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Didier K. Expérience
5 décembre 2020

Pleshka - E.23/23

Pleshka 0

Arman en resta encore plus stupéfait que stupéfait. Devant son embarras, Lisa comprit ce qui l’étonnait. Elle demanda à sa mère et aux deux garçons de les laisser seuls pour l’instant… Arman bafouilla, il n’avait pas imaginé qu’il viserait juste du premier coup.

-          Arman ! Tu veux me dire quelque chose en particulier, c’est ça ?

-          Euh ! Oui !... En fait, c’est… Il s’agit de l’article qui est paru sur le site de GALAS… Je voulais te parler de ça.

Lisa fit la moue. Elle avait lu l’article, bien sûr. Elle le connaissait même depuis bien plus longtemps qu’Arman, puisqu’elle avait participé à sa genèse avec Varoujean. Cependant, dans cet article, son nom n’était mentionné nulle part, donc pourquoi l’y associait-il ? Que voulait-il vraiment ?

-          Arman ! Je suis en famille et avec des amis, je veux bien t’accorder quelques minutes pour répondre à tes questions, mais pas plus… Ou alors, tu restes dîner avec nous ?

-          Ok !

-          Alors ! Entre…

***

 

Arman ne fut pas déçu de sa soirée, loin de là. Lisa avait jugé préférable de lui donner ce qu’il était venu chercher et accessoirement, de lui présenter Yuri et Sasha.

Désormais, l’information allait circuler : Lisa le savait, elle l’y avait même encouragé… Au cours des trente minutes que durait le trajet pour rentrer chez lui à Glendale, Arman réfléchit à ce qu’il convenait de faire. Il n’y avait aucun doute, il fallait qu’il nous en parle, à Varoujean et à moi.

Dès qu’il fut chez lui, il m’envoya un mail de sa boite perso. Pas question de mêler GALAS, en tout cas pour le moment.

« Salut Daniel. J’ai une information à te communiquer, mais je ne peux pas le faire par mail. Je t’appellerai demain soir, vers 20h, heure de Paris ».

Le message arriva en début de matinée. Je ne consultais jamais ma boite mail avant de partir au boulot, je le découvris tard dans l’après-midi, en rentrant. Je répondis dans l’espoir qu’il appellerait plus tôt :

« Ok Arman ! Je suis chez moi, j’attends ton coup de fil ».

Je réalisai qu’il serait 11h du matin à L.A. quand il appellerait, et qu’il serait aussi au boulot, donc la conversation en serait peut-être compliquée, voire écourtée. J’hésitai à prévenir Varoujean, mais comme je ne savais pas ce qu’Arman voulait, je préférai le garder pour moi. Varoujean étant déjà ultra sollicité par les membres de l’association à Paris, par tous les évènements qu’il voulait organiser, par sa vie sociale intense, par son travail, je pouvais bien le laisser tranquille un peu et me débrouiller avec Arman. Et puis, c’était une communication entre ami. En fait, je voulais surtout la primauté de l’information.

Arman était d’origine arménienne mais il était aussi américain et bien éduqué, et telle une machine bien huilée, il appela à 20h précises. La conversation eut lieu en anglais, c’était plus pratique pour nous deux.

-          Salut Daniel djan ! C’est Arman. Ça va ?

-          Hey ! Arman djan ! Content de te parler. Comment vas-tu depuis tout ce temps ?

-          Ça va bien ! Je n’ai pas beaucoup de temps. Je suis au boulot. J’ai une information très importante à te révéler. Tu es prêt ? Tes oreilles sont bien ouvertes ?

J’étais tout ouïe, j’avais mis le casque pour être sûr de bien l’entendre.

-          J’ai vu Yuri hier soir, et j’ai vu Sasha, également. Tu as bien entendu ? Sasha est à Los Angeles.

-          Waouh ! Tu en es sûr ?

-          J’ai vu son passeport, c’est bien lui. Et tiens-toi bien ! Il est arrivé il y a presque un mois.

-          Comment ça ? Il n’était pas en garde-à-vue ?

-          Non ! Il n’y a même jamais mis les pieds…

D’un coup, toutes les soirées que j’avais passées avec Yuri et Lisa me revinrent en boomerang, et en pleine tête. Ça faisait mal. Que s’était-il vraiment passé ?

-          D’après Yuri et Lisa, Sasha aurait été dénoncé comme étant un témoin du meurtre de Joshua Haglund… Sasha était à Pleshka ce soir-là, d’autres garçons l’ont peut-être vu, des jaloux, des concurrents, qui sait ? Ils ne savent pas. En tout cas, ils ont eu peur pour lui : les dénonciations peuvent mal finir en Arménie, surtout dans le milieu de la prostitution, et avec une affaire pareille… Yuri a fait jouer ses connaissances et en un rien de temps, il lui a obtenu un visa pour les Etats-Unis, qui a expédié Sasha à Los Angeles. Ensuite, Yuri a fait croire à tout le monde que Sasha était en garde-à-vue : comme c’était une information impossible à vérifier, et que Sasha est un pseudo, personne n’a fait le lien entre lui et le jeune homme qui est arrivé ici.

Je commençais à comprendre la manœuvre. Toute la conversation avec Ara me revenait.

-          Excédée par cette histoire, la police a fini par démentir qu’ils détenaient des suspects, libérant Sasha de tout soupçon.

-          Eh bien ! Yuri en a fait des choses pour protéger Sasha !

-          C’est normal ! Ils sont amants, ils s’aiment depuis le début, ils sont ensemble…

Pourtant, Yuri m’avait assuré qu’il avait vraiment aimé Joshua Haglund, pensai-je. Ça m’avait même été confirmé par Hratch qui les avait vus un soir.

-          Sasha a un visa officiel, il est parfaitement en règle. Je pense qu’il ne repartira plus en Arménie. Maintenant, il va se débrouiller pour rester.

-          Yuri et Lisa ont été expulsés, pourtant !

-          Pas du tout. Ils sont partis tranquillement après que le ministère de la justice a confirmé que l’enquête était toujours en cours… Qui t’a dit qu’ils avaient été expulsés ?

-          Ara, bien sûr !

En répondant, je compris de facto qu’il m’avait peut-être menti aussi.

-          … mais alors, quel serait le lien entre Sasha et l’assassinat de Joshua Haglund ?

-          Je ne sais pas. Peut-être qu’il n’y en a pas… ou peut-être une simple et banale affaire de jalousie. Ou peut-être se sont-ils servis de ce fait divers pour émigrer, mais ça me parait risqué comme façon de faire.

J’étais dans une confusion totale.

-          Voilà, tu sais tout ! En ce qui me concerne, l’affaire est close. L’enquête suit son cours à Erevan, et peut-être, trouveront-ils bientôt le coupable !

-          Il faut le souhaiter.

Arman raccrocha. Ce qui nous avait unis depuis quelques semaines, venait de subitement s’arrêter. Dans un sens, tant mieux, parce que la paranoïa qui imprégnait dans cette histoire allait s’évaporer aussi.

Ma soirée venait de commencer, je n’avais rien d’autre à faire que de décortiquer ce que je venais d’entendre de la bouche d’Arman… Je coupai mon téléphone pour pouvoir réfléchir sans interférence extérieure.

Ma première réaction fut de trouver ces gens incroyablement futés. Ils avaient réussi à se sortir d’une histoire inextricable sans trop de dommage. J’avais souvent entendu des Arméniens se vanter de faire partie d’une ethnie bien plus maligne que la plupart des autres, qu’ils avaient la bosse des affaires, qu’ils étaient plus durs que les Juifs ou les Chinois, et qu’ils étaient indestructibles. Mais, le fait d’être malin ou indestructible, n’est pas un gène en soi, donc je ne savais pas comment ça se transmettait : encore un des miracles dont seuls ces Arméniens avaient le secret.

Ma seconde réaction fut de ne plus croire un mot du récit d’Arman. Bien sûr, je ne mettais pas en doute ce qu’Arman m’avait raconté, mais uniquement ce qu’eux lui avaient dit. Ils avaient menti tout le temps et à tout le monde, donc pourquoi diraient-ils la vérité à cette occasion ? Non, j’étais en train de me faire avoir encore une fois. C’est dingue, la paranoïa que ces gens pouvaient générer !

Cette histoire était rocambolesque et ne tenait pas debout, du moins de mon point de vue. Ils sous entendaient qu’un ministre en exercice avait exfiltré Sasha en l’envoyant officiellement aux Etats-Unis, - s’il y a bien un pays dans lequel on ne rentre pas aussi facilement, c’est pourtant celui-là – et que ce ministre l’avait en fait, soustrait à ses propres services ainsi qu’à ceux de la justice. Je ne sais pas si James Bond aurait pu faire mieux, mais c’était digne d’un scénario de ce genre-là.

Pourtant, Sasha avait bien été vu sur le terre-plein de Pleshka la nuit du meurtre de Joshua Haglund, et ça, c’était certifié. Et puis, Yuri avait été l’amant reconnu de Joshua avant d’être celui de Sasha, maintenant. Pour finir, Sasha était désormais à Los Angeles avec ses deux meilleurs amis, il ne se cachait même pas. Mais dans ce cas, pourquoi s’obstiner à associer Sasha à Joshua Haglund ? Tout semblait si évident, qu’en fin de compte, plus rien ne l’était.

J’en arrivai à penser que tout cela n’avait été que des manœuvres de diversion, pour détourner l’attention du véritable sauvetage de Sasha. Son cas étant désormais médiatisé à l’étranger, en Occident, la police ne se risquerait pas à l’intercepter à l’aéroport. Il était même devenu impossible de le soupçonner ni de l’arrêter. Car après tout, n’était-il pas celui qui avait le plus de mobiles de tuer Joshua ? Celui qui lui volait son amour ?

Si Sasha n’avait pas été l’amant du neveu du ministre de l’intérieur, aurait-il survécu à cette affaire ? Et dans l’éventualité où le ministre était vraiment intervenu, quelles étaient ses motivations ? Ne pas être sali par son neveu ou par d’éventuelles révélations de Sasha ?

Voulait-il éviter que ses ennemis politiques le fassent chanter ?

Quel avait été le vrai rôle de Lisa dans tout ça ? Et pourquoi Ara, un ex-combattant du Karabagh s’en était-il mêlé ?

Il y avait tellement de questions qui tournaient dans ma tête que je me mis à reconsidérer cette histoire sous un autre angle…

… Le garçon sortit du sous-bois et se dirigea vers lui. Visiblement, ils étaient seuls dans les parages. Joshua vit que le garçon avait un foulard sur le visage qui lui masquait la bouche et le nez. Il portait une casquette de baseball dont la visière était baissée, lui cachant les yeux. Joshua commença à s’inquiéter, ce n’était pas habituel ici. Le garçon se rapprocha rapidement en lui posant toujours sa question sur un ton énervé.

-          Alors, es-tu content de ce que tu as fait ?

-          Il doit y avoir une erreur, je ne vois pas de quoi tu veux parler ! Qui es-tu ? dit-il en commençant à distinguer la silhouette.

-          Tu ne me reconnais pas ? dit-il en arrachant le foulard qui était sur son visage… Et là, tu me reconnais ?

-          Oh ! C’est toi ? Mais que t’arrive-t-il ?

Joshua sentit que quelque chose venait de le piquer au bas ventre. Il y porta la main et perçut qu’elle était humide, chaude et visqueuse. Il avait mal.

-          Maintenant, tu dois être content, non ? dit le garçon qui le frappait de nouveau avec son couteau, dont la lame avait traversé la veste et s’enfonçait sous le cœur.

-          Arrête, je t’en supplie ! Mais qu’est-ce que tu fais ? cria Joshua qui se sentait défaillir.

-          Tu vas comprendre qu’on ne se moque pas de moi comme ça, fit l’autre en lui donnant un troisième coup dans le ventre…

Et puis, non ! J’en avais assez de me prendre la tête avec cette histoire. La meilleure décision était de faire comme Arman : abandonner. Il fallait lâcher prise au plus vite, sinon, j’allais gâcher tout le bénéfice que ce voyage en Arménie m’avait apporté.

Il me restait une dernière chose à décider : Varoujean méritait de savoir, il s’était démené tout autant que moi dans cette histoire. Son génie pratique avait fait des merveilles, son indignation nous avait guidés, on avait su braver notre peur grâce à sa motivation. La mort de Joshua Haglund avait été révélée au monde entier grâce à son article, c’était quand même le premier Américain assassiné en Arménie…

Mais, il était tard, je n’avais pas envie de parler avec Varoujean ce soir-là, je n’avais plus envie de parler du tout. Il était temps de me coucher, je verrais ça un autre jour…

 

 

*

Quelques mois plus tard :

 

Alors que je ne m’intéressais plus du tout à cette affaire, un entrefilet dans un magazine m’apprit que la mère de Joshua Haglund était retournée en Arménie pour avoir des nouvelles de l’enquête, qui bien évidemment, ne progressait pas du tout. Un nouvel avocat avait lancé un appel à témoin, qui, je n’en doutais pas, échouerait. En lisant cet article, je me rendis compte que je n’avais plus eu de nouvelles des protagonistes qui nous avaient réunis autour de la mort de Joshua.

Je n’avais recontacté ni Yuri ni Lisa. Arman n’était plus secrétaire de GALAS, Hratch s’était évaporé dans la nature comme d’habitude, et Varoujean s’occupait d’écrire des articles dans ses magazines préférés. Le Montecristo avait fermé définitivement, et Ara avait disparu sans laisser de traces. Il ne restait plus que le terre-plein de Pleshka, qui lui, était devenu une star. Le bois de Boulogne avait un concurrent ! Ce lieu faisait la une des journaux de temps en temps. L’offre s’était largement étoffée, puisqu’en plus d’y rencontrer des jeunes hommes, on y voyait aussi des travestis, des transsexuels, et de la drogue. Lors de mon voyage, j’avais été surpris par les lois qui régissaient la prostitution : elles étaient très permissives. Le racolage n’est pas interdit, ni la prostitution en elle-même. Ce qui est interdit, c’est l’organisation de la prostitution, c’est-à-dire le proxénétisme. En revanche, le trafic de drogue y est sévèrement pourchassé et puni.

Vraisemblablement, Joshua Haglund s’était retrouvé au mauvais endroit et au mauvais moment, comme un malheureux concours de circonstances… Je lisais l’article qui me remémorait ma semaine de vacances à Erevan, et tous ces gens que j’avais rencontrés. Je m’étais passionné pour cette enquête, mais voilà, je n’étais pas enquêteur. On m’avait bombardé détective malgré moi, pour un résultat assez maigre… Malheureusement, ni la police ni la justice arménienne n’étaient arrivés à trouver le coupable à ce jour, la preuve, la mère de Joshua avait dû prendre les choses en main pour que ça avance. Je lui souhaitais mentalement de réussir, car dans ce pays, et comme dans beaucoup de pays, les montagnes ne bougent jamais.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

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