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Didier K. Expérience
5 août 2021

Bouche-à-nœuds E.25/35

Bouche-à-noeuds

J’étais rentrée avec mille questions en suspens, encore plus lassée et fourbue que d’habitude. Si le chiffre mille qui me trottait dans la tête faisait sûrement référence aux mille euros, je ne les avais pas non plus sur mon compte. Donc, si je cédais, je ne pourrais pas les verser : encore un problème de plus auquel je n’avais pas de réponse pour le moment.

Je me couchai avant que ma mère ne se lève, je n’avais pas envie de me prendre le chou ce matin, sauf pour récupérer mes clopes. Heureusement je m’endormis quasiment tout de suite : enfin, je crois !

Lorsque je me réveillai, sur les coups de 13h, mon premier réflexe fut de regarder mes messages, et ô stupeur ! J’en avais bien un de Jenny.

« Ce soir, 22h à Ovalie, l’immeuble à la façade rouge en face du château d’eau ».

Donc, c’était du sérieux, il y aurait même une mise en scène. Je comprenais mieux la raison pour laquelle Jenny avait pris le bus pour Sabines, puisque Ovalie était à côté. Mais je ne voyais pas le rapport entre notre histoire et ce futur quartier qui était encore en chantier.

Je voulais me lever et déjeuner, mais une fois n’était pas coutume, le silence régnait dans la maison. Je me trainai comme une âme en peine jusqu’à la salle à manger : personne. Pourtant, la table était mise, un broc de café fumant y était posé ainsi que de quoi manger. Mon paquet de clopes y était aussi. En fait, l’essentiel était là, et le superflu, c’est-à-dire, ma mère et son greffier de malheur, non. Ce calme me fit un bien fou. J’avais les idées en vrac, elles se remirent en places toutes seules, lentement mais sûrement, calmement aussi. Je ne pensais qu’au rendez-vous de ce soir : Jenny me tenait par la peau des couilles, si je pouvais parler comme ça. Comment avais-je pu me faire avoir par une cruche pareille ? Ce n’était pas Dieu possible ! Cette fois-ci, la nunuche de choc, c’était moi, pas de doute.

J’avalai deux bons bols de café noir, fumai une cigarette, puis j’allai me recoucher jusque vers 20h. Pas la peine de me préparer plus tôt, Ovalie était au bout de l’avenue de la Liberté, à dix minutes en voiture de la maison.

L’alarme de mon téléphone sonna pile à l’heure. Mal dormi. Le CBD ne m’avait été d’aucune utilité. J’avais eu chaud, et j’avais plus somnolé qu’autre chose. Je me sentais accablée…

Le soleil déclinait dangereusement quand je me garai sur un terre-plein proche du château d’eau, pas très loin du Yves du Manoir Stadium. Même si on était encore en été, le terrain se révéla boueux à souhait, c’était bien ma veine ! Effectivement, l’immeuble à la façade rouge se trouvait juste en face, je ne pouvais pas me tromper. Il ne faisait pas encore nuit, mais on n’y voyait déjà plus très bien. Un simple grillage barrait ce qui serait un jour le hall d’entrée. Je me faufilai en essayant de ne pas trop crotter mes baskets. Mais où cette gourde pouvait-elle bien être ?

-          Je suis là devant toi ! dit Jenny d’une voix calme. Reste où tu es ! Ne bouge plus !

On se serait cru dans un mauvais polar, c’était pathétiquement drôle, ou drôlement pathétique, mais pas de doute c’était une mauvaise mise en scène. … Jenny resta dans la pénombre, pourtant je distinguai ses formes sans problème.

On se tenait à une distance respectable toutes les deux, mais je l’entendais respirer fortement. Elle n’était pas si à l’aise que ça dans son nouveau rôle de racketteuse, dirait-on.

-          Qu’est-ce qu’on fout ici ? dis-je.

-          T’as ramené la thune ?

Je levai mon sac à main mais sans montrer l’argent.

-          Allons, Jenny ! Ce n’est pas sérieux ce qu’on fait, là. Tu ne crois pas ?

-          Ferme-la !

-          Au fait, c’est toi qui as donné les indications au curé sur mon Tinder, hein ? Pourquoi ?

-          Ferme-la, j’t’ai dit !

Au même moment, une silhouette apparut dans le dos de Jenny. Un jeune rebeu freluquet, me sembla-t-il, en survêtement noir Adidas et casquette qui lui mangeait tout le haut du visage.

-          J’eusse préféré que vous vinssiez seule ! balançai-je.

Jenny cracha par terre, elle avait dû reconnaitre la phrase alambiquée que le Père Arnaud nous avait lâchée lors de mon rendez-vous : phrase qu’elle n’avait pas comprise la première fois, révélant la pauvreté de son niveau. Cependant, l’ironie de cette répétition ne la fit pas vraiment rire, elle y vit sûrement un symbole flagrant de mon mépris pour elle. Elle tchipa nerveusement.

-          Wesh ma grosse ! dis-je. C’est qui celui-là ? C’est ton petit cousin ou ton petit dernier ?

-          Vas-y Momo, montre-lui.

Le Momo leva un revolver vers moi. Dans la pénombre, je n’arrivai pas à voir si c’était un vrai flingue ou un jouet, mais l’effet était garanti. C’était bien la première fois que je me faisais braquer.

-          Doucement, Momo, dis-je.

-          T’inquiète. Si tu bouges un cil, il te plombe… Tu flippes là, hein ? Tu ne la ramènes plus ta grande gueule. Pouffiasse !

-          Tu sais, moi, j’crains dégun* ! dis-je en espérant détendre l’atmosphère.

Bon, en réalité, je flippais un peu, tout de même ! J’avais pris soin de mettre mon cran dans ma poche arrière, de façon à pouvoir le dégainer facilement si besoin. Je mis mon sac à main en avant comme pour me protéger. J’essayais de ne pas trop bouger, ne sachant pas si tout ça était du lard ou du cochon. Mais je n’étais pas tranquille.

-          Pour répondre à ta question. Oui, c’est moi qui ai donné ton pseudo et ton appli au Père Arnaud, et tu veux savoir pourquoi ? C’est parce que je voulais vous gauler en flag, pour le faire chanter, et comme une conne, t’as tout foutu en l’air.

De mieux en mieux ! Voilà qu’elle échafaudait des plans machiavéliques maintenant.

-          Et pourquoi tu veux me faire chanter, moi ? T’as pété un câble ou quoi ?

-          Parce que je veux la thune. Tu crois que tes cinquante euros que tu m’as filés vont me sortir de la merde ? Ce que je n’ai pas gagné par ta faute, tu vas me le donner.

Momo leva son arme vers moi :

-          Ouais ! Et moi je veux mon billet. T’as compris ?

-          Tu sais, je n’ai jamais eu de proxo, et ce n’est pas aujourd’hui que je vais en avoir un. Et surtout pas un merdeux comme toi.

Momo fit un mouvement vers moi, pointant l’arme.

-          Tu vas la fermer ta grande bouche. Passe le sac avant que je te fasse un autre trou de balle.

Sa blague à deux balles le fit ricaner, je vis son bras se détendre. Au bout d’un moment, une arme pèse des tonnes, ça devient même un vrai fer à repasser. N’est pas voyou qui veut !

Je m’avançai vers lui, en tenant le sac devant moi, et lorsque je fus assez près, je tentai le tout pour le tout en lui jetant le sac au visage. En un tour de main, plus rapide que je ne l’avais jamais été, je sortis mon cran de la poche arrière de mon mini-short en jeans, pressa le click et d’un moulinet lui coupai la carotide. Mais dans la confusion, Momo eut le temps de presser la détente, et j’entendis la détonation me percer les tympans, le hall en béton brut accentua la résonnance. Un vrai tremblement de terre !

-          Putain, c’est un vrai flingue ! m’exclamai-je tout fort.

Un son sourd résonna dans ma tête, je crus qu’elle allait exploser, tellement c’était fort. C’est bizarre, ça ne fait pas le même effet que dans les films. Alors que des types passent leur temps à se tirer dessus sans que ça les gêne, moi avec un seul tir, j’étais devenue sourde.

Une légère odeur de poudre brulée emplit la pièce, un silence pesant aussi. Je m’étais accroupie, mains sur les oreilles, comme si c’était la bonne position pour me mettre à l’épreuve des balles. Au bout de quelques secondes, je sus que le coup ne m’avait pas atteint. Cependant, je me rendis compte que je m’étais pissé dessus de frayeur, cette situation devenait délicate.

Je me relevai sans une égratignure, et je regardai tout autour de moi : Momo gisait dans son sang, lui je ne l’avais pas raté. Mais où était donc Jenny ? Je m’avançai dans la pénombre vers l’endroit où elle se tenait quelques minutes plus tôt. Je butai sur une masse : le corps de Jenny s’étendait sur le flan comme un cachalot sorti de l’eau. J’essayai de voir où se trouvait la blessure, mais en tentant de la bouger, je sentis qu’un liquide suintait dans mes mains. En fait, un filet de sang coulait de son front : pas de doute la balle était entrée par-là !

-          Merde !

Je suais à grosses gouttes, la panique me gagnait, c’était inévitable ! Que devais-je faire ? Je n’y voyais rien, donc je ne savais pas si je laissais des traces. Cette fois-ci, je me sentis moins forte : fallait surtout que je me calme. D’abord, essuyer mes mains qui étaient ensanglantées : je les frottai vigoureusement sur mon mini-short, tant pis. Récupérer son téléphone où mes messages étaient enregistrés, m’apparut comme une évidence : trop de preuves s’y trouvaient. Je fouillai rapidement sa veste, et j’embarquai le précieux mobile. Je rattrapai mon sac, puis comme elle l’avait fait pour Gina, j’envoyai une courte prière au ciel pour recommander l’âme de Jenny. J’espérai que ça serait suffisant, même si ce n’était pas très cher payé pour me dédouaner…

*Forme occitane de : je n’ai peur de personne.

 

Didier Kalionian - Le Blog Imaginaire (c) 2021

Copyright photo Didier Kalionian "Abribus" instagram (c) 2021

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