter tout ça, vous étiez aux premières loges !

Ces aveux étaient une bonne nouvelle : au moins les filles pourraient respirer un peu. Enfin, jusqu’à ce qu’un autre maboul se déclare.

-          Merci de m’avoir sauvée, monsieur Alesi. Merci à votre équipe pour votre intervention, sinon je crois que je ne serais plus de ce monde, aujourd’hui.

-          On n’a fait que notre devoir, mademoiselle Magnol, mais je passerai vos remerciements à nos équipes… D’ailleurs, cette affaire fait boule de neige en en révélant une autre. En retournant ce matin sur les lieux de votre kidnapping, avenue d’Assas, nous avons trouvé un cran d’arrêt dont la lame effilée pourrait correspondre à celle qui a servi à tuer plusieurs personnes, dont le père Arnaud. Intéressant, non ?

Là, c’était moins drôle. J’attendais la suite avec appréhension, j’en suintais sûrement par tous les orifices tellement cette discussion me stressait subitement.

-          L’arme est en cours d’analyse par nos équipes scientifiques. Malheureusement, on l’a retrouvée dans le caniveau, baignant dans l’eau croupie. Donc, ça va être difficile de trouver des empreintes, mais pas impossible. On ne sait jamais, hein ?

-          Quel rapport avec mon enlèvement ? dis-je anxieuse.

-          Parce qu’on l’a retrouvée près de l’abribus où vous officiez ! Peut-être que quelqu’un projetait quelque chose contre vous ou contre nos deux suspects ? Peut-être y a-t-il eu une bagarre ? Vous ne vous souvenez pas ? En tout cas, il manque quelqu’un. Ce couteau n’est pas venu là tout seul. Il est relativement neuf, donc il n’a pas été perdu depuis longtemps.

Mais que voulait-il me dire ? M’avait-il découverte oui ou non ? Je m’interdisais presque de respirer tellement j’étais suspendue à la suite.

-          Quoi qu’il en soit, nos deux suspects ont reconnu les deux meurtres, dont celui de votre copine Gina, c’est-à-dire monsieur Ali Artem Rustemi, mais nient catégoriquement être propriétaires du couteau. Donc, il va falloir qu’on cherche, et sûrement encore longtemps. Mais, comme tous ceux qu’on traque, on finira bien par l’avoir un jour ou l’autre. En tout cas, ça fait plaisir d’avoir au moins un dossier clôturé… Et de vous avoir sauvée, bien sûr !

Je m’étais enfoncée dans le lit, le drap jusqu’au nez. Je n’étais pas vraiment en état de pouvoir supporter un cuisinage aussi direct, j’étais au bord de craquer. J’en avais une sueur froide qui me mouillait de la tête à l’entrecuisse. Fallait que je me ressaisisse :

-          Au fait, comment nous avez-vous retrouvés ? Ce fut la surprise totale de vous voir sur le pont, dis-je finaude.

-          Des recherches ciblées, votre déposition, et un banal contrôle de police à l’entrée des cités de la rue d’Alco. Après, les motards vous ont suivis et communiqué votre position. Y avait plus qu’à intervenir rapidement et efficacement. Mais parfois, ça ne tient qu’à un fil qu’on réussisse, et aujourd’hui je suis assez content. J’avoue qu’on a bien bossé, sur ce coup-là.

Eh ben ! Ils avaient tenu compte de ma déposition, ravie de l’apprendre ! Mais sinon leur intervention n’était due qu’au hasard total, j’en étais persuadée. Pauvre Gina et pauvres autres filles, pour elles aussi, leur vie n’avait tenu qu’à un fil, mais il avait cassé trop tôt, manifestement.

Finalement, le capitaine Alesi était aussi un coq de basse-cour, à l’aise dans son soi-disant rôle de mâle dominant.

-          J’allais oublier ! Bouche-à-nœuds, ce n’est définitivement pas terrible comme pseudonyme. Si j’étais vous, je penserais sérieusement à en changer. D’accord ?

Ooops ! Mais comment savait-il cela, lui ? J’avais envie de me cacher sous l’oreiller ou de disparaitre d’un coup de baguette magique. Voulait-il dire qu’il en savait bien plus sur moi ? Mais se pouvait-il qu’il sache pour les sales types que j’avais rectifiés un peu partout ? Ou peut-être m’avait-il draguée sur une appli ? En tout cas la confusion me cloua au pilori comme une condamnée qui voyait son sursis diminuer à vue d’œil.

-          Ah oui ! Une dernière chose. BFMTV est dans les murs de l’hôpital. Je ne vous conseillerais pas vraiment de leur parler. Vous êtes un témoin direct dans cette affaire et moins on en dit, mieux c’est. Pensez-y !

J’acquiesçai d’un signe de tête.

Le capitaine Alesi quitta la chambre sans plus de cérémonie. Le message n’était pas clair, mais il fit mouche quand même. Il se diffusait dans mon esprit insidieusement : je crois bien qu’il savait pour le cran d’arrêt, sans aucun doute même, mais il n’avait pas de preuves. L’examen des empreintes ne donnerait rien, et la piste s’arrêterait net, laissant la police dans sa paralysie habituelle. Donc, Alesi me coincerait sûrement brutalement un jour… De mon point de vue, éliminer des racailles, n’était pas si grave ! J’avais peut-être agi comme une auxiliaire pour Alesi, et puis ça débarrassait Montpellier... Restait le curé ! Rien que lui me vaudrait perpète’, sauf s’il y avait des choses qu’il valait mieux taire. Bon, je commençais à me perdre en conjectures et autres circonvolutions qui me laissaient perplexes. En gros, il fallait que je me mette au vert, sans délai, pendant un certain temps, plutôt qu’être mise à l’ombre éternellement…

-          Maman ! Ma petite maman ! Il faut que je te parle. Approche-toi de moi, s’il te plait.

-          Tout ce que tu voudras, ma fille. Tu veux que j’aille chercher monsieur M’Barki de BFMTV ?

-          Non, surtout pas… Je crois que tu avais raison, il faut qu’on déménage et le plus vite possible. Alors aujourd’hui, on récupère ton sac à puces libidineux et on se barre de cette ville de dingues … Ça te dirait de retourner vivre en Catalogne dans la ville de tes ancêtres ?

-          A Santa Virginia ? Mais comment vivra-t-on ?

-          Comme d’habitude, pourquoi ?

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Didier Kalionian "Abribus" instagram (c) 2021

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