Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Didier K. Expérience
9 avril 2023

Promène-moi Dans Les Bois - E.9/32

Promène-moi

Mon premier réflexe est de humer l’air. Il fait frais ! Je n’avais pas ressenti l’air de la nuit depuis une éternité, je me sens revivre : cette fraicheur est vivifiante à souhait. Ça sent bon ! Je me sens bien, si on décidait de retourner en chambre, je considérerais l’expérience comme déjà réussie, mais j’ai l’impression que ce n’est pas vraiment l’avis de Josiane.

Je n’ai pas le temps d’en profiter davantage, Josiane me tire par la manche, il faut avancer, on ne peut pas rester plantés devant l’entrée toute la nuit… « Le bois n’est pas très loin me dit-elle, il y a un chemin qui part du parking, on y sera en quelques minutes… » En fait, on met une bonne demi-heure à atteindre les premiers arbustes. Je suis extenué, j’ai faim, mon ventre gargouille par moments. Josiane n’a pas l’air fatigué du tout, elle avance dans la pénombre, juste éclairé par la lune qui se déplace au-dessus de nous. Elle me jette des coups d’œil pour voir si je suis bien. Je la suis puisqu’elle me tient par la main, mais j’ai du mal à avancer un pied devant l’autre maintenant : je bute sur le moindre obstacle. Notre petite marche m’a épuisé, j’ai peur de défaillir en pleine nature.

-          Voilà ! C’est là que ça commence.

-          Qu’est-ce qui commence ? dis-je.

Josiane me lâche la main. Elle se déchausse et enlève ses chaussettes. Elle retire sa robe de chambre, j’espère qu’elle va s’arrêter là. Puis, elle m’enjoint de faire de même, je n’en ai pas trop envie, et pour le moment, je ne bouge pas… Elle dépose ses affaires en un petit tas au pied d’un arbre, puis elle se déplace lentement, en plaçant avec soin ses pieds sur le sol. L’herbe est humide et, manifestement, ça la ravit. Je la regarde faire… Puis, dans un élan que je n’avais pas anticipé, elle attrape littéralement à bras le corps les branches d’un arbuste, elle brasse le feuillage comme si elle essayait de l’embrasser ou comme si elle se lavait avec. Je reste à la contempler, stupéfait du spectacle… Elle passe d’arbuste en arbuste en foulant l’herbe le plus délicatement du monde, elle ne marche pas, elle survole.

-          Attention André ! Ne piétinez pas l’herbe. Regardez bien où vous mettez les pieds, il ne faut rien écraser, il faut respecter tous les éléments si vous voulez que ça marche.

Je ne réponds pas. Je ne comprends pas ce que je fais là de toute façon. Je me sentais en sécurité sur le parking, mais là, dans la forêt, je ne sais plus. Il règne un calme incroyable, mais chaque bruit me fait sursauter, chaque craquement me surprend. J’entends le hululement d’une chouette et le feulement que créent les déplacements de Josiane, j’ai l’impression de participer à un rite de sorcière. Manquerait plus qu’il y ait des serpents… ou des araignées. Faut pas que j’y pense.

-          Venez ! J’ai trouvé !

Qu’est-ce qu’elle a trouvé, bon Dieu ? J’ai envie de rentrer. Je commence à avoir froid, moi. Josiane ouvre les bras et enserre le tronc d’un arbre. Elle l’embrasse, quoi. Je me sens gêné, je ne sais vraiment plus quoi faire. Elle reste dans cette position cinq bonnes minutes, qui me paraissent une éternité. Puis, elle vient vers moi et me tire par la main pour me faire toucher l’écorce de l’arbre.

-          C’est un épicéa ! Cet arbre dégage des ondes qui sont particulièrement efficaces.

J’hésite, mais devant son regard insistant, je m’exécute… J’enserre le corps de l’arbre, j’y colle le mien complètement, je pose mon front contre la matière rugueuse. J’ai l’air bête, je le sais. Je ferme les yeux et j’attends. Je ne sais pas ce que j’attends mais j’attends.

-          L’épicéa sécrète des phytoncides, qui à votre contact, pénètrent dans votre corps. André, posez bien vos mains, elles pénétreront mieux. Ces secrétions sont bénéfiques pour tout le corps. Vous vous sentirez mieux après ça.

Josiane me parle doucement à l’oreille, comme si elle me transmettait un savoir secret et magique. Je ne bouge pas, je suis collé à l’épicéa.

-          Ce qui est extraordinaire, c’est que l’arbre va essayer de rentrer en communication avec vous.

-          Ah oui ? Il parle le français ?

-          Chut ! Laissez-vous faire ! Laissez faire la nature. Il communique à l’aide de phytohormones, c’est son langage, mais pour ça, il faut être réceptif. Vous comprendrez si ça marche, je vous l’assure.

Je ne sais pas si l’arbre a essayé d’entrer en contact avec moi, mais après plusieurs hululements de chouette, Josiane me demande de la suivre, elle a trouvé le végétal parfait pour moi.

-          Voilà, c’est exactement ce que je cherchais : un eucalyptus.

-          Ah non ! On en respire assez à l’hôpital !

-          Ça n’a rien à voir.

Encore une fois, je m’exécute. Je ne sais pas si ces ondes me feront quelque chose, mais en attendant, je me sens totalement envouté par Josiane : je fais tout ce qu’elle me demande. A nouveau, j’enserre l’arbre, pendant qu’elle fait de même avec un autre eucalyptus. A peine ai-je posé le front contre le tronc lisse qu’une odeur bienveillante m’arrive aux narines.

-          Qu’est-ce que ça sent bon !

-          Les arbres ont dû communiquer entre eux pour nous accueillir. Les phytohormones doivent se répandre : c’est un très bon signe.

-          Ah bon !

Je ne suis pas sûr que cette salade new-age fonctionne vraiment, mais je me sens bien, c’est déjà ça.

Josiane dépose tendrement un baiser sur l’écorce, je fais de même avec un mimétisme qui me surprend mais me fait plaisir.

-          Je ne savais pas que les arbres aimaient être embrassés ?

-          Non, ça c’est juste parce que j’aime bien le faire. Scientifiquement, ça ne sert à rien.

Cette fois-ci, j’ai vraiment l’air bête.

-          Il est temps de rentrer. Allez, dites au revoir.

On retrouve nos chaussures et nos chaussettes, ça tombe bien parce que j’ai les pieds mouillés. Je n’avais pas fait attention à l’humidité de l’air, mais ma robe de chambre m’a manqué : je suis content de la remettre. J’ai froid.

Josiane me donne la main, elle a un sourire à décrocher la lune, elle est heureuse, ça se voit. Je lui souris également ; c’est incroyable comme tout ce qu’elle fait est communicatif… Nous arrivons tranquillement devant la porte d’entrée. Josiane débloque la poignée et nous pénétrons dans l’hôpital toujours aussi désert. Nous ne sommes sortis qu’un couple d’heures, pourtant j’ai l’impression que notre absence a duré plus que ça : comme si le temps s’était arrêté, puis venait de reprendre sa course soudainement.

Nous reprenons l’ascenseur jusqu’à notre étage. Elle m’accompagne jusque devant la porte de ma chambre, et avant de me quitter, me lance.

-          A demain, on recommencera !

 

Didier Kalionian - le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

Crédit photo - Didier Kalionian "Soleil Couchant" Instagram (c) 2020

(Si cette histoire vous a plu, n’oubliez pas de liker. Merci. Retrouvez la communauté des lecteurs sur Facebook, DKalionian BlogImaginaire)

Publicité
Publicité
Commentaires
Didier K. Expérience
Publicité
Archives
Newsletter
12 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 21 694
Publicité