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Didier K. Expérience
4 décembre 2020

Pleshka - E.22/23

Pleshka 0

France, Paris, juin 2004 :

Une semaine après mon retour.

L’Arménie se révélait être une mère homophobe et dangereuse pour une partie de ses enfants : c’était un constat difficile à avaler… Le pays des idées-rêves avait cessé d’être une obsession pour devenir une carte postale que je rangeai avec celles de mes autres voyages. J’étais revenu du paradis des Arméniens sans intention d’y retourner pour le moment.

Je revis Varoujean, je lui dis tout de ce qu’Ara m’avait raconté, ça l’épata mais ne le dérouta pas pour autant. Cependant, ça l’avait suffisamment motivé pour accentuer ses recherches, lui que son article dans les Nouvelles d’Arménie Magazine rendait fier. Le résultat était pourtant quasiment proche du néant : le texte était bon, précis, il dénonçait les dérives homophobes du pays avec la complicité du gouvernement arménien, mais sans en apporter les preuves. Bien évidemment, les NAM s’étaient fait un peu taper sur les doigts par ses généreux contributeurs, mais les articles du numéro suivant, firent oublier le précédent, faisant replonger définitivement Joshua Haglund dans l’anonymat.

Le soleil de juin réchauffait la capitale française, il faisait bon vivre dans ma ville, mon quartier m’avait manqué comme à chaque fois que je le quittais. Je l’avais retrouvé avec joie, malgré tout. Seule la vue du sublime Mont Ararat me manquait quand je me penchais à ma fenêtre.

Même si le stress parisien était revenu plus vite que prévu, j’appréciais de retrouver ce métro, boulot, dodo.

J’en étais là quand un soir, Varoujean m’appela :

-          Barev, Daniel. J’ai mon pote Arman de GALAS qui vient de m’appeler. Il aurait vu Lisa Kaloustian lors d’une soirée arménienne à Glendale. Il l’a formellement reconnue.

-          Elle était seule ?

-          Elle n’était pas avec Yuri, si c’est ce que tu veux savoir. Lui, pour l’instant, reste invisible. Mais comme il m’a dit, « si on en voit un, on en voit deux ».

Lisa étant une militante de GALAS, il était impossible qu’elle ne réapparaisse pas un jour ou l’autre, et il n’y avait même aucune raison pour qu’elle se cache de sa famille, de son association ou de son réseau d’amis. A ce que je sache, elle n’était responsable en rien de la mort de Joshua Haglund, qui n’était pas une personnalité de la ville de Los Angeles, ni dans les milieux arméniens de Glendale ou de Little Armenia, voire de Californie.

Varoujean avait eu la bonne idée de me mettre en copie d’un mail qu’il avait envoyé à Arman, comme ça, j’avais également l’adresse de ce dernier. Il lui demandait de nous avertir s’il revoyait Lisa et surtout, s’il apercevait Yuri.

Il accepta de collaborer, trop content d’être en relation avec d’autres Arméniens du monde, surtout, avec ceux de France. Il était déjà venu à Paris et rêvait d’y revenir, et de ce fait, ne s’était pas gêné pour s’inviter un de ces jours. Le seul problème était la réactivité, on avait neuf heures de décalage horaire entre nous, s’il y avait une urgence, on perdrait du temps, mais on n’y pouvait rien.

Arman avait découvert la vie et la mort de Joshua Haglund par l’article de Varoujean et par moi-même. Il était sûr d’une chose, c’est qu’il ne le connaissait pas, il ne se rappelait pas l’avoir vu lors d’une fête, ni avec qui que ce soit. Joshua Haglund ne devait pas trop se mêler à la communauté LGBT arménienne de L.A., selon lui.

On avait dû l’informer de tout ce qu’on savait pour qu’il puisse orienter ses recherches convenablement. Une chose l’avait titillé : comme il avait appris par nos soins que Yuri était le neveu du ministre Vahé Atalyan, il se renseigna sur ce dernier. Quelle ne fut pas sa surprise d’apprendre qu’il avait, comme son neveu, aussi la double nationalité et qu’il avait également une résidence à Los Angeles.

Ce qui était excitant dans cette histoire, c’est qu’on la vivait ; on avançait à tâtons, car ce qu’on identifiait pouvait nous brûler les doigts, voire plus, mais on le faisait. Varoujean et moi à Paris, Hratch à Erevan, et maintenant Arman à L.A. Cependant, on restait prudents car il y avait déjà eu un mort, ce qui rendait l’enjeu sulfureux… Arman était écœuré par ce qui était arrivé à Joshua Haglund et par ce que Sasha continuait d’endurer. Il fallait que cesse cette injustice, nous disait-il. Rien que pour ça, il voulait participer et nous dédiait son temps libre. Conscients des risques, Varoujean et moi-même lui avions dit qu’il devrait arrêter au moindre problème.

Il nous tenait régulièrement au courant de ses investigations… Ses premières recherches l’avaient amené à découvrir que « Yuri » était un pseudo, mais ça, on s’en doutait un peu. Ça voulait dire qu’on ne connaissait ni son nom ni son prénom. Ara m’avait bien dit, que Yuri et le ministre n’avaient pas le même nom, ce qui compliquait encore plus les recherches.

 

Californie, Los Angeles, Juin 2004 :

Arman se mit à éplucher la galerie de photos du site internet de GALAS, dans l’espoir de trouver des photos de Lisa et de ses amis, il y avait peut-être un garçon blond dans son entourage, immortalisé sur la pellicule. Hélas, il y en avait des milliers à regarder, sur plusieurs années… Il commença à interroger discrètement des connaissances féminines de Lisa qui furent très réticentes à répondre. Il n’avait qu’à interroger directement leur amie, dirent-elles toutes. Bref ! Les pistes n’étaient pas si nombreuses que ça, et elles étaient toutes compliquées à explorer. Yuri devenait l’aiguille dans une botte de foin.

Il ne restait qu’une seule solution : filer Lisa. Et là, ça pouvait devenir grave si elle s’en apercevait. Arman ne faisait rien d’officiel pour GALAS, il n’était pas enquêteur professionnel non plus, ni membre de la police. Par retour de mail, il nous fit part de ses craintes et on lui suggéra d’abandonner. Il y avait des risques, on ne pouvait pas se permettre de mouiller GALAS à L.A., ni l’association de Paris. On voulait la justice et c’était la justice qui nous bloquait : on se devait de respecter la loi. Il restait quand même une possibilité : mettre au courant le bureau de GALAS. De cette façon, Arman était déchargé de l’affaire tout en restant au courant.

Varoujean se chargea de contacter le président de GALAS pour tout lui expliquer. Au début, celui-ci fut très réticent car son association avait de très bonnes relations avec le consulat d’Arménie de Los Angeles, ainsi qu'avec la communauté arménienne de Californie. Le bureau refusa d’impliquer directement l’association. Cependant, le président proposa de relayer une version en anglais de l’article de Varoujean sur leur site internet. L’effet fut de courte durée mais permit de susciter une indignation parmi la population LGBT d’origine arménienne à Los Angeles. Le secrétariat de GALAS, c’est-à-dire Arman, reçut des messages de soutien et de solidarité pendant quelques jours. Un de ces mails attira son attention. C’était le genre de fil qui pouvait défaire la pelote.

Un jeune affirmait avoir vu un des protagonistes dans son quartier de Redondo Beach, la description correspondait en tout point avec celle du garçon brun, soit Sasha. Or ce dernier était censé être en détention provisoire à Erevan. Arman étudia le mail de plus près : celui-ci n’avait pas l’air farfelu ni outrancier, le jeune gars était un membre de GALAS qui n’avait jamais été repéré pour quelque problème au sein de l’association. Il décida de contacter le jeune militant qui répondait au nom de Johnny Avakian.

-          Allo, Johnny ? C’est Arman, le secrétaire de GALAS. Excuse-moi de te déranger, mais je souhaiterais qu’on discute de ton mail… Tu dis que tu aurais vu celui qui s’appelle Sasha ?

-          Ouais mec ! J’ai vu un mec qui ressemble en tout point à celui qui est décrit dans l’article. Je l’ai croisé plusieurs fois dans la rue, j’ai constaté que ça collait. Il n’habite pas très loin de chez moi, il ne parle quasiment pas l’anglais, donc déjà, ça veut dire qu’il vient d’arriver. Ensuite, je n’ai remarqué sa présence que depuis trois semaines environ, et il est avec des gens que je connais, donc c’est peut-être un membre de leur famille arménienne en vacances ici, qui sait ? La ressemblance est juste frappante, c’est tout. Moi, je te le dis, tu fais ce que tu veux de cette info.

-          Tu habites à Redondo Beach, n’est-ce pas ?

-          Ouais mec ! c’est ça !

-          Ok ! Je te remercie. Je te demanderai de ne communiquer à personne ce que tu viens de me dire. Tu comprends, il y a une enquête en cours, ça serait dommage d’accuser un innocent.

Arman raccrocha, dubitatif. Par quel miracle saugrenu Sasha pouvait-il être en Amérique ?

Une idée lui vint, celle de vérifier l’adresse de Lisa Kaloustian : en tant que secrétaire, il avait accès au fichier des adhérents. Il trouva facilement sa fiche.

-          Oh ! Fuck ! lâcha-t-il.

Lisa habitait à Redondo Beach. Se pouvait-il que ce Johnny Avakian ait raison ? Le sang commençait à affluer dans ses tempes, son cerveau tournait à plein régime, il fallait qu’il s’assure que ce n’était pas qu’une coïncidence ! Il se ravisa sur un point : il avait préparé à la hâte un mail pour moi, qu’il effaça. S’il devait m’informer, ça serait depuis sa propre adresse mail, et non par celle de l’association.

Il habitait à Glendale, à une quarantaine de kilomètres de chez Lisa ; en voiture, il ne mettrait pas plus d’une demi-heure pour y arriver. Il était déjà venu chez elle, participer à des barbecues. Le quartier était composé de petites maisons en bois en rez de chaussée, avec jardins et piscines, dans le plus pur style californien, celui qu’on voyait dans toutes les séries télés. Ce style qui avait donné ses lettres de noblesse à la « coolitude » californienne, cette inimitable nonchalance heureuse que le monde entier enviait et copiait.

Arman se gara facilement à quelques pâtés de maisons de celle de Lisa sur Torrance blvd, ce boulevard d’une longueur exceptionnelle, qui démarrait à Redondo Beach et qui se terminait des dizaines de kilomètres plus loin à Torrance. Des milliers de maisons en bois quasiment toutes identiques, habitées par le même genre de personnes issue de la classe moyenne cool et blanche. Aucun habitant noir et encore moins mexicain ne logeait ici.

Arman, qui habitait à Glendale, vivait dans un ersatz d’Erevan dont la population était majoritairement d’origine arménienne, avec tous les avantages de la vie américaine sans les inconvénients de celle en Arménie. Son quartier n’avait aucun charme comparé à celui-ci. Mais ces deux quartiers avaient une chose en commun, ce n’était que des décors ; l’un ressemblait à un décor de vacances, et l’autre à une Arménie de pacotille. La réalité étant toujours plus dure pour ceux qui étaient exclus de ces paradis terrestres de cinéma.

Lisa habitait chez ses parents, une vaste maison qui était cernée par une végétation luxuriante dont des palmiers, un à l’entrée et l’autre derrière, dans le jardin. Il se dit que que les palmiers, même très beaux, ne projettent que peu d’ombre sous le soleil de plomb de la journée ; un décor magnifique qui ne servait pas à grand-chose, finalement.

Arman était garé, toujours au volant de sa voiture quand il se décida à passer à l’action. Pour découvrir la vérité, il n’y avait qu’une chose à faire : aller sonner chez Lisa et se rendre compte par soi-même, directement.

Il prit son courage à deux mains et sonna. La mère de Lisa vint lui ouvrir la porte.

-          Bari yerekho, diguin* ! Lisa est là ?

-          Un instant, je vais la chercher. Tu veux attendre à l’intérieur ?

Il entra mais préféra rester dans le lobby… Lisa arriva, suivie de sa mère qui discutait avec deux jeunes hommes.

-          Salut Arman ! Que puis-je faire pour toi ?

*Bonsoir madame

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2019 - 2020

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